Pollution lumineuse : doit-on éteindre la lumière ?

Dans les plus grandes villes de France, moins de 20 étoiles seraient visibles à l’œil nu. Des associations, des chercheurs et des scientifiques ont récemment co-signés une tribune pour ajouter le ciel étoilé au Patrimoine mondial de l’humanité.

De Margot Hinry
Publication 10 nov. 2021, 09:52 CET
« Éveiller la curiosité et susciter l’émerveillement. Telle est la vocation de ces images », indique Mehmedinović. « Pour ...

« Éveiller la curiosité et susciter l’émerveillement. Telle est la vocation de ces images », indique Mehmedinović. « Pour moi, ces photographies amorcent la discussion sur l’importance du ciel étoilé et l’incidence que nous, humains, avons sur l’environnement. »

PHOTOGRAPHIE DE Harun Mehmedinović

Dans les plus grandes villes de France, moins de vingt étoiles seraient visibles à l’œil nu. Des militants associatifs, des chercheurs et scientifiques ont récemment co-signés une tribune dans Le Monde pour réclamer aux gouvernements et aux organisations mondiales de reconnaître le ciel étoilé comme Patrimoine mondial de l’humanité.

L’idée est de permettre une prise de conscience pour « un sujet qui concerne tous les pays du monde » explique l’auteur scientifique et co-auteur de la tribune, Guillaume Cannat. « Dès qu’un pays a un minimum de richesse, il se met à éclairer à tout-va toutes ses villes, ses rues, ses entreprises… C’est un problème mondial ».

L’éclairage public en France est composé de 11 millions de points lumineux et 3,5 millions d’enseignes publicitaires. Cette pollution lumineuse « a crû de 84 % ces vingt dernières années en France […]. Ce feu d’artifice a des conséquences concrètes sur la biodiversité, le climat, notre santé et l’observation du ciel » relèvent les signataires de la tribune.

 

LA BIODIVERSITÉ FUIT LA LUMIÈRE ARTIFICIELLE

La pollution lumineuse s’ajoute aux nombreux facteurs nuisibles à la biodiversité. Épandage des pesticides, destruction des milieux naturels... Entre la pollution sonore, atmosphérique et lumineuse, certaines espèces faiblissent et sont même pour certaines amenées à disparaître.

Guillaume Canat explique l’impact que peut avoir un éclairage extérieur en agglomération. « Un lampadaire est extrêmement destructeur. Il fait venir des insectes attirés par la lumière. Ça va profiter à certains rapaces nocturnes ou à certaines variétés de chauves-souris. […] Cette ressource sert normalement à d’autres espèces pendant la journée. Elles vont être impactées en ayant la mauvaise quantité de nourriture, alors elles vont se dégrader puis potentiellement disparaître au bout d’un certain temps ».

La tribune met notamment en avant les travaux de recherche de scientifiques britanniques, parus dans Sciences Advances cet été. Elle indique que les haies éclairées par des lampadaires abritent 47 % de chenilles de moins que les haies non-éclairées. Mais également 33 % de moins dans les herbes éclairées que dans les herbes à l’abri de lumières artificielles.  

« Des prairies soumises à la pollution lumineuse enregistrent une baisse de 62 % de visite de pollinisateurs comparativement à une prairie non éclairée ». Parallèlement, les scientifiques notent que la pollution lumineuse perturbe le cycle biologique de la biodiversité, ses interactions mais aussi ses comportements.

Le désert d’Atacama au Chili est la Mecque des astronomes. Cet endroit, connu pour son absence de pollution lumineuse et son environnement aride, l’un des plus secs de la planète, rassemble les conditions idéales pour l’observation d’un magnifique ciel dégagé. Les amateurs d’astronomie peuvent visiter l’un des observatoires de classe mondiale de la région, comme l’ALMA, le plus grand radiotélescope au monde. Ceux et celles qui commencent à découvrir les plaisirs de l’observation du ciel peuvent choisir un guide près de la ville de San Pedro de Atacama pour une soirée à regarder les étoiles.

PHOTOGRAPHIE DE Babak Tafreshi, National Geographic

LA LUMIÈRE ET LE CORPS HUMAIN

« C’est le fruit de plusieurs décennies de recherches appliquées en biologie, ornithologie, médecine... Elle nous montrent que la pollution lumineuse a des effets extrêmement nocifs », notamment sur la santé humaine. L’Académie Nationale de Médecine a récemment conseillé, suite à un rapport dévoilé en juin 2021, de placer l’exposition à la lumière artificielle dans la liste des perturbateurs endocriniens.

« On ne va pas dire que la pollution lumineuse provoque des cancers [mais elle] va fragiliser un organisme humain ou un écosystème qui va pouvoir [par la suite] se détraquer » confirme l’auteur scientifique.

Les astronomes et chercheurs réclament urgemment un ciel étoilé sanctuarisé pour éviter que « la voûte céleste ne devienne un nouveau "Far Web". Avec 56 000 satellites prêts à zébrer le ciel étoilé ».

Guillaume Cannat confirme l’inquiétude grandissante des scientifiques quant à l’invisibilité du ciel étoilé suite à « l’arrivée de méga constellations de satellites initiées par Elon Musk et sa société Space X qui, en l’espace de deux ans, a déjà mis en orbite près de 1 500 satellites ». En deux ans, la société Space X aurait mis en orbite autant de satellites fonctionnels que ceux qui y étaient déjà. « On estimait il y a deux ans qu'il y avait entre 2 000 et 3 000 satellites en fonctionnement [dans le ciel]. En deux ans, [Elon Musk] a égalé et doublé quasiment ce chiffre. Son but est 10 000 satellites dans les cinq ans et il n’est pas seul puisque Amazon, Jeff Bezos et Google ont aussi des projets. Au total, on pourrait atteindre les 30 000 à 50 000 [satellites] dans les années à venir ».

Les conséquences sur la recherche astronomique et la compréhension de l’espace sont très importants. Les astronomes sont gênés par les reflets du soleil sur ces nombreux satellites.  « Les industriels se rendent compte qu’il y a un marché à prendre, téléphonique ou Internet donc […] d’ici 10 ans, on a peut-être des projets avec près 100 000 satellites à lancer. Et ça, c’est de la folie furieuse » déplore Guillaume Canat.

Ces reflets rendent les images du ciel de plus en plus difficiles à décrypter, même si Elon Musk encourage l’utilisation de logiciel pour corriger cela. « C’est vrai et cela fonctionne très bien, mais pas pour les satellites en orbite basse, ils vont provoquer une saturation [et] c’est impossible de les effacer » confirme le co-signataire de la tribune. À l’avenir, cela pourrait, entre autres choses, gêner la détection d’un astéroïde se dirigeant vers la Terre.

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    « L’un des plus gros projets astronomiques, le télescope Vera C. Rubine, qui permet d’observer à très haute résolution l’ensemble de la voûte céleste en l’espace de quelques jours […] devrait voir le jour dans les mois qui viennent. On estime que 40 à 60 % des images prises par ce nouveau télescope seront inexploitables parce qu’elles seront criblées de passages de satellites » indique l’auteur scientifique et astronome amateur.

    Aujourd’hui, ajouter le ciel étoilé au patrimoine Mondial de l’humanité ne permettrait pas directement de réglementer le nombre de satellites dans le ciel, mais ce serait une première étape pour ouvrir le débat à l’échelle mondiale. « Au-delà de la pollution lumineuse, les astronomes se battent à l’heure actuelle pour qu’il y ait un organisme au niveau mondial qui gère les possibilités d’envoyer des satellites dans l’espace ». Les télécommunications et les vols aériens sont réglementés, mais il n’y a rien pour les satellites. « Nous sommes restés sur la logique du début de l’exploration spatiale » insiste Guillaume Cannat.

     

    « SI NOUS ÉTEIGNONS, LA LUMIÈRE DISPARAÎT ET LE CIEL ÉTOILÉ REVIENT »

    Certaines villes françaises tentent de réduire leur pollution lumineuse. La ville de Strasbourg a notamment fait le choix de contrats d’énergie électrique 100 % verte. « De la lumière uniquement là où il le faut, quand il le faut » explique Laura Martin, attachée de presse de la ville. Strasbourg a investi dans des nouveaux lampadaires n’émettant pas directement vers le ciel et ayant une quantité de lumière bleue très réduite, couleur « blanc chaud ». Ces nouveaux systèmes permettent également d’abaisser automatiquement la lumière de 25 % entre 20 h et 23 h puis de 50 % entre 23 h et 6 h. De 2010 à 2020, la ville de Strasbourg compte 25 % d’économie d’énergie.

    La ville d’Alès est également précurseur de changements lumineux. Les éclairages urbains ont été totalement rénovés, désormais dotés de LED moins consommatrices et mieux orientées. « En l’espace de trois ans, grâce à des aides, ils ont investi près de quatre millions d’euros pour pouvoir le faire » confirme Guillaume Cannat.

    « Dès cette année, ils ont économisé 600 000 euros sur leur budget d’éclairage urbain. […] Ce sont des sommes colossales ». L’objectif de cet appel à la réduction de pollution lumineuse en ville est « d’éclairer intelligemment, où il faut, quand il le faut et avec la puissance nécessaire » conclut le scientifique.

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