Le GHB, nouveau fléau des soirées à Lille ? « J'étais une chose, plus une personne »

Durant le week-end du 6 novembre 2021, deux femmes ont témoigné avoir été droguées à leur insu lors de soirées à Lille (Nord). Un phénomène qui prend de l'ampleur ?

Après des témoignages largement relayés, nous avons enquêté pour savoir si le GHB devenait le nouveau fléau des discothèques et bars à Lille.
Après des témoignages largement relayés, nous avons enquêté pour savoir si le GHB devenait le nouveau fléau des discothèques et bars à Lille. (©Adobe Stock/Illustration)
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Des témoignages largement relayés pour alerter. Après le week-end du 6 novembre 2021, deux femmes ont témoigné sur Twitter avoir été droguée à leur insu lors de soirées dans des bars et discothèques de Lille. Phénomène isolé ou fléau qui prend de l’ampleur ? Nous avons recueilli plusieurs témoignages de personnes ayant subi la même expérience.

Un « black-out total »

Si vous êtes assidu sur Twitter, peut-être avez-vous vu passer les témoignages de ces deux jeunes femmes. L’une raconte un « black-out total » après « un seul et unique verre offert » dans une boîte de nuit lilloise. La seconde assure avoir été droguée au GHB dans un bar bien connu du quartier Solférino Masséna.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages de personnes droguées à leur insu lors de soirées lilloises sont récurrents.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages de personnes droguées à leur insu lors de soirées lilloises sont récurrents. (©Lille actu)

Deux faits survenus le même week-end qui ne sont pas sans rappeler d’autres témoignages récents sur les réseaux sociaux. Nous avons recueilli la parole de plusieurs personnes qui expliquent avoir été droguées à leur insu lors de soirées lilloises.

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Pour Manon*, étudiante de 20 ans, cela s’est passé à la fin du mois d’août. « Je suis sortie avec des amies pour faire la fête dans un bar qu’on aime bien dans le quartier Masséna », relate-t-elle. « J’ai bu deux-trois bières, rien de bien méchant, et d’un coup, je me sens vraiment bizarre. Pas bourrée, rien à voir, complètement à l’ouest. » Elle décrit la sensation terrible « d’être là sans être là ».

J'étais prisonnière de mon corps, à la merci de tous.

Manon*Droguée à son insu dans un bar de Lille

Elle n’a que peu de souvenirs de la suite. Ce sont ses amies qui l’ont aidée à recoller les morceaux de la soirée. « Elles ont vu que je n’allais pas bien du tout. Elles m’ont raccompagnée chez moi. Une copine est restée pour me faire boire de l’eau, me coucher et me surveiller. Heureusement que mes amies étaient là, il aurait pu m’arriver n’importe quoi. »

« Aucun labo ne faisait le dépistage GHB »

Marvin* lui, dit avoir été drogué en boîte de nuit fin octobre 2021, après avoir bu dans le verre d’une amie. « 10 minutes après, je me sens super mal. Mon corps était paralysé mais mon cerveau fonctionnait encore », explique-t-il. Raccompagné par une amie, il rapporte avoir été suivi par deux hommes étranges, qui ont pris la fuite au passage d’une patrouille de police. Les agents ont proposé leur aide, en appelant les pompiers, mais Marvin a refusé.

Le GHB c'est quoi ?

Le GHB est une drogue de synthèse. Elle a un effet sédatif et anesthésiant. Sous forme de poudre ou de liquide incolore et inodore, elle est difficilement détectable car très vite éliminée par l'organisme. Après 12 heures, elle est quasi impossible à déceler.
Des substances comme le GBL et le BD produisent les mêmes effets.

Le lendemain, « dans un nuage de gaz », il entreprend avec un ami d’appeler des laboratoires pour faire des analyses. Sans succès. « Aucun ne faisait le dépistage GHB. » Il renonce à chercher la substance qui l’a mis dans cet état et à déposer plainte. « Cela n’aboutira jamais », juge-t-il.

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Même sentiment du côté de Laura, 23 ans, étudiante en école de commerce venue du Grand-Est. « J’ai été droguée en boîte à Lille il y a environ deux ans. Depuis, je n’ai plus remis les pieds dans cette ville. » Son seul souvenir, avoir bu dans un verre qu’elle pensait être le sien, puis plus rien jusqu’au lendemain. « J’étais chez une copine, super inquiète de mon état. Elle m’a raconté qu’elle m’a perdue de vue au cours de la soirée. Quand elle m’a retrouvée, elle a d’abord pensé que j’étais totalement ivre, mais elle a vite compris que c’était pire que ça. »

Je ne sais pas ce qui a pu m'arriver pendant ce laps de temps, je ne sais même pas combien de temps cela a duré. Tout ce que je sais, c'est que je n'avais plus de portefeuille le lendemain. Je ne suis pas sûre de vouloir savoir s'il m'est arrivé pire... J'ai préféré ne pas déposer plainte.

LauraDroguée à son insu en discothèque à Lille

Trois autres personnes, deux jeunes femmes et un jeune homme, ont témoigné auprès de nous d’expériences similaires au cours des derniers mois. Aucune ne pense avoir été agressée sexuellement. « Mais, qui sait ? J’étais dans un tel état, et mon cerveau n’a tellement rien retenu de la soirée. Je n’étais plus une personne, j’étais une chose », résume Julia, étudiante de 20 ans.

VIDÉO. À Bordeaux aussi, le GHB fait des ravages en soirée :

Le GHB, un fléau qui prend de l’ampleur à Lille ?

Aucune des personnes interrogées n’a déposé plainte. Le sentiment que cela ne servira à rien pour la plupart, mais aussi, une part de « culpabilité », qu’évoque Laura. « J’aurais dû être vigilante. Ne jamais quitter mon verre des yeux. »

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Le commissaire Benoît Aloe, chef de la sûreté urbaine de Lille, comprend cette crainte, mais assure que « toutes victime sera prise en charge de la même façon. Quand on est victime alors qu’on se trouve dans un état de faiblesse, on peut ressentir une forme de culpabilité, mais il ne faut pas. Je rappelle d’ailleurs que c’est une circonstance aggravante pour l’auteur ». 

Les enquêtes sont suivies, ce n'est pas parce qu'il y a un contexte de fête ou de foule, que c'est impossible à résoudre.

Commissaire Benoît AloeChef de la sûreté urbaine de Lille

Le commissaire reconnaît tout de même la difficulté de ce type d’enquête. « Le problème, c’est de détecter le produit, car le corps l’évacue rapidement. En quelques heures, on ne peut plus le détecter par prise sang, et par la suite, dans les cheveux, c’est rarement probant. »

C’est parce que la drogue est rarement détectée de façon certaine que, s’appuyant sur les statistiques, le commissaire Aloe ne relève pas de « phénomène particulier lié au GHB ces derniers temps à Lille. Mais ce n’est pas parce qu’on ne le relève pas qu’il n’y en a pas », insiste-t-il. « En revanche, des enquêtes pour des faits de nature sexuelle ou de vols dans un contexte festif, on en a toujours. »

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Les bars et discothèques pointés du doigt

Le commissaire assure qu’en général, les bars ou discothèques se montrent totalement coopératifs dans le cadre de ces enquêtes. Ces dernières semaines, en Belgique et dans plusieurs villes françaises dont Lille, le mouvement « Balance ton bar » pointe les agressions sexuelles survenues dans les établissements de nuit mais aussi les comportements des gérants ou des serveurs. 

Sur les réseaux sociaux, le mouvement
Sur les réseaux sociaux, le mouvement « Balance ton bar » dénonce les agressions sexuelles dans le monde de la nuit. (©Instagram/Capture d’écran)

« Dans ces contextes terribles, les seuls qu’on peut facilement identifier et pointer du doigt, ce sont les établissements », soulève un patron de bar lillois (qui a demandé l’anonymat pour ne pas porter préjudice à l’image de son commerce). « Mais il faut bien distinguer deux choses : il y a ce que les clients peuvent commettre, et cela, on n’en est pas responsable, et les agissements de nos personnels. » 

Quand on a une grosse soirée, on ne peut pas avoir l'œil sur chaque client pour surveiller qu'il ne met rien dans un verre. En revanche, s'il y a le moindre soupçon, il faut nous le signaler pour qu'on fasse le nécessaire, comme en cas de viol ou d'agression sexuelle.

Patron d'un bar lillois

Et s’agissant des personnels parfois mis en cause ? « Là aussi, il faut nous le signaler. On fait régulièrement de la prévention sur les comportements à adopter vis-à-vis des clients. On sait que tout le monde n’est pas tout rose dans le monde de la nuit. De l’autre côté, il faut aussi être sûr quand on porte ce genre d’accusation, cela peut avoir de graves conséquences. » 

Des dispositifs anti-drogues

La quasi-totalité des personnes que nous avons interrogées ont changé leurs habitudes depuis qu’elles ont été droguées à leur insu. « Je ne sors quasiment plus en bar ou en boîte. Je ne me sens rassurée qu’entourée d’amis de confiance », confie Laura. Manon quant à elle a opté pour un dispositif anti-drogue, permettant de protéger son verre quand elle sort.

À Lille, Antoine a conçu Drink Watch, un capuchon anti-drogues à mettre sur son verre.
À Lille, Antoine a conçu Drink Watch, un capuchon anti-drogues à mettre sur son verre. (©Lille actu/Archives)

En 2020 à Lille, Antoine Dehay a lancé Drink Watch, un capuchon se fixant sur le verre empêchant d’y glisser des substances. Selon nos confrères de La Voix du Nord, ces dernières semaines, les ventes de ces dispositifs se sont considérablement accrues.

*Le prénom a été modifié à la demande du témoin.

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