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FEMYSO, ces jeunes européens qui gravitent dans la galaxie des Frères musulmans
Tariq Ramadan interviewé par les membres de FEMYSO, en 2012.
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FEMYSO, ces jeunes européens qui gravitent dans la galaxie des Frères musulmans

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Elle est à l'origine de la campagne pro-voile du Conseil de l’Europe qui a fait polémique. L’association FEMYSO, qui perçoit des fonds européens entretient, d’après plusieurs chercheurs, des liens avec la mouvance fondamentaliste des Frères musulmans. Premier volet de notre enquête sur cette structure.

Le 4 novembre, une vidéo d’Al-Jazeera apparaît sur le compte Twitter de FEMYSO. Hande Taner, présidente de l’organisation, s'en prend vivement à la France : « Paris est actuellement la capitale du préjugé occidental » et « la plus grosse exportation de la France est juste le racisme », lâche la jeune femme face caméra.

La raison de sa colère ? La campagne du Conseil de l’Europe* pour promouvoir l'acceptation du voile, accompagnée des slogans « Mon hijab, mon choix », « La beauté se trouve dans la diversité comme la liberté dans le hijab » ou encore « Apportez de la joie, acceptez le hijab », vient d’être retirée après que plusieurs personnalités politiques françaises de droite comme de gauche, s'en sont indignées. FEMYSO en était l'une des co-organisatrices.

Après s’être penché sur la conception de la campagne du Conseil de l’Europe, Marianne a enquêté sur cette association paneuropéenne qui regroupe 32 organisations membres. Dans ses statuts que nous avons consultés, figure l'objectif « d'encourager le développement d'une identité musulmane européenne ». FEMYSO est décrite par plusieurs chercheurs comme une émanation jeune et transnationale de l’Union des Organisations Islamiques en Europe (UOIE)**, structure proche des Frères musulmans et qui représente le courant fondamentaliste de l’islam en Europe.

Un islam politique

La confrérie des Frères musulmans, fondée en 1928 par Hassan Al-Banna pour établir un régime islamique en Égypte, a essaimé dans le monde ces quarante dernières années sous différentes formes. Si des entités indépendantes les unes les autres ont vu le jour dans de nombreux pays et particulièrement en Europe, elles partagent, d’après Sergio Altuna et Lorenzo Vidino à Marianne auteurs de « The Muslim Brotherhood’s Pan-European Structure », une « profonde croyance dans la nature politique de l’islam » et forment « un réseau global de connexions organisationnelles, personnelles et financières ».

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D’après les chercheurs que Marianne a interrogés, FEMYSO est partie prenante de la galaxie européenne des Frères musulmans. « FEMYSO est la branche jeune d’une organisation réputée proche des Frères musulmans, l’Union des Organisations Islamiques en Europe (UOIE), qui représente le courant fondamentaliste de l’islam en Europe et dont l’objectif est de former une élite musulmane européenne », explique à Marianne Florence Bergeaud Blackler, anthropologue au CNRS et spécialiste des mouvements islamistes.

Des « liens organisationnels et interpersonnels »

Auprès de Marianne, Hiba Latreche, vice-présidente de FEMYSO maintenait le 3 novembre que l’association avait été créée à l'initiative de « jeunes musulmans européens » et qu'elle n’entretenait pas de « relations particulières » avec l'UOIE. Mais l’histoire de la création de FEMYSO dévoile une autre version. Comme le rappellent Lorenzo Vidino et Sergio Altuna, une réunion intitulée « Islam en Europe » s’est tenue en 1995 à Stockholm. Financée par le ministère des Affaires étrangères suédois et en présence de plusieurs organisations de jeunesse, dont « Jeunes Musulmans de France », la branche jeune de l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), principale entité du courant des Frères musulmans dans l’Hexagone, cet évènement visait à créer une meilleure « coordination » entre les organisations musulmanes européennes.

Un processus qui déboucha sur la création de FEMYSO en 1996. Dans la version de son site de 2007, consultée par Marianne et modifée depuis, FEMYSO reconnaissait que l’UOIE avait « invité » les organisations en charge du projet à « une réunion à Birmingham, au Royaume-Uni pour faciliter le processus ». « Les documents de l’UOIE prouvent très clairement que le FEMYSO est une de leurs émanations », abonde Lorenzo Vidino auprès de Marianne, professeur et directeur d’un programme sur l’extrémisme à l’Université George-Washington et expert des réseaux islamistes en Europe et en Amérique du Nord.

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« Dès 1996, c'est FEMYSO, basé à Bruxelles, qui est constitué comme plate-forme d'échange pour rassembler certaines organisations de jeunesse liées aux diverses fédérations nationales se trouvant dans la mouvance des frères elle-même associée au sein de l’UIOE, résume Brigitte Maréchal, docteure en sociologie et spécialiste de l'islam européen dans son livre "Les Frères musulmans en Europe. Racines et discours". Mais cet organisme de jeunesse apparaît soucieux de conserver une autonomie par rapport aux Frères, bien que certains liens interpersonnels et organisationnels soient avérés. »

CCIF, Millî Görüş, UOIF

L'ancienne présidente du FEMYSO Intissar Kherigi est par exemple la fille de Rached Ghannouchi, leader du mouvement islamiste tunisien Ennahdha. L’étude des 32 organisations membres de FEMYSO est, elle aussi, éloquente. Parmi elles, les « Jeunes Musulmans de France » ou, en Allemagne, le département de jeunesse du « Islamische Gemeinschaft Millî Görüş », en français « communauté islamique Millî Görüs ».

Millî Görüs est une confédération musulmane, considérée comme proche de la Turquie. Son émanation française a notamment refusé de signer la charte des valeurs de l’islam de France, qui engageait les signataires à lutter contre l’islam politique et les ingérences étrangères. Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal estimait en mai que Millî Görüs allait « à l'encontre des valeurs de la République ».

Autre membre de FEMYSO : l’Institut Européen des Sciences Humaines dont le doyen n’est autre qu’Ahmed Jaballah. Il est considéré par nos confrères de Libération comme « l'une des figures les plus respectées et influentes de Musulmans de France, l'ex-UOIF, proche de la confrérie des Frères musulmans ».

FEMYSO a aussi publiquement apporté son soutien au CCIF après sa dissolution, jugeant que « le gouvernement français soutenu par l’extrême droite et d’autres groupes extrémistes utilisait l’évènement barbare [de la mort de Samuel Paty] pour criminaliser et dissoudre le CCIF ».

Enfin, FEMYSO a invité plusieurs fois le prédicateur Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans. En 2011, il intervenait à une session d’études sur l’islamophobie qu’organisait FEMYSO au Centre Européen de la Jeunesse qui dépend du Conseil de l’Europe. En 2012, l’association interviewait Tariq Ramadan au cours de la « Rencontre annuelle des musulmans de France », organisée par l’UOIF.

Lobbying au plus haut niveau

Des liens qui n’empêchent pas plusieurs institutions européennes de travailler activement avec l’association depuis les années 2000. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si FEMYSO a installé ses bureaux à Bruxelles. En septembre 2003 déjà, FEMYSO coorganisait un événement au Parlement européen sur le dialogue interreligieux. Preuve que la coopération se poursuit jusqu'aujourd'hui : le 17 novembre prochain, la commissaire européenne à l'égalité Helena Dalli doit recevoir une délégation de l'association. Parmi les partenaires institutionnels que FEMYSO mentionne sur son site : la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe.

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« Des sessions d’étude sont généralement délivrées en coopération entre FEMYSO et le département jeunesse du Conseil de l’Europe » précise l'association. Elle garde d'ailleurs fièrement sur son site internet une photo de 2006 : on y voit la vice-présidente de FEMYSO de l’époque, Sunduss Al-Hassani, avec le secrétaire général du Conseil de l’Europe d’alors, Terry Davis, lors du lancement d’une campagne sur les droits humains. « Le Conseil de l'Europe a désigné le FEMYSO comme l'un des trente membres de son Conseil consultatif sur la jeunesse et travaille régulièrement avec cette organisation », complète Florence Bergeaud Blackler.

FEMYSO continue pour autant de nier tout lien avec les Frères musulmans, jugeant qu'il s'agit d'« all��gations calomnieuses ». Une attitude récurrente dans ce réseau d'associations que dénonçait déjà en 2005 la politologue Fiammetta Venner dans « OPA sur l'Islam de France », son livre consacré à l’UOIF : « C’est une ruse assez courante chez des militants formés par les Frères. Ils feignent de confondre l’appellation Frères musulmans en tant qu'"organisation formelle" et l’appellation Frères musulmans désignant l’école de pensée fondée depuis l’Égypte par Hassan al-Banna, afin de se disculper de tout procès en islamisme au motif qu’ils ne sont pas "organiquement" reliés à la confrérie des Frères musulmans. Une confrérie aux trois quarts secrète, sans aucun lien organique avec la plupart de ses membres, et dont la nocivité réside moins dans sa structure que dans les idées qu’elle véhicule. »

Ignorance ou clientélisme

« On peut organiser une campagne sur la question du racisme anti-musulman mais encore faut-il bien choisir ses partenaires », estime Lorenzo Vidino. Reste à savoir si le Conseil de l’Europe ou la Commission européenne font leur choix en connaissance de cause. « La plupart du temps, les institutions européennes ignorent la vraie nature de cette association, d’autant que les organisations proches des Frères musulmans sont très performantes pour réaliser des candidatures bureaucratiques veut croire Lorenzo Vidino. Mais parfois, il y a du clientélisme. » Sollicité par Marianne, Clément Beaune, secrétaire d'État aux Affaires européennes a assuré être en train d'examiner le sujet.

De son côté, le Conseil de l’Europe indique à Marianne que « pour ce qui est des projets soutenus par le Conseil de l'Europe, ils doivent répondre à des critères stricts de bonne gestion et de contrôle financier. L’attribution des fonds est soumise au respect des droits de l’homme et des valeurs fondamentales, et nous examinons régulièrement ce principe. »

Interrogée par Marianne, la Commission européenne indique que « tous les projets font l’objet d’un examen minutieux et d’un suivi attentif tout au long de leur mise en œuvre. En cas de violation des conditions de financement ou des valeurs fondamentales de l’UE, la Commission n’hésiterait pas à mettre fin à cette coopération, si nécessaire, et comme nous l’avons déjà fait dans le passé ». En 2015 la Commission avait préféré balayer toutes les accusations de complaisance avec les Frères musulmans, s’inquiétant de « la teneur de certains articles de presse qui jettent le discrédit sur des organisations de la société civile ayant pour mission statutaire de contribuer à l’objectif commun de lutte contre le racisme, la xénophobie, la discrimination et l’intolérance qui en découle. »

Depuis 2014, FEMYSO a d'ailleurs touché à ce titre de la part de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe plusieurs dizaines de milliers d'euros de subventions. Marianne a remonté la piste de l'argent européen.

Retrouvez l'épisode 2 de cette enquête en ligne sur marianne.net lundi 15 novembre.

* Une organisation intergouvernementale de 47 nations européennes – distincte de l'Union européenne – qui œuvre pour les droits de l'homme et la préservation des libertés individuelles.

** Rebaptisé CEM, Council of European Muslims en 2020.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne