RDC-Beni : par peur des bombes artisanales piégées, les cultivateurs hésitent à se rendre aux champs

Carte du territoire de Beni
Carte du territoire de Beni

Dans les villages de Mukoko-Bilimani et Bakila-Tenambo situés respectivement au nord et à l'est de la cité d'Oicha, chef-lieu du territoire de Beni (Nord-Kivu), les agriculteurs hésitent à rejoindre leurs champs par peur de tomber dans les pièges des bombes artisanales placées par les combattants d'Allied Democratic Forces (ADF).

Depuis octobre, deux personnes sont décédées et trois autres blessées à la suite de l'explosion des bombes artisanales piégées dans leurs champs par des ADF.

Le dernier cas en date a été enregistré le jeudi 11 novembre dernier : un civil a été tué et un autre blessé lors de l'explosion d'une bombe artisanale, alors qu'ils se rendaient dans leurs champs à Tedeu.

Dans la zone, c'est la peur qui gagne plusieurs cultivateurs qui possèdent des champs dans les villages où les explosions ont été signalées. ACTUALITÉ.CD a constaté ce lundi 15 novembre que la route Bakila-Tenambo qui ouvre sur les principaux champs qui nourrissent Oicha, est aujourd'hui plus fréquentée par les militaires que par les paysans.

« Premièrement il y a eu des militaires blessés dans l’explosion d’une bombe piégée, après c'était des civils. Ces explosions nous font tellement peur. J'ai un champ vers Bakila-Tenambo mais j'ai du mal à me rendre là-bas. Nous ne partons plus au champ le matin, nous attendons d'abord la levée du soleil car c'est souvent à l'aube que les gens tombent dans le piège des bombes artisanales, mais quand il y a la lumière tu peux bien voir la bombe piégée et l'échapper », explique à ACTUALITÉ.CD Safari Kazi, chef du village de Mbinza trouvé sur la route Bakila-Tenambo.

Françoise Masika allait se ravitailler en sombé (feuilles de manioc servant de légumes, ndlr) dans son champ à Mukoko-Kasuku. Mais depuis les incidents d'explosion des bombes artisanales, elle a cessé de fréquenter le champ. Conséquence : elle peine à trouver des légumes pour nourrir sa famille, dans cette région où le manioc est l'aliment de base.

« C'est devenu difficile de trouver à manger dans la cité d'Oicha. J'ai un champ vers Mukoko-Kasuku où une bombe avait explosé, et l'autre à Mukoko centre. Je n'y vais plus.  Pourtant c'est à Kasuku où je trouvais facilement les feuilles de manioc. Pour le moment je ne fais qu'acheter les feuilles de manioc qui sont cultivées dans les jardins des habitants.  Une botte de pondu se négocie à 1000 FC. Il me faut régulièrement trois bottes pour nourrir ma famille », témoigne Masika Françoise, mère d'une famille habitant le quartier Bakaiko.

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Une paysanne dans son champ au ville Mbinza près d'Oicha à Beni

 

Certains paysans qui bravent la peur demeurent toutefois prudents. Rencontrée dans son champ, Safi Masika explique qu'à son arrivée, elle se lance d'abord à fouiller des probables pièges, en vue de se rassurer de ne pas être victime.

« Les gens ne partent plus au champ de peur de mourir à la suite de l'explosion d'une bombe, et nous qui nous efforçons d'y aller nous tenons compte du temps. Nous attendons que le soleil se lève, et dès qu'on est arrivé, le premier réflexe c'est d'effectuer une fouille dans le champ pour voir si on ne va pas retrouver une bombe piégée ».

L'armée dans la région confirme aussi l'existence des pièges ennemis dans les champs de la population, mais aucune mesure préventive, notamment d'éventuelles opérations de déminage, n’est effectuée pour éviter que le décompte macabre se poursuive, constate ACTUALITÉ.CD.

Les combattants ADF sont actifs dans zone en dépit des opérations de grande envergure lancées depuis fin octobre 2019 et l'état de siège décrété par le Chef de l'État en mai dernier dans le but de mettre fin aux tueries des civils à Beni.

(Re)lire: RDC : les combattants ADF kenyans, burundais et tanzaniens ont permis le progrès dans la fabrication des explosifs à Beni

Yassin Kombi