Six femmes qui ont révolutionné le commun

Dans plusieurs domaines de la société, ces femmes se sont mobilisées pour faire avancer les communs. Que ce soit en économie, en politique ou en environnement, elles se sont battues pour changer les mentalités et ont œuvré à un monde mieux partagé. Galerie subjective et inspirante.

© Candela Sierra, pour axelle magazine

Elinor Oström (1933-2012)
Gouverner les communs

Elinor Oström © Candela Sierra, pour axelle magazine

Il y a dans la théorie des communs d’Elinor Oström des enseignements toujours d’actualité. Cette politologue et économiste américaine a travaillé sur la gestion et la préservation des communs et des ressources naturelles, dont la valeur se comprend sur le long terme. Elle a dédié sa carrière à sa théorie emblématique des Common pool resources et fut la première femme (co)lauréate du prix Nobel d’économie en 2009. Pour elle, ce qui existe en “paquet”, comme un ensemble, ne peut pas être exploité de façon segmentée sans risquer de disparaître. Le “commun” est une “propriété” partagée qui doit être gouvernée par les personnes qui participent à son exploitation. Prenons les poissons : plutôt que la pêche intensive pour le profit, qui risque d’entraîner leur disparition, la gestion partagée est la manière la plus appropriée de gérer cette “ressource naturelle”. De sa théorie, Elinor Oström tire plusieurs enseignements. Elle analyse les miracles que l’économie peut faire associée aux autres sciences sociales. Elle démonte la logique des marchés financiers et l’idée d’un État tout-puissant qui régulerait les consommations. Et elle livre une vision nouvelle de la démocratie participative basée sur la confiance, la réciprocité et l’autorégulation d’un groupe de personnes œuvrant pour tous·tes.

Silvia Federici (née en 1942)
Communs féministes

Silvia Federici © Candela Sierra, pour axelle magazine

Enseignante, universitaire et militante, l’Italienne Silvia Federici est l’une des premières théoriciennes à avoir formulé le lien entre communs, territoires et corps des femmes. Selon elle, si l’avènement du capitalisme a été possible, c’est en grande partie parce que le travail domestique gratuit des femmes a permis de reproduire la force de travail. De cette idée, Silvia Federici invite à repenser les communs sous un prisme féministe. “L’assimilation des femmes à un commun appartenant aux hommes est une idée profondément ancrée dans notre conscience collective, les femmes étant perçues comme une source naturelle de richesses et de services que les hommes peuvent s’approprier aussi facilement que le capitalisme s’est emparé des richesses de la nature”, détaille-t-elle dans son article Féminisme et politique des communs. Pour refonder les communs, il faudrait repenser l’architecture, l’espace public et refuser qu’ils soient fondés sur base des souffrances et de l’exploitation des plus fragilisé·es. De toutes ses recherches, Silvia Federici conclut à la nécessité pour les femmes de mener une lutte autonome contre les violences exercées contre les femmes et la nature.

Dayamani Barla (née en 1969)
Terres communes

Dayamani Barla © Candela Sierra, pour axelle magazine

En Inde, seules 8 à 11 % des terres sont entre les mains des femmes. Et encore, lorsqu’elles disposent d’un titre de propriété, c’est généralement parce qu’elles sont veuves. Pourtant, ce sont elles qui sont chargées d’entretenir et de fertiliser les sols. Dans l’intérêt de toutes et tous, pour le bien commun donc. Depuis plus de 25 ans, Dayamani Barla, militante et journaliste, récompensée par plusieurs prix internationaux pour son travail, se bat pour que les terres des populations indiennes n’atterrissent pas entre les mains des énormes entreprises peu soucieuses de la préservation de l’environnement. Elle est l’une des rares femmes à faire entendre sa voix dans un pays marqué par la domination des castes supérieures d’une part, et par celle des hommes de l’autre. En 2005, Dayamani Barla affrontait le géant de la sidérurgie, Arcelor Mittal, pour l’empêcher de s’implanter dans l’est du Jharkhand. Et pour cause : une telle arrivée aurait forcé le déplacement de plus de 40 villages. Emprisonnée à plusieurs reprises, censurée, menacée, Dayamani Barla se bat pour que les terres indiennes, sources de revenus et d’alimentation, soient préservées. Elle joue aussi un rôle politique important dans la revendication des biens communs pour toutes et tous.

Alexandra Kollontaï (1872-1952)
Communisme et émancipation des femmes

Alexandra Kollontaï © Candela Sierra, pour axelle magazine

Alexandra Kollontaï naît dans une famille aristocratique qui lui autorise l’accès aux études – ce qui n’est pas le cas de l’écrasante majorité des femmes russes à l’époque : 92 % sont illettrées. Dans la société russe extrêmement hiérarchisée, elle se fait rapidement remarquer. Et pour cause : Alexandra Kollontaï croit au socialisme, au communisme et se bat farouchement pour la lutte des classes. Elle participe à la première conférence – entrée dans l’histoire – de l’Internationale socialiste des femmes le 17 août 1907 en Allemagne et fréquente de près Clara Zetkin et Rosa Luxemburg. Elle se bat pour faciliter le divorce et défend “l’amour-camaraderie”. Elle dénonce le stigmate qui pèse sur les femmes en situation de prostitution et lutte pour garantir aux deux sexes l’accès à la santé. Dans le gouvernement des Soviets,  de novembre 1917 à mars 1918, elle sera la première femme ministre. Elle est à l’origine de la revue féministe La Communiste ainsi que de Jenotdel, le département chargé de l’action auprès des femmes du parti communiste bolchevique. Pour elle, le communisme ne pourra se déployer pleinement qu’avec une participation active des femmes, ce qui nécessite l’arrêt de leur exploitation…

Patricia Gualinga (née en 1974)
Forêt vivante

Patricia Gualinga © Candela Sierra, pour axelle magazine

En Équateur, le combat pour préserver la nature est une affaire de femmes. Parmi elles, un nom, celui de Patricia Gualinga, dirigeante indigène des Kichwas de la communauté de Sarayaku. Dans sa famille, militer pour préserver la terre est un héritage commun. Elle le souligne elle-même : toutes les femmes qui l’entourent sont fortes, courageuses et téméraires. Pour Patricia Gualinga, la forêt est vivante, tous les éléments naturels sont reliés par un fil invisible au reste de la planète et que seules les exploitations sont responsables de la destruction de ces liens sacrés. Dans cette idée de nature comme bien commun essentiel, elle se bat auprès de sa communauté au péril, parfois, de sa vie : elle a subi menaces de mort et agressions physiques. En 2012, les Kichwas ont obtenu une victoire historique. Une concession pétrolière avait installé des explosifs sur leur territoire sans les avoir consultés. Après une longue bataille, la Justice a tranché en leur faveur, occasionnant une indemnisation et le retrait de la dangereuse concession. Depuis, Patricia Gualinga n’a de cesse de résister pour que les terres de son peuple soient préservées. L’écoféminisme équatorien contre l’inertie gouvernementale.

Ellen Kuzwayo (1914-2006)
Des droits humains, communs à tous·tes

Ellen Kuzwayo © Candela Sierra, pour axelle magazine

Ellen Kuzwayo est née dans une Afrique du Sud oppressive du début du 20e siècle où les droits des femmes et des Noir·es étaient inexistants. Aux côtés de grandes figures pour la liberté telles que Nelson Mandela, cette activiste pour la démocratie a dédié sa vie à faire de son pays un lieu plus égalitaire et plus sûr en s’opposant, principalement, à l’État apartheid. Que ce soit à travers l’éducation des jeunes femmes, à travers son œuvre littéraire ou au sein de différents groupes politiques dans lesquels elle a milité, Ellen Kuzwayo a contribué à des bouleversements majeurs dans son pays. Après le soulèvement des écolier·ères de la banlieue noire de Soweto en 1976 et sa répression féroce par la police sud-africaine, elle passera cinq mois en prison – sans chef d’accusation. En 1985, alors que le régime d’apartheid est toujours en place, elle publie Call Me Woman, une autobiographie qui aura un grand retentissement. À l’âge de 79 ans, lors des premières élections non raciales en 1994, elle est élue députée. “C’est une femme qui s’est battue non seulement pour elle-même, sa famille et sa communauté, mais aussi pour son pays et pour son peuple, pour les personnes qui ne pouvaient pas se battre pour elles-mêmes”, décrivait l’une de ses biographes, Laura Wilson. Pour que les droits soient “communs” à toutes et tous.