Crise migratoire en Biélorussie : “Il y a forcément plus que dix morts, avec des températures jusqu’à – 30 degrés”

La Fondation Ocalenie vient en aide aux réfugiés tentant de gagner la Pologne par la Biélorussie. Une de ses membres, Agata Kolodziej, raconte les terribles conditions qu’affrontent ces migrants.

Par Hélène Bienvenu

Publié le 17 novembre 2021 à 17h50

Depuis cet été, des milliers de réfugiés issus du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne tentent de traverser la frontière orientale de la Pologne en passant par les forêts de la Biélorussie. Ce phénomène migratoire, orchestré par le très autoritaire Alexandre Loukachenko — aux commandes depuis vingt-sept ans à Minsk —, a déjà fait au moins dix victimes côté polonais. Agata Kolodziej, employée de la Fondation Ocalenie, fait partie de ces nombreux Polonais qui viennent au secours des réfugiés. Des activistes qui ne peuvent intervenir qu’en dehors de la zone d’état d’urgence, ces cent quatre-vingt-trois localités polonaises collées à la frontière, mais qui recueillent depuis des mois les témoignages des réfugiés qui ont réussi à passer la frontière.

Agata Kolodziej, employée de la Fondation Ocalenie, en octobre 2021.

Agata Kolodziej, employée de la Fondation Ocalenie, en octobre 2021. Photo Kasia Strek

Que se passe-t-il actuellement dans les forêts de Podlachie depuis qu’un large campement de réfugiés s’est établi au passage frontalier de Kuznica-Bruzgi le 8 novembre ? 
On ne le sait pas réellement car on ne peut pas entrer dans la zone d’état d’urgence. Aucun réfugié se trouvant du côté bélarusse n’a, semble-t-il, réussi à traverser la frontière aux alentours du passage de Kuznica-Bruzgi depuis le 8 novembre. L’armée polonaise y est très présente et on dirait que, du côté bélarusse, les réfugiés sont transportés et concentrés là-bas. Une chose est sûre : nous avons dernièrement reçu beaucoup moins d’appels à l’aide de la part de réfugiés en détresse côté polonais.

L’une de nos dernières interventions remonte à dimanche et se situait à presque 50 kilomètres de la frontière. Il s’agissait de deux frères venus de Syrie qui avaient passé quatre jours dans la forêt. Ils étaient dans un état tellement lamentable qu’ils ne pouvaient pas parler et ont été transportés à l’hôpital, où ils demeurent toujours. D’une façon générale, les réfugiés que nous avons pu aider sont tous désespérés. Les refoulements sont quasi systématiques. Certains d’entre eux sont expulsés pour la sixième, septième, huitième, neuvième fois et passent dix à douze jours dans la forêt. Ils veulent juste de l’aide, et les autorités polonaises la leur refusent.

Que deviennent les réfugiés transportés à l’hôpital comme ces deux Syriens ? 
Il y a des chances qu’ils soient reconduits à la frontière une fois rétablis. Certains réfugiés demandent l’asile, surtout quand ils sont épaulés par l’aide juridique que nous essayons de leur offrir, mais les autorités polonaises ignorent souvent ces demandes, même quand elles sont formulées devant les médias. La loi polonaise permet désormais de procéder au refoulement de tous les réfugiés même si cette pratique va à l’encontre des conventions internationales que la Pologne a signées. Le pire, c’est que la plupart de ces personnes viennent de Syrie, d’Afghanistan ou du Yémen… et n’ont nulle part où rentrer, car ils viennent de pays en guerre.

Deux membres d’un groupe de sept Somaliens, dont quatre mineurs, sont raccompagnés à la frontière par les gardes-frontières polonais, le 25 octobre.

Deux membres d’un groupe de sept Somaliens, dont quatre mineurs, sont raccompagnés à la frontière par les gardes-frontières polonais, le 25 octobre. Photo Kasia Strek

Une dizaine de réfugiés ont déjà péri dans les forêts et les marécages de Podlachie, côté polonais. Redoutez-vous un bilan plus lourd ? 
Il y a forcément eu bien plus que dix morts dans les forêts de la zone d’état d’urgence, notamment dans les recoins marécageux. C’est ce que nous racontent ceux qui y vivent. Je pense que c’est aussi pour cela que les autorités polonaises ont « besoin » de cette zone, pour mieux cacher ce qui s’y passe. À l’avenir, on ne peut que redouter davantage de décès car il commence à faire vraiment froid. Les températures peuvent atteindre – 30 degrés ici. La condition physique des réfugiés que nous prenons en charge s’est déjà nettement détériorée.

Les réfugiés que vous rencontrez s’attendaient-ils à des conditions aussi difficiles ? 
Non, ils ne sont souvent pas habillés pour faire des séjours dans la forêt dans de telles conditions. L’un des deux Syriens recueillis dimanche n’était par exemple vêtu que d’un sweat-shirt et d’une veste. Les réfugiés se composent généralement de deux catégories : ceux qui ont le projet de rejoindre leur famille, et ceux qui ne savent pas où ils vont. Dans tous les cas, ils sont très surpris d’être à ce point maltraités par les officiels bélarusses et souvent désorientés car ils ne choisissent pas l’endroit où ils traversent la frontière, les forces bélarusses le décident pour eux. À Hajnowka, en Pologne, un groupe nous a ainsi demandé à combien de kilomètres se trouvait l’Allemagne [la distance est d’au moins 700 km, ndlr] !

Ibrahim Sangar, un Irakien de 26 ans, raconte avoir été volé, tabassé et électrocuté par les gardes lithuaniens et bélorusse. Le 1er novembre, il était près de Fracki, en Pologne.

Ibrahim Sangar, un Irakien de 26 ans, raconte avoir été volé, tabassé et électrocuté par les gardes lithuaniens et bélorusse. Le 1er novembre, il était près de Fracki, en Pologne. Photo Kasia Strek

Vous intervenez depuis cet été à la rescousse des réfugiés en détresse du côté polonais de la frontière, comment procédez-vous ? 
En général nous intervenons car nous connaissons l’existence d’un groupe qui a besoin d’aide : soit parce que de la famille a trouvé notre contact, soit parce que d’autres bénévoles [notamment ceux d’un collectif dit Grupa Granica, ndlr] ou des résidents nous en ont parlé. Dans la plupart des cas, les réfugiés savent donc que nous allons à leur rencontre et ne nous craignent pas, même s’ils restent sur leurs gardes. Il est cependant parfois arrivé que la peur l’emporte et qu’ils nous demandent de laisser le ravitaillement dans un lieu défini pour éviter tout contact.

► Lire aussi : En Biélorussie, leur courage, notre honte

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