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Jamais contents : mais pourquoi les Français se disent-ils si malheureux alors que l’institut Montaigne les voit à 80 % plutôt heureux ?
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Syndrome d'Astérix

Près de 80% des Français se disent heureux, surtout les bretons, mais 44% se plaignent d’avoir du mal à terminer leur fin de mois. C’est quand même étonnant parce que les mêmes n’arrêtent pas de se plaindre de tout. On dira que ces contradictions sont bien françaises. Astérix oui, mais ça n’explique pas tout. 

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’étude en profondeur réalisée par l’institut Montaigne est assez étonnante, puisque dans un contexte de crise pandémique et d’incertitudes économiques, dans une ambiance plaintive, larmoyante ou désolée, l’institut Montaigne constate que les Français sont majoritairement heureux. Quand on met bout à bout toutes les composantes avouées du bonheur, ils reconnaissent qu’ils sont heureux. 

Pour les Français, il y a six sources de bonheur. La santé d’abord, ils sont 52 % à la citer comme la première cause de leur félicité. En deuxième position, les enfants, qui épanouissent 48 % des répondants. Viennent ensuite l'argent (45 %), les relations amoureuses (43 %), l'impression que la vie a un sens (39 %) et la sécurité (34 %). On n'est loin des litanies que les politiques se repassent en boucle à longueur de plateaux télé. Bien aidés par les médecins, bien relayés par les réseaux sociaux.  

Mais attention : « ceux qui vivent heureux vivent cachés, discrets ».  On est, semble-t-il, plus heureux en Bretagne qu’en Île de France. 

Les opinions sont fragiles, ce qui est solide et rationnel, c’est l’ensemble des atouts que proposent les territoires plébiscités : l’art de vivre, la météo, l’environnement conjugué à l’attractivité économique et plus de sécurité, aussi.

En tête de liste, la Bretagne, championne toute catégorie grâce à la mer, au relief, à l’environnement et à la grande richesse de son tissu économique. La Bretagne aujourd’hui, c’est le zéro carbone (ou presque), le zéro immigration (ou presque) et le zéro chômage (ou presque).

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Alors, ce qui est intéressant, c’est que ce bonheur partagé par le plus grand nombre correspond à un moment où le stress causé par la pandémie s’est un peu éloigné, le système de santé a retrouvé la confiance des assurés sociaux, la vie presque normale a repris ses droits. Les cafés sont ouverts, les théâtres aussi et l’équipe de France de football a réussi à gagner son ticket pour la Coupe du monde. Tout cela crée objectivement un climat plus serein. D’autant que la situation économique et sociale est bien meilleure. La croissance est forte, les investissements progressent, le digital est partout, la lutte pour le climat n’est plus taboue et même le chômage recule.

Alors tout va bien ? 

Sans doute, mais alors pour quelles raisons les Français, se plaignent de la situation, vitupèrent contre tout pour finir dans un profond pessimisme. Tout est bon pour casser le moral, quelle imagination ! 

Quelques exemples:

« l’inflation ma bonne dame, vous verrez »

« on n’aura jamais de retraite »

« et mon petit dernier qui ne trouve pas de boulot »  

« et le prix de l’essence,  vous avez vu le prix de l’essence ? »

« quand je pense que je ne parviens pas à obtenir un rendez-vous chez le dermato avant trois mois »

« je ne vous parle pas des impôts, vous verrez la dette, il faudra la rembourser, ils distribuent trop d’argent à tout le monde »

Après le « quoi qu’il en coute », c’est le « tout va mal ». 

Objectivement, il y a en France des catégories sociales qui vivent très mal, mal nourries, mal logées, mal soignées. Objectivement, il y a des Français en galère, des jeunes surtout et des vieux. 

Mais objectivement, la majorité des Français heureux sont aussi affreusement pessimistes. C’est une forme du « en même temps » que n’avait pas anticipée Emmanuel Macron. Le président serait-il parvenu à marier en même temps le tout va mal et le tout va mieux ?

Le peuple français a cet incroyable talent pour le bonheur quand il s’agit de parler de soi  ou de sa famille (moi ? ca va !) mais une incroyable capacité au pessimisme quand il s’agit des autres ou de l’avenir, ce qui donne :  ça va se terminer très mal.  

Alors, pourquoi sommes-nous aussi sombres ? Les économistes savent analyser les différences entre les faits et le ressenti des faits. C’est vrai pour le pouvoir d’achat. La réalité statistique est plutôt favorable, le ressenti lui est très négatif et ça s’explique. 

Mais au-delà de ce phénomène du ressenti, il y a sans doute d’autres facteurs qu’il faut prendre au sérieux. 

Le pessimisme collectif ne date pas de la crise du Covid. Il est très ancien, il est presque inscrit dans notre ADN, nous sommes beaucoup plus pessimistes que les peuples des autres pays de l’Ocde. 

Il y a presque dix ans maintenant, Gaël Brulé, sociologue à l’université Erasmus de Rotterdam, avait consacré une thèse de sociologie comparative à la perception du bonheur. Après avoir vécu en Suède, aux États-Unis et aux Pays-Bas, il avait rejoint l’équipe de Rotterdam, de psychologie positive et de recherches sur le bonheur. Cinq ans de doctorat à sonder la macrohistoire et les différences entre pays, pour expliquer notre mental collectif. Résultat : « les Français ont le sentiment que leur destin leur échappe, qu’ils ne sont pas maîtres de leurs choix ». A cause de leur système politique, administratif, mais aussi scolaire très hiérarchisé, ultra concentré. 

Alors, il y a le jacobinisme certes, qui ne nous encourage pas à prendre nos responsabilités. L’empreinte catholique et sa hiérarchie, également.   

Selon Gaël Brulé, pour être heureux et optimiste, il faut pouvoir contribuer aux décisions. « Adhérer aux choix collectifs et sentir son impact sur l’environnement font partie des principales forces qui contribuent au bonheur de l’individu ». De l’avis de l’auteur, « se dire très heureux au pays des Lumières peut même être perçu comme un aveu d’échec de la pensée, la manifestation d’un manque d’esprit critique », sauf que les pessimistes font figure de loosers au-delà de nos frontières. Presque dix ans ont passé et le sentiment d’assistance s’est encore accru. La part des dépenses publiques dans le PIB aussi. 

Si l’analyse est vraie, nos gouvernants se trompent complètement. Eux qui cherchent à tout prix à sécuriser l’Etat providence, l’Etat qui protège et qui fait tout à la place de l’individu. La crise pandémique n’a pas arrangé la situation. Parce que si cette analyse est avérée, la gouvernance Macron, en voulant faire notre bonheur quoi qu’il en coute, nous a rendu très pessimiste et désolé. A vous dégouter de vouloir être président.  

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