Au lendemain de la journée de mobilisation la plus sanglante que le Soudan ait connu depuis le coup d’Etat du 25 octobre, le nouveau pouvoir militaire a rétabli, jeudi 18 novembre, la connexion Internet. Coupée depuis le putsch du général Abdel Fattah Al-Bourhane, son rétablissement était réclamé aussi bien par les Nations unies que par des ambassadeurs occidentaux, des militants et même des juges soudanais.
Jusqu’ici sourds à ces appels, les généraux avaient encore isolé le pays, mercredi, en coupant aussi les communications téléphoniques. Mais après un déchaînement de violence inédit – au moins quinze manifestants ont été tués, durant la seule journée de mercredi, par les forces de l’ordre, et des dizaines d’autres, blessés par balles – le nouveau pouvoir a desserré l’étau. Après avoir rétabli le téléphone dans la nuit, la connexion Internet a été recouvrée dans l’après-midi.
Alors que l’organisation non gouvernementale NetBlocks constatait qu’internet était effectivement « partiellement restauré », des militants sur les réseaux sociaux appelaient les Soudanais à mettre en ligne vidéos et informations sur les manifestations de la veille. Car mercredi est et restera, pour les antiputsch, la journée du « massacre ». A Khartoum-Nord uniquement, au moins onze manifestants ont été tués par des forces de sécurité qui visaient, selon un syndicat de médecins prodémocratie, « la tête, le cou ou le torse ».
Condamnations internationales
Ailleurs dans la capitale et à travers le Soudan, les défilés se sont dispersés avant la nuit de mercredi à jeudi, mais à Khartoum-Nord, les antiputsch continuaient de défendre leurs barricades, jeudi, répondant aux tirs de lacrymogènes par des jets de pierres.
Lors des précédentes grandes manifestations, de nombreuses capitales ont mis en garde les généraux, mais cette fois-ci, l’Organisation des Nations unies (ONU) n’a condamné que le lendemain des tirs à balles réelles « tout à fait honteux ». L’Union européenne (UE) a, elle, dénoncé « des tueries insensées inacceptables », tandis que Clément Voule, rapporteur de l’ONU pour la liberté d’association, a appelé « la communauté internationale à faire pression sur le Soudan pour faire cesser immédiatement la répression ».
Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a également condamné jeudi la répression violente des forces de l’ordre, exhortant l’armée à autoriser les manifestations pacifiques. « L’armée doit respecter les droits des civils à se réunir pacifiquement et à exprimer leurs opinions », a déclaré M. Blinken lors d’une conférence de presse dans la capitale nigériane Abuja, se disant « profondément préoccupé » par les violences de la veille.
« Ni négociations, ni partenariat, ni compromis »
Les actions violentes du pouvoir militaires avaient clairsemé les troupes civiles ces derniers jours : les manifestants étaient des dizaines de milliers à défiler, les 30 octobre et 13 novembre, mais seulement quelques milliers mercredi. Jeudi, les appels à la « désobéissance civile » n’ont, de la même manière, rencontré aucun écho dans la rue où la circulation avait repris normalement.
Alors que le souvenir de la mort de 250 manifestants lors de la révolte ayant mis fin, en 2019, à trente ans de dictature d’Omar Al-Bachir est encore vivace, l’Association des professionnels soudanais a assuré que la répression ne faisait que « conforter les slogans » scandés depuis le 25 octobre : « ni négociations, ni partenariat, ni compromis » avec l’armée. « Nous continuerons à manifester pacifiquement jusqu’à la chute des putschistes », renchérit le plus grand parti du pays, Oumma, alors que militants, journalistes ou simples passants ont été arrêtés par centaines.
« Trouver une voie de sortie »
Mercredi soir, le syndicat des médecins accusait aussi les forces de sécurité de pourchasser les opposants au putsch jusque dans les hôpitaux et de tirer des lacrymogènes sur des blessés et des ambulances. Assurant n’avoir jamais ouvert le feu, la police, elle, ne recense qu’un seul mort et trente blessés parmi les manifestants à Khartoum-Nord du fait du gaz lacrymogène, contre 89 policiers blessés.
Le 25 octobre, le général Bourhane a rebattu les cartes d’une transition chancelante depuis des mois. Il a fait rafler la quasi-totalité des civils au sein du pouvoir et mis un point final à l’union sacrée formée en 2019 par civils et militaires. Il s’est aussi, depuis, renommé à la tête des autorités intérimaires, en écartant les membres partisans d’un pouvoir exclusivement civil.
Mais pour les Etats-Unis, « tout le monde veut trouver une voie de sortie », a déclaré un haut fonctionnaire dans l’avion de M. Blinken. « Il y a vraiment de quoi trouver un moyen d’avancer », a-t-il ajouté, alors que le secrétaire d’Etat a promis que le monde soutiendrait de nouveau le Soudan si « l’armée remet[tait] le train [de la transition] sur les rails ».
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