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Affaire Tapie : violente charge contre Stéphane Richard

Le procureur général près la Cour des comptes accuse l'ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde d'entrave dans le dossier qui a conduit à un arbitrage favorable à M. Tapie en 2008.

Par  et

Publié le 18 avril 2014 à 10h36, modifié le 19 avril 2014 à 07h38

Temps de Lecture 6 min.

Stéphane Richard, le PDG d'Orange, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, le 25 juin 2013 à Paris.

Les phrases claquent, violentes, au long de 121 pages sans concession sur l'’affaire Tapie. Dans sa décision de renvoi devant la cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) dont Le Monde a eu connaissance, le procureur général près la cour des comptes, Gilles Johanet, se montre particulièrement virulent à l’'égard de Stéphane Richard, patron d'’Orange, récemment reconduit à la tête de l'’opérateur semi-public, et des anciens hauts fonctionnaires Jean-François Rocchi et Bernard Scemama. Il leur est reproché d’'avoir favorisé le recours à l'’arbitrage ayant permis à l’'homme d’'affaires Bernard Tapie d’'obtenir 405 millions d'’euros, en juillet 2008, à l'’issue d’un processus considéré par les enquêteurs comme un « simulacre d’'arbitrage ».

Le document revêt la forme d’'un véritable réquisitoire, signé le 20 novembre 2013, nourri des avancées des deux procédures judiciaires toujours pendantes devant le tribunal de grande instance de Paris et la Cour de justice de la République. En ce sens, la décision de renvoi semble préfigurer l’'issue judiciaire des enquêtes en cours. « Le comportement de M. Richard, conclut M. Johanet, pris en sa qualité de directeur du cabinet du ministre (Christine Lagarde, ministre de l’'économie 2007-2011), est de nature à porter atteinte au crédit et à la confiance que tout citoyen accorde aux instances gouvernementales et à l'’Etat d’'une manière générale. »

Il l'’accuse d’'entrave : « Par ses agissements, en négligeant d'’informer les services de l’'agence des participations de l'’Etat (APE, opposé à tout arbitrage) de ses décisions, même irrégulières, il (M. Richard) a entravé le bon exercice par ce service de sa mission, l’empêchant notamment de correctement apprécier les risques encourus. » Quant à MM. Scemama et Rocchi, respectivement présidents de l'’EPFR et du CDR, deux établissements publics chargés de solder le passif du Crédit lyonnais dans le conflit l'’opposant à Bernard Tapie, ils ne trouvent pas plus grâce à ses yeux : « Les infractions relevées à l'’encontre de MM. Scemama et Rocchi ne peuvent être prises pour de la simple négligence, explique le magistrat, chacun d’'entre eux ayant sciemment trompé, à plusieurs reprises, son propre conseil d’'administration ».

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Les trois hommes sont passibles de fortes amendes, la CDBF étant chargée de sanctionner les infractions à l'’ordre public financier. Les justiciables de la CDBF sont les fonctionnaires civils et militaires, les gestionnaires des organismes et collectivités soumis au contrôle de la Cour des comptes, ainsi que les membres de cabinets ministériels et les comptables publics. Les infractions retenues sont notamment « l'’octroi à autrui d'’un avantage injustifié » ou les « agissements manifestement incompatibles avec les intérêts » que les hauts fonctionnaires étaient chargés de défendre.

Dans ce réquisitoire au vitriol, M. Johanet démonte patiemment le mécanisme ayant permis de satisfaire les demandes des époux Tapie. Car il s'’agissait bien de cela, selon M. Johanet : M. Richard a fait « peu de cas de la compétence et du sens de l'’intérêt général des services de l'’Etat (...) Cette action délibérée, prenant au demeurant des formes manifestement irrégulières, a permis de faire droit à l’'essentiel des prétentions des époux Tapie et à indemniser ces derniers pour des montants très supérieurs à ceux qu'’il était raisonnable d'’envisager », si la voie judiciaire, dégagée par un arrêt de la cour de cassation en 2006, avait été suivie. Au lieu de cela, c'’est un processus d'’arbitrage, avec un tribunal de trois arbitres, Pierre Estoup, mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », Jean-Denis Bredin et Pierre Mazeaud, témoins assistés, qui a fini par contenter les époux Tapie, à hauteur de 405 millions d'’euros, dont 45 millions pour un préjudice moral.

« RÔLE CENTRAL DE M. RICHARD »

Un homme semble à la manœoeuvre, selon M. Johanet. Il s’agit de M. Rocchi, qui s'’entoure d’'avocats du cabinet August-Debouzy dès février 2007, et « va très vite s’'engager dans une voie opposée à celle qu'’avait suivie jusqu'’alors son prédécesseur ». Et le magistrat d'’asséner : « En réalité, M. Rocchi a laissé le champ libre à Me August dans ses négociations avec Me Lantourne, avocat de M. Tapie (...…) Les interventions du cabinet August apparaissent systématiquement orientées en faveur de l’'arbitrage. » Moyennant des honoraires de 4 145 000 euros.

« Le conseil d'’administration du CDR est par ailleurs tenu à l’'écart par son président (M. Rocchi) des échanges alors même que ce dernier en connaît parfaitement la teneur (...…) Il a surpris la bonne foi des administrateurs qui estimaient qu’'il remplissait ses fonctions avec loyauté. » Et le magistrat d’'accuser : « M. Rocchi se montre d’'une discrétion qui confine à la dissimulation dans l'’information qu'’il donne à ses tutelles (...) Il va faire courir à sa société un risque majeur. »

Selon M. Johanet, il va transmettre à l’'EPFR des « informations dont il savait parfaitement qu’elles étaient erronées », de telles « dissimulations répétées ne peuvent résulter que d'’un choix délibéré et orienté de gestion personnelle du contentieux Tapie ». M. Richard est alors à la tête du cabinet de Mme Lagarde, à Bercy. Une note de l’'APE datée du 1er août 2007 met en exergue les risques inhérents à l’'arbitrage. Mais « M. Richard, assure le procureur, n'’a pas jugé utile de transmettre ce document à la ministre. » Au contraire, « il impose à l'’APE de revenir sur sa position défavorable à l’'arbitrage ». Et la cour des comptes de pointer le « rôle central de M. Richard dans l’'élaboration du compromis d’'arbitrage, il va en réalité intervenir directement dans l’'élaboration de la solution arbitrale par un contact personnel avec M. Tapie ».

« JE N’AI FAIT QU’EXÉCUTER LES ORDRES DE MME LAGARDE »

Sans parler de la fameuse note du 23 octobre 2007, signée par Mme Lagarde, ouvrant le champ à l’'arbitrage, « préparée par M. Richard, envoyée à l'’insu de cette dernière (Mme Lagarde) directement par l’'interessé » à M. Scemama. Celui ci a « sans avoir consulté son conseil d’'administration, immédiatement relayé cette note ».

En fin de carrière, voire au bord de la retraite, M. Scemama a, d’'après M. Johanet, « une conception particulièrement réduite et limitée » de son rôle à la tête de l'’EPFR. Nommé à la va-vite, de manière « surprenante » selon le magistrat, il ne va pas chercher « à mettre en œuvre les moyens de contrôle » dont il disposait. Attitude « assez peu responsable », actes « lourdement critiquables », M. Scemama, qui venait d’'être condamné par la CDBF dans une affaire distincte, est éreinté par la décision de renvoi Il lui ainsi est reproché de « s’'être affranchi des contraintes de sa fonction pour se contenter d'’être le simple exécutant de l’'autorité ministérielle ». Au final, estime le procureur général, le tribunal arbitral « s’'est manifestement écarté de la mission qui lui était confiée », en délivrant une condamnation  d'’« un montant exorbitant et totalement disproportionné ».

Interrogé, M. Richard assure ne pas comprendre cette décision de renvoi. « Je n’ai fait qu’exécuter les ordres de la ministre – Mme Lagarde –, ce qu’a démontré la confrontation avec celle-ci, en mars 2014. Cette décision de novembre 2013 se base sur l’enquête judiciaire, or celle-ci a considérablement progressé. J’estime avoir agi en exécutant et en protégeant à tout moment les finances publiques. » Conclusion sans appel : « Il existe des indices graves et concordants pour que derrière la procédure d’arbitrage se dissimule, en réalité, une action concertée et préméditée de longue date visant à faire droit aux prétentions jusqu’alors jugées inacceptables des époux Tapie ». Mais cela, c’est maintenant l’affaire de l’enquête menée par les juges d’instruction….

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