Comment Facebook et Google financent des milliers de fermes à clics propagatrices de fausses infos

Facebook ne se contente pas d’amplifier la désinformation, il la finance. Une enquête du MIT Technology Review révèle que les fermes à clics diffusant fake news et contenus pièges à clics s’enrichissent grâce aux outils publicitaires de Facebook et Google. 

Dans le business de la désinformation, il y a ceux qui propagent des fake news par idéaux politiques, et ceux qui ne s’intéressent qu’au profit. C’est le cas des fermes à clics installées au Cambodge, en Birmanie, au Kosovo ou encore en Macédoine. Elles diffusent des contenus pièges à clics, articles plagiés et fake news dans le seul but de générer des profits publicitaires. Le MIT Technology Review vient de publier une enquête fouillée sur ces producteurs de fausses infos et la manière dont ils sont financés par les géants de la tech.

« Depuis quelques semaines, les Facebook Papers et les révélations de Frances Haugen (...) ont réaffirmé ce que des organisations disent depuis des années : l'algorithme de Facebook (...) combiné à son incapacité à bien modérer en dehors des États-Unis et de l'Europe, a alimenté la propagation de discours de haine et de désinformation, déstabilisant dangereusement les pays du monde entier. (...) Mais il manque un élément clé à cette histoire : Facebook ne se contente pas d’amplifier la désinformation. L’entreprise la finance également », écrit la journaliste Karen Hao en guise d'introduction

« Instant Articles » : cash instantané

Elle vise notamment un outil de Facebook. Il s’appelle Instant Articles. Il permet d’afficher un article directement sur Facebook, plutôt que de l’ouvrir dans un navigateur lorsqu’on clique dessus. Cela permet à la firme de Mark Zuckerberg nouvellement rebaptisée Meta de conserver la mainmise sur l’espace publicitaire. Car lorsque l’article s’ouvre dans un navigateur, c’est généralement Google qui rafle la mise. Le programme n’intéresse pas vraiment les médias traditionnels, mais en revanche il attire des fermes à clics qui y voient un moyen facile d’obtenir des revenus publicitaires. Facebook n’étant pas très regardant sur le type d’éditeurs de contenus autorisés à utiliser Instant Articles, explique Technology Review. De plus, l’entreprise ne pénalise pas vraiment la reproduction d’articles identiques d’un éditeur à l’autre – autrement dit : le plagiat

Une ferme à clics peut ainsi créer plusieurs sites d’infos bidons, les inscrire au programme Instant Articles de Facebook, leur faire diffuser les mêmes articles pièges à clics. Facebook y insère des publicités, qui permettent aux fermes (mais aussi à Facebook) de générer des revenus. Ces articles sont ensuite partagés par des dizaines de comptes, eux aussi gérés par la ferme à clics, pour maximiser leurs chances d'être vus. Ce petit manège permet aux fermes de gagner plusieurs dizaines de milliers de dollars par mois, estime le MIT Technology Review, versés directement par Facebook

Des célébrités aux appels au génocide

Pour choisir les sujets diffusés, les fermes à clics ne s’intéressent qu’à leur potentiel de viralité. Elles s’intéressent donc aux contenus mis en avant par l’algorithme de Facebook (ceux qui suscitent de l’engagement, des likes et des commentaires). Une page gérée par une ferme peut ainsi diffuser des contenus s’intéressant aux droits des personnes LGBTQ+, puis d’un coup publier de (fausses) informations sur d’éventuelles fraudes pendant l’élection de 2020 aux États-Unis ; partager des news croustillantes sur les célébrités puis diffuser des articles de propagande pro-Duterte pendant les élections aux Philippines… Car tous ces types d’articles ont un point commun : ils fonctionnent bien sur Facebook. Les fermes diffusent des articles dans différentes langues (l’anglais, mais aussi le français, l’espagnol), pas uniquement celles de leur pays d’origine.

Un problème mondial

MIT Technology Review estime que le nombre de fermes à clics se compte en milliers et que le problème est mondial. Elles sont installées dans des régions où les revenus publicitaires permis par Facebook constituent une alternative plus intéressante que les emplois disponibles. Les fermes sont tenues par des individus seuls ou des groupes de personnes. Elles publient des articles, mais aussi des contenus vidéos, de faux lives sur Facebook et Instagram grâce à des outils automatisés à bas coût. 

Les conséquences de cette pratique ? Le MIT Technology Review cite l’exemple du génocide des Rohingyas en Birmanie, que Facebook a été accusé d’encourager. Pour le média, l’utilisation massive d’Instant Articles par des fermes à clics à partir de 2016 a contribué à l’essor de contenus incitant à la haine et au génocide anti-musulman, et à éclipser les médias traditionnels birmans sur Facebook

Facebook nie le problème mais démonétise certaines pages

Interrogé, un porte-parole de Facebook a minimisé les conclusions de cette enquête et estimé que le journal ne comprend pas le problème. Mais le MIT Technology a constaté que depuis leur interview, Facebook a démonétisé certaines pages associées à des fermes à clics au Cambodge et au Vietnam. 

Google participe lui aussi au financement de ces fermes via sa régie publicitaire AdSense. L’entreprise aurait déjà démonétisé toutes les chaînes responsables de désinformation identifiées par le média. 

Pour plus de détails, nous vous encourageons vivement à lire cette enquête plus qu'utile.

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Notre société mondialisée est tellement vérolée qu’elle peut sembler éthiquement irrécupérable, d’où la question de son explosion probable pour gérer sa frustration galopante par une violence animale de survie, doublée d’une autre celle là plus intelligemment thérapeutique, celle de l’élimination d’êtres maléfiques comme Zuckerberg et ses entreprises de destruction humanitaire. A quoi servent les services secrets, si ce n’est d’être sans doute aux ordres de politiques tout aussi corrompus ?

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