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Abeilles

Le plan pour les abeilles n’empêchera pas l’hécatombe

Le gouvernement a publié le 21 novembre un plan visant à freiner l’effondrement des pollinisateurs. Si ces directives protègent mieux les abeilles, elles échouent à s’attaquer au problème de fond, regrettent les associations environnementales.

En 2020, dans l’espoir de faire oublier la réintroduction des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles », le gouvernement avait promis un nouveau plan en faveur des pollinisateurs. C’est désormais chose faite. Dimanche 21 novembre, le ministère de la Transition écologique et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ont annoncé le lancement d’un plan national en faveur des insectes pollinisateurs, accompagné d’un nouvel arrêté « renforçant la protection des abeilles ». Un premier pas encourageant, selon les organisations environnementales, mais largement insuffisant pour mettre fin à l’hécatombe de ces animaux essentiels.

Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une espèce d’abeille sauvage sur dix est aujourd’hui menacée d’extinction en Europe. Au cours des vingt dernières années, les taux de mortalité observés au sein des ruches françaises ont fortement augmenté. Ils dépassent désormais fréquemment les 30 %, alors que le taux de pertes considéré comme « normal » par les apiculteurs s’élève à 10 %. La production de miel hexagonale a également été divisée par deux en vingt ans. Parmi les causes de cet effondrement, on peut citer le dérèglement climatique, la diminution du nombre de plantes permettant aux pollinisateurs de se nourrir, et surtout l’exposition des insectes aux pesticides.

Épandage limité

Avec ce nouveau plan, l’ambition du gouvernement est « d’enrayer » le déclin des pollinisateurs. Le dispositif s’articule autour de huit « actions phares », dont trois ont trait à l’amélioration des connaissances scientifiques. L’exécutif souhaite notamment mettre au point des « listes rouges » d’espèces particulièrement menacées, et acquérir de nouvelles connaissances sur leurs « facteurs de stress ». Il prévoit également de promouvoir les actions favorables aux insectes pollinisateurs auprès de plusieurs secteurs d’activités (comme l’agriculture, la sylviculture ou encore l’industrie), de mettre en place des partenariats avec le conseil national des villes et villages fleuris afin de « renforcer [leur] prise en compte par les collectivités », ou encore de soutenir financièrement la filière apicole. Le renforcement de la protection des pollinisateurs lors de l’utilisation des pesticides n’apparaît qu’en huitième et dernière position.

« Étant donné l’énorme contrainte qu’il y a pu y avoir vis-à-vis du secteur agricole, il est déjà satisfaisant que ce plan ait pu aboutir dans ces termes-là, salue Samuel Jolivet, directeur de l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie). C’est un bon premier pas, d’un point de vue pragmatique et réaliste. » L’arrêté qui accompagne ce plan contient en effet quelques avancées pour les abeilles et les insectes pollinisateurs. À partir du 1er janvier 2022, en période de floraison, les agriculteurs ne pourront plus épandre de pesticides que dans les deux heures qui précèdent le coucher du soleil et dans les trois heures qui le suivent. Cette mesure a pour objectif de limiter l’exposition des nombreux pollinisateurs butinant durant la journée.

Autre nouveauté : les herbicides et les fongicides ont été intégrés à la liste des substances réglementées durant la période de floraison. Auparavant, seule l’utilisation d’insecticides et d’acaricides était interdite durant cette période de l’année où les pollinisateurs sont le plus actifs. Tous ces produits devront désormais être réévalués par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avant de pouvoir être utilisés durant la période de floraison.

« Cet arrêté ne protégera pas les abeilles »

Si ce texte répond « en partie » aux enjeux de protection des pollinisateurs, ses nombreuses exemptions pourraient cependant « diluer son efficacité », selon Thibault Leroux, chargé de projets agriculture et santé environnementale au sein de France Nature Environnement (FNE). L’arrêté mentionne par exemple que l’épandage de pesticides pourra être réalisé sans contrainte horaire si une maladie impose l’utilisation d’un traitement fongicide dans un délai « incompatible avec la période prévue », ou encore si l’activité des « bio-agresseurs » visés par ces traitements est « exclusivement diurne ». « Beaucoup de mesures permettent d’échapper à la règle générale », observe-t-il. Jusqu’en juillet, les agriculteurs pourront également épandre des pesticides en pleine journée si la température est « suffisamment basse » pour éviter la présence de pollinisateurs. Une condition trop floue, selon Béatrice Robrolle-Mary, présidente de l’association Terre d’abeilles. « On va perdre huit mois dans la lutte contre le massacre des abeilles », déplore-t-elle.

L’apicultrice regrette que cet arrêté n’ait pas suffisamment pris en compte les recommandations des scientifiques. En 2018, l’Anses préconisait d’attendre le coucher du soleil avant d’utiliser des pesticides. De quoi limiter au maximum le risque d’atteindre des insectes durant l’épandage. « Quand il fait beau, les abeilles traînent jusqu’à la tombée de la nuit », précise Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Le secteur apicole avait également suggéré d’interdire l’application des pesticides lorsque la température dépasse les 12 °C. Lorsque les nuits sont chaudes, il est en effet possible d’observer des abeilles dans les champs jusqu’à des heures tardives, explique l’apiculteur. Comme toutes les autres propositions des apiculteurs, cette idée n’a pas été retenue. « Cet arrêté ne protégera pas les abeilles. C’est catastrophique. »

L’association Pollinis regrette quant à elle que cette nouvelle réglementation « oublie » les papillons de nuit, dont les populations s’effondrent en France et en Europe. « Sans compter que ces substances, pulvérisées de nuit, ne disparaîtront pas à l’aube », note-t-elle dans un communiqué.

« C’est une guerre de tranchées qui ne se gagne pas en un claquement de doigts. »

Plus globalement, associations et apiculteurs estiment que le plan en faveur des pollinisateurs manque d’ambition. Au lieu de s’attaquer aux racines du problème que sont la monoculture et l’agrochimie, le gouvernement s’en tient, selon Henri Clément, à des actions cosmétiques à l’efficacité limitée. « Il faudrait un plan qui accompagne l’agriculture vers l’agronomie et l’agroécologie, et ce n’est pas le cas. Le rendez-vous est encore raté. C’est extrêmement décevant. La recherche scientifique, c’est essentiel, mais ça ne suffit pas. On pourrait mettre en place un grand plan de replantation d’arbres mellifères et de haies dans les campagnes, faire en sorte de créer des lieux de reproduction... Mais tout cela reste très flou dans le plan. On ne prend pas le problème à bras le corps. »

Selon Béatrice Robrolle-Mary, la frilosité du gouvernement pourrait s’expliquer par le lobbying intensif exercé par les syndicats agricoles majoritaires. Dans un communiqué, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et le syndicat Jeunes agriculteurs ont salué le plan de l’exécutif, notamment la possibilité d’épandre sans contrainte horaire pendant les huit prochains mois et de « déroger à l’obligation de traiter les cultures attractives seulement après le coucher du soleil ». « On a gagné plusieurs victoires avec ce texte, mais c’est une guerre de tranchées, estime l’apicultrice. Ça ne se gagne pas en un claquement de doigts. »

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