Obsessions woke et repli sur soi : Blanche Gardin pulvérise l’air du temps

Dans sa série « La Meilleure Version de moi-même », dès le 6 décembre sur Canal+, l’humoriste atomise l’ère du nombrilisme et des micro-agressions. Féroce et brillant.

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Temps de lecture : 6 min

Kamikaze. Le mot s’impose à l’issue des neuf épisodes de La Meilleure Version de moi-même, première série télé créée et interprétée par l’incroyable Blanche Gardin. Bouffée d’oxygène dans un air du temps vicié par les obsessions identitaires, le nombrilisme hypertrophié sur les réseaux sociaux et le diktat de l’offense qui en résulte, l’écriture de Blanche trempe dans l’encre la plus noire d’un mitraillage tous azimuts, dont la première cible reste encore elle-même. Depuis 2015, date de son premier stand-up, les accros à l’humoriste aux deux molières rient jusqu’aux larmes de ses vannes hardcore et brise-tabous qui lui servent à exorciser ses (et nos) mille et une angoisses face à la mort, la vieillesse, la solitude, la dépression, le suicide, le sexe, la schizophrénie sociale…

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Mais, avec La Meilleure Version de moi-même, autofiction cosignée avec deux autres plumes – Noé Debré et Béatrice Fournera –, Blanche Gardin risque de vraiment s’attirer les foudres des pisse-froid. Flingues en pognes, elle dézingue à 360 degrés l’asile de fous à ciel ouvert que devient notre monde instagrammable, cet absurdistan où la mise en scène obscène de nos vies et avis s’accompagne d’une délirante course à la pureté morale. Alors que certaines séries courent, elles, servilement après la doxa woke et intersectionnelle pour éviter toute tempête sur Twitter, Blanche Gardin, dans ce feuilleton qui va faire grincer bien des mâchoires, la décrypte, la dépiaute, la raille et cisèle en orfèvre un tableau des accointances de cet écrasant prêt-à-penser avec notre narcissisme naturel et avec l’outil technologique qui le nourrit – nos écrans.

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Un brûlot satirique qui fera date

Dans La Meilleure Version de moi-même, Gardin joue donc une caricature d’elle-même. Au début de la série, la comédienne est tourmentée par des douleurs intestinales déchirantes, matérialisées par un gargouillement récurrent et un transit apocalyptique. Sans solution du côté de la médecine classique, elle se tourne vers un naturopathe. Celui-ci lui explique que ses douleurs sont le résultat de l’autodérision permanente de la comédienne sur scène, qui abîme ses propres tripes en se dénigrant violemment face au public. Fini l’humour et la moquerie, trop dangereux ! Bientôt rongée par le politiquement correct et sa quête de bienveillance, la jeune femme crée un compte Instagram consacré au bien-être, se convertit au véganisme, à l’antispécisme, au néoféminisme, puis crée un cercle de sororité avec un groupe de femmes qu’elle emmène à la campagne pour un week-end de connexion à la nature. Bientôt, l’impasse…

Filmée tel un faux documentaire par un jeune chef opérateur (« Boris ») visible à l’écran, jouée par des comédiens rompus à l’improvisation, La Meilleure Version… éblouit dans sa capacité à réinventer la mise en abîme. Dans la lignée de The Office pour la réalisation et de Louie pour le choix de l’autofiction, le brûlot satirique de Blanche Gardin fera d’ores et déjà date. En jouant son propre rôle et en poussant jusqu’au vertige l’illusion que tout ce qui se passe devant la caméra est bien réel, l’actrice-scénariste-productrice prend tous les risques, surtout lorsqu’elle-même se présente comme une odieuse personne égocentrée, lâche, mesquine et contaminée par le besoin de plaire. À mesure que son reconditionnement moral progresse, Blanche s’isole un peu plus dans son égoïsme et sa stupidité : elle congédie sa femme de ménage au nom du féminisme, fait appel à un magnétiseur pour rendre son eau du robinet biocompatible, exige de son boy-friend (l’humoriste américain Louis C.K., on y revient) qu’il s’excuse d’être un mâle blanc, renvoie son homme à tout à faire de frangin sur les conseils de sa chamane, abandonne son chien en forêt… À chaque épisode, les punchlines dévastatrices pleuvent comme des obus à fragmentation et personne n’est épargné.

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Blanche Gardin en pleine angoisse dans<em> « La Meilleure Version de moi-même</em> ».
 ©  Mamma Roman - White Spirit
Blanche Gardin en pleine angoisse dans « La Meilleure Version de moi-même ». © Mamma Roman - White Spirit

Blanche Gardin refusant obstinément de promouvoir sa série, on se tourne vers sa longue note d’intention dans le dossier de presse pour saisir le minerai source dont elle a extrait son bijou : « Le narcissisme contemporain m’intéresse. Je me demande de quoi il est le symptôme. Dieu est mort et nous devenons pour nous-mêmes nos propres prophètes à vénérer, nos disciples à guider vers la bonne voie, nos victimes à plaindre. Penser contre l’époque ne signifie pas forcément la dévaloriser. Et c’est justement parce qu’elle m’intéresse que je la questionne et la détricote. Il n’en reste que, pour moi, faire rire, c’est poser des questions sérieuses. Je pose des questions, mais je n’y réponds pas. » La nuance est importante : l’humoriste se défend de livrer une charge unilatérale péjorative sur le wokisme en soi (un mot qu’elle ne prononce d’ailleurs jamais) mais davantage sur ce qu’il révèle de notre égocentrisme et de nos faux-semblants sociaux – thème central de ses spectacles.

L’infréquentable Louis C.K. en guest star

Il n’empêche : on doute que toutes les féministes intersectionnelles apprécieront cette scène du 4e épisode où Blanche, lors d’une balade nocturne avec son petit chien, se risque à un trait d’humour visant un slogan sur le viol tagué sur un mur par les militantes. Elles ne goûteront guère plus la façon dont leur féminisme misandre et perclus de contradictions se voit régulièrement mis en boîte dans la série, notamment lors d’un monologue à pleurer de rire délivré par un ramoneur venu désencrasser la cheminée de la maison de campagne de l’héroïne. Cerise sur la provoc : l’octroi d’un rôle secondaire mais important à Louis C.K., véritable petit ami de Blanche Gardin dans la vie et artiste balayé par la vague #MeToo après avoir été accusé (à raison) par plusieurs femmes de s’être masturbé devant elles sans leur consentement. L’humoriste, qui avait reconnu les faits dans une tribune publiée dans le New York Times en novembre 2017, est depuis pratiquement invisible : son apparition dans La Meilleure Version… va sans doute aggraver le cas de l’autrice aux yeux des Torquemada de la rectitude morale. Pas sûr non plus que les adeptes des thérapies alternatives à la médecine riront du miroir dévastateur que leur tend « la » Gardin.

Plus la Blanche fictionnelle se radicalise dans ses positions, plus le malaise s’installe face au triste spectacle d’une dérive mortifère en solo, qui n’est pas sans rappeler celle que décrivait Todd Haynes dans Safe, où Julianne Moore campait une phobique des microbes. Le dernier épisode, aboutissement à la fois logique, hilarant et glaçant, fait définitivement entrer Blanche Gardin dans la cour des grandes. Aussi mal aimable et malaisante soit-elle, sa plume n’en reste pas moins un trésor (national) d’humour noir et d’audace, d’impudeur et d’acuité, dans la lignée d’un Lenny Bruce qui, en son temps, paya au prix fort ses mises à nu et son non-conformisme. Kamikaze, oui, certainement, mais plus encore irradiante de panache, un peu comme le tandem Robert Redford-Paul Newman face à l’armée bolivienne à la fin de Butch Cassidy et le kid. La série de Blanche est donc à savourer de toute urgence, assurément la meilleure version de son grand art.

« La Meilleure Version de moi-même » (9 x 26'), série créée par Blanche Gardin, Noé Debré, Béatrice Fournera. À partir du 6 décembre sur Canal+.

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Commentaires (24)

  • Martinoune

    La 1ere va plus loin encore. La 2nde, qu'on a regardé sur Paris 1ere... La salle pleine à Lille... Riant aux larmes... Pourtant ça "dezingue"... Et le 2e degré est omniprésent...
    Enfin des femmes qui osent lutter contre le wokisme, le politiquement correct et son cortège de "pisse-froid"... Évidemment ça ne plaît pas à tout le monde... Forcément! Comme Laurent Gerra... Tous ces humoristes qui osent rire de routes. S'attirent les foudres des "bien-pensants"... Où est passé notre époque des années où on pouvait rire de tout avec des impertinents comme Coluche ou le Luron où les répliques de Michel Audiard (revu un singe en hiver, dernièrement)... La dérision... L'humour... La légèreté dans ce contexte pesant... Contraignant, régi par les réseaux(as-sociaux) toujours promts à dénoncer tout un chacun...
    Bref... BLANCHE me fait du bien... Et me rend un peu de ma liberté de penser...

  • Café crème

    L'adepte de Bigard n'a rien compris à Gardin... Ça n'etonnera évidemment personne...

  • bragellonne

    Les 2 premiers et la moitié du 3.
    Quelle déception : pitoyable