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Calais : les migrants expulsés se voient-ils proposer une «mise à l’abri systématique» comme l’assurent Macron et Schiappa ?

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
Le Président et la ministre déléguée à la Citoyenneté ont affirmé la semaine dernière que les démantèlements de camps à Calais étaient suivis d’une proposition de prise en charge en hébergement d’urgence. Les associations réfutent.
par Mathilde Roche
publié le 4 novembre 2021 à 16h15

Vingt-cinq jours sans manger. Le père Philippe Demeestère, dont Libé faisait le portrait au début de sa grève de la faim, a recommencé à s’alimenter ce jeudi. Mais pas Anaïs Vogel et Ludovic Holbein, les deux militants qui l’accompagnent dans ce combat depuis le 11 octobre. La situation est grave, à l’image de ce qu’ils dénoncent : «l’escalade des violences policières envers les personnes déplacées, à Calais». L’information est pourtant remontée jusqu’aux oreilles les mieux placées du gouvernement : lundi 25 octobre, Emmanuel Macron, en plein bain de foule à Montbrison, dans la Loire, a été interpellé sur le sujet. Le Président s’est vu demander s’il avait «prévu de passer à Calais pour rencontrer les trois militants en grève de la faim», dont les revendications portent notamment «sur la fin des expulsions pendant la trêve hivernale».

Mis au fait de la situation, le chef de l’Etat a promis de se renseigner mais a assuré que les expulsions cessent de facto début novembre. Mentionnant l’action des forces de l’ordre, il a déclaré : «Leur travail, c’est d’emmener toutes ces personnes dans des centres d’accueil pour pas qu’ils restent dans des tentes. […] On leur propose de les prendre en charge côté français mais la grande difficulté, c’est qu’ils ne veulent pas rester.» Le lendemain, mardi 26 octobre, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, renchérit : «Certes, des camps sont régulièrement démantelés, mais de telles mesures sont prises avant tout pour mettre les personnes à l’abri dans des centres d’accueil et d’examen des situations administratives [CAES] où des solutions leur sont proposées.»

La ministre répondait à la députée Jennifer de Temmerman, qui s’est fait l’écho de la situation lors de la séance de questions au gouvernement, en affirmant que «ce qui se passe à Calais en ce moment doit être dénoncé». Elle déclarait dans l’hémicycle : «La stratégie consistant à évacuer quasi quotidiennement les campements, à détruire et à confisquer les affaires personnelles des migrants […] est à la fois inefficace et inacceptable.» Contactée par CheckNews, elle développe : «Effectivement, ils en mettent certains à l’abri, j’ai pu le constater sur mon territoire, mais c’est tout sauf systématique, tout simplement car il n’y a pas suffisamment de places d’hébergement par rapport aux nombres de personnes en attente, et qu’ils n’en créent pas.»

«97,6% des expulsions n’ont pas été suivies de mise à l’abri»

Les affirmations de la ministre ont en effet révolté les témoins des expulsions quotidiennes sur le terrain. Human Rights Observers (HRO), équipe inter-associative réunie en tant qu’organe d’observation et d’analyse de l’état des droits humains des personnes exilées à Calais et Dunkerque, affirme que «97,6% des expulsions n’ont pas été suivies de mise à l’abri effective à Calais» en 2020. Une observation établie lors de leur rapport annuel. Le HRO précisait alors : «En droit, une expulsion doit être a minima accompagnée d’une proposition de mise à l’abri. Cette mise à l’abri doit être consentie, après délivrance d’une information complète aux personnes concernées. Or lorsqu’une mise à l’abri est prévue, elle est souvent exercée sous la contrainte. S’ajoute à cette contrainte l’absence de diagnostic social en amont de l’expulsion, le type d’hébergement proposé n’est donc souvent pas adapté» et peu de personnes exilées y ont recours. Pour les militants, rien n’a changé depuis cette étude. «Encore ce matin, un lieu de vie a été expulsé à Calais, sans solution alternative», tweetait le collectif le 26 octobre. Et de nouveau le lendemain.

Les associations locales font état d’opérations de «destruction totale» de camps de personnes exilées, qui n’ont pas cessé avec la trêve hivernale, en témoignent des vidéos tournées lundi. Ce jour-là, «six lieux de vie – soit plus de 1 000 personnes – ont été expulsés en toute illégalité et sans qu’aucun dispositif d’hébergement ne soit proposé», abonde de son côté le collectif Faim aux frontières, mené par le trio de grévistes.

Leurs observations sont corroborées par les études d’institutions et ONG. En février, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) demandait à ce que cessent les atteintes à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes exilées, qui «sont expulsées de leurs lieux de vie informels et errent à la recherche d’abris de fortune et de moyens de survie». La CNCDH affirmait que «l’accès à l’eau potable, à la nourriture, aux douches et aux sanitaires, aux premiers soins d’urgence et aux services hospitaliers n’est pas garanti, portant des atteintes graves à la dignité des personnes» et que la mise à l’abri d’urgence des personnes exilées devait être traitée comme un impératif humanitaire. Une étude de l’ONG internationale Human Rights Watch, publiée début octobre, fait le même constat, huit mois plus tard.

Un hébergement systématique… proposé cette semaine

Les retours de terrain des différents acteurs locaux sont explicites. Mais la preuve que Marlène Schiappa était dans le faux est venue de Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), envoyé par le gouvernement pour régler le problème. Après avoir rencontré les associations, il s’est engagé au nom de l’Etat à «proposer systématiquement un hébergement, essentiellement dans le Pas-de-Calais, dans les Hauts-de-France», dès cette semaine. Contacté par CheckNews, Didier Leschi ne souhaite pas s’exprimer sur les propos de la ministre, mais confirme qu’il propose, dans le cadre de sa médiation, qu’un hébergement soit systématiquement offert aux personnes. Signe manifeste que la proposition systématique d’un hébergement n’était pas la norme jusqu’à présent.

Pour le collectif Faim aux frontières, les engagements de Didier Leschi ne sont pas satisfaisants. Il souligne que «tant que les enquêtes en flagrance continueront», le problème sera le même. «Les enquêtes en flagrance permettent aux policiers de déloger quotidiennement les personnes installées illégalement sur un terrain privé ou appartenant à la commune», explique Louis Witter, photojournaliste spécialisé sur le sujet de l’immigration franco-britannique, à CheckNews. «Ils constatent l’infraction en flagrant délit, font évacuer tout le monde – généralement dans la violence – et réalisent un procès-verbal indiquant qu’ils ont incité les personnes à partir d’eux-mêmes pour mettre fin à l’infraction d’occupation de terrain, ce qui clôt l’affaire.» Selon lui, «toute l’hypocrisie de l’Etat repose sur cette ambivalence juridique : au niveau légal, seules les expulsions ordonnées par un juge et organisées avec le concours des forces de l’ordre et de la préfecture sont considérées comme telles». Dans le cadre de ces expulsions-là, en effet, des cars sont présents pour emmener ceux qui le souhaitent à l’abri. «Or, cela ne concerne que les gros démantèlements, de plus de 500 personnes. La majorité des expulsions sont des enquêtes en flagrance : depuis le mois d’août, elles ont lieu tous les jours ou toutes les quarante-huit heures», témoigne-t-il. Et dans ces cas-là, les exilés sont juste poussés plus loin.

La députée Jennifer de Temmerman souligne par ailleurs que même si des solutions d’hébergement étaient proposées systématiquement, les conditions actuelles ne permettent pas aux exilés d’avoir confiance et d’accepter un processus de régularisation. «Tout ce qu’ils connaissent de la France, c’est la violence et les expulsions, comment voulez-vous qu’ils acceptent de monter dans un car en sachant qu’on les emmène dans un autre département ? Et qu’ils seront à nouveau mis dehors au bout de quelques jours, dans un endroit qu’ils ne connaissent pas», s’émeut-elle à CheckNews. Même remarque du côté de Faim aux frontières, qui estime que les mises à l’abri actuelles, comme celles proposées par Didier Leschi, ne sont que «des déplacements forcés des personnes loin de la frontière vers des hébergements dans lesquels nous savons d’expérience que les personnes ne resteront pas». Les grévistes et les autres associations, unanimes sur la question, ont donc refusé de s’accorder avec le médiateur.

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