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Illustration : Fayza Mubaraki. 
Santé

L’étrange cas de la grossesse fantôme chez les hommes

Certains hommes éprouvent les mêmes symptômes que leur femme enceinte, et les raisons de ce trouble sont encore inconnues.

Pendant la grossesse de sa femme, Ezzat, un photographe égyptien de 45 ans, a commencé à ressentir des douleurs thoraciques similaires à celles de sa compagne. Ezzat a alors consulté discrètement un gynécologue, qui lui a parlé d'un problème médical très particulier pouvant toucher les hommes cis pendant la grossesse de leur partenaire. Le spécialiste lui a dit de se détendre, en lui assurant que la douleur fantôme disparaîtrait rapidement. Mais c'est le contraire qui s'est produit : chaque fois que sa femme présentait un nouveau symptôme lié à sa grossesse, comme une forte douleur au dos ou une envie fréquente d’uriner, il en faisait de même. « Tous ces symptômes ont disparu après que ma femme a accouché », dit-il. 

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Il est probable qu'Ezzat ait souffert du syndrome de la Couvade, également appelée « grossesse nerveuse de l’homme » ou « grossesse fantôme », dans lequel les hommes cis ressentent certains des symptômes physiques et psychologiques de la grossesse. Ce trouble survient généralement au cours des premier et troisième trimestres, mais les taux rapportés dans le monde sont très différents et ne permettent pas de dresser un tableau tout à fait clair. 

Le terme a été inventé en 1865 par l'anthropologue britannique Edward Burnett Taylor, mais des documents historiques et des recherches plus contemporaines ont montré qu'il s'agit d'un phénomène mondial d'une incroyable longévité. En fait, depuis qu'il y a des grossesses, il y a des hommes qui s’approprient la souffrance de la grossesse. 

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Les symptômes physiques comprennent des nausées et des brûlures d'estomac, des douleurs dans le dos et l'abdomen, des ballonnements, un manque d'appétit ou une prise de poids. Les symptômes psychologiques peuvent inclure des changements dans les habitudes de sommeil, l'anxiété, la dépression et une diminution du désir sexuel. 

Malgré l'intérêt et l'inquiétude que suscite cette maladie, les médecins ont toujours tendance à souligner que le syndrome de la Couvade reste difficile à définir d'un point de vue médical et scientifique. Arthur Brennan, l'un des experts mondiaux en la matière, affirme que « ce trouble se situe à la frontière entre le physique et le mental, et ne rentre clairement pas dans une catégorie ou l’autre ».

Il existe plusieurs théories à ce sujet. Certaines personnes pensent que le syndrome est dû à un changement hormonal similaire à celui que subit le corps pendant la grossesse. D'autres penchent plutôt pour un sens accru de l'empathie. Selon une autre théorie, lorsqu'un homme cis se sent mis à l'écart en raison d'une grossesse, il finit par ressentir ces symptômes jusqu'à ce qu'il se sente à nouveau au centre de l'attention. En clair, il essaie de réaffirmer sa position dans la relation par tous les moyens possibles. 

Si la communauté médicale s'accorde à dire que ce syndrome est loin d'être simple et évident, certains médecins, comme le Dr Mahmoud Ghallab, un psychologue du Caire spécialisé dans les questions familiales, se montrent particulièrement intransigeants. « Je suis fermement convaincu qu'il s'agit d'un problème purement psychologique, dit Ghallab. Ce trouble apparaît comme une forme d'empathie envers la compagne. Et dans d'autres cas, il apparaît comme une manière d'attirer l'attention sur soi en conséquence de l'attention portée à la personne enceinte. »

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Mais il existe aussi des explications physiques et biologiques. Les quelques études disponibles à ce jour montrent que la situation hormonale des hommes est également soumise à des changements radicaux dans la phase prénatale. Un groupe de chercheurs canadiens a constaté que les futurs pères ont des niveaux d'œstradiol (hormone féminine) plus élevés que la moyenne et des niveaux de testostérone (hormone masculine) plus faibles que ceux qui n'ont pas d'enfants. L'étude indique également que plus les pères passent de temps à s'occuper de leur progéniture, plus leur taux de testostérone diminue.

Bien que les grossesses fantômes ne soient pas une nouveauté, de nombreuses personnes ne se sentent pas à l'aise pour en parler. Dans certains cas, comme celui de Dawoud, un avocat syrien de 38 ans, le conseil était de garder ça pour lui. Comme il avait ressenti des étourdissements, de la fatigue, des douleurs abdominales et une perte d'appétit pendant la grossesse de sa femme, il a demandé l'aide de son frère, qui travaille comme infirmier. « Quand je lui ai expliqué ce qui se passait, se souvient Dawoud, il m'a dit de n'en parler à personne, car ce serait trop étrange. »

De plus, son frère lui avait prescrit des médicaments qui ne l'ont pas aidé. Tout comme Ezzat, les symptômes ont disparu d'eux-mêmes peu après l'accouchement de sa femme. Pourtant, ce n'est pas toujours le cas, et il arrive aussi que les effets persistent ou même changent après la naissance des enfants – et il semble même y avoir des preuves indiquant l'apparition d'une dépression post-partum chez certains hommes cis. 

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La réticence exclusivement masculine à aborder le sujet en public est parfois le résultat d'une autre forme d'empathie. Ezzat souligne qu'il n'a parlé du problème à sa femme qu'après l'accouchement. « Je ne voulais pas attirer l'attention sur moi. C'est elle qui était enceinte et qui avait besoin de soins. » 

Si Ezzat ne pense pas que la société soit prête à aborder un tel sujet, il estime que cette expérience peut contribuer à dissiper les doutes et à éliminer l'idée que la grossesse peut être en quelque sorte « facile ». Certains hommes, di-t-il, « sous-estiment la douleur que traverse leur partenaire et les accusent d'exagérer ». 

Tout comme Ezzat et Dawoud, Mohammed, un enseignant yéménite de 41 ans, a ressenti certains des mêmes symptômes que sa femme enceinte. « Elle avait tout le temps la nausée, se souvient-il. Ma sympathie et ma tristesse se sont muées en sentiments identiques à ceux qu'elle éprouvait. J'étais épuisé, écœuré et j'avais mal partout. » Contrairement aux deux autres, Mohammed en a parlé à ses proches, mais sa douleur n'a pas été accueillie avec bienveillance.

Bien que les raisons et les explications de ces grossesses fantômes fassent encore l'objet de débats, nous savons que des hommes du monde entier font état de symptômes similaires, tant physiques que psychologiques. Nous savons également que beaucoup ne se sentent pas à l'aise pour en parler. Par exemple, les hommes interrogés dans le cadre de cet article ont préféré ne pas divulguer leur nom complet par crainte d'être ridiculisés.

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