Pas chers, en vente libre, létaux et prisés de l'ultradroite : enquête sur les revolvers à poudre noire

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Pas chers, en vente libre, létaux et prisés de l'ultradroite : enquête sur les revolvers à poudre noire

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Des répliques de revolvers à poudre noire fabriqués en Italie.
Des répliques de revolvers à poudre noire fabriqués en Italie.
© Radio France - Montage France Inter

Les répliques d'armes de la guerre de Sécession sont accessibles en France aux personnes majeures, sans autorisation particulière. Vendues quelques centaines d'euros, potentiellement mortelles, elles séduisent des militants d'ultradroite et survivalistes radicaux souhaitant s'armer, sans être recensés par l'État.

En France on peut entrer dans une armurerie, présenter sa carte d'identité, et en ressortir propriétaire d'une arme à feu moyennant 200 à 300 euros, le tout sans permis de chasse ni licence de tir. L'acquisition peut aussi tout simplement s'effectuer sur internet. Il suffit d'acheter une arme à poudre noire, classée en catégorie D. Unique condition : l'acheteur doit être majeur. 

Au début du mois de novembre, StreetPress publiait un article sur un groupuscule d'ultradroite : la "Famille Gallicane". Ces militants radicaux, qui soutiennent Éric Zemmour, exhibaient sur une chaîne publique de la messagerie Telegram des vidéos d'exercice de tir en forêt. Ils visaient des caricatures racistes figurant un juif, un noir et un musulman. Particularité relevée par StreetPress : ces militants d'ultradroite sont armés de revolvers à poudre noire

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Capture d'écran d'une vidéo de tir au pistolet à poudre noire publiée par le groupuscule d'ultra droite "La Famille Gallicane"
Capture d'écran d'une vidéo de tir au pistolet à poudre noire publiée par le groupuscule d'ultra droite "La Famille Gallicane"
© Radio France - Montage France Inter

Après ces révélations, le rédacteur-en-chef de StreetPress Mathieu Molard a été menacé sur la chaîne Telegram d'ultradroite "LVF/ Les Vilains Fachos" (en référence à la Légion des volontaires français - organisation militaire collaborationniste). Son visage apparait sur un photomontage avec une cible sur le front, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon ou encore d'Anne Frank. Le message, sous un couvert de blague, est clair : "Certains peuvent être tentés d'utiliser des armes à feu sur ces cibles", écrivent les administrateurs de la chaîne qui glissent un lien vers un site qui vend des armes létales "pour 130 euros, sans contrôle et livrées par la Poste"

Autres affaires, mêmes pistolets de cow-boys : plusieurs armes à poudre noire ont été découvertes au domicile d'un proche de l'homme qui avait giflé Emmanuel Macron en juin dernier. On en retrouve également dans le petit arsenal constitué par Logan Nisin, le chef du groupuscule d'ultradroite OAS (Organisation des armées sociales - en référence à l'OAS des années 60), condamné récemment à neuf ans de prison ferme pour association de malfaiteurs terroriste.

Un mécanisme ancien... qui reste dangereux

Dans son armurerie du IIe arrondissement de Paris, Yves Gollety, le président de la chambre syndicale des armuriers, n'a qu'un seul pistolet à poudre noire en stock. Ce n'est pas du tout son créneau. Yves Gollety explique que "c'est une part très minime de [ses] ventes". Par ailleurs les salles de tir parisiennes, des espaces clos, ne sont pas vraiment adaptées aux importants dégagements de fumée des revolvers à poudre noire, selon le président de la chambre syndicale des armuriers. 

Ces revolvers, répliques de leurs ancêtres du XIXe siècle, en ont gardé le fonctionnement. "Il faut faire ses cartouches, il faut avoir une dose de poudre, une balle, c'est long à charger", détaille Yves Gollety qui ajoute : "C'est long à nettoyer. Si vous les bougez trop, les amorces risquent de tomber. La poudre risque de s'altérer. Ce n'est pas très pratique à utiliser." Ces pistolets de catégorie D ne sont pas produits en France, le marché est abondé "à 80% par deux ou trois fabricants italiens", estime le président de la chambre syndicale des armuriers.

Si les pistolets à poudre noire sont des armes primitives comparées à des armes de poings modernes, ils restent très dangereux. Pour le tireur d'abord, si l'arme est mal utilisée, mais surtout pour sa cible. Sur YouTube de nombreuses vidéos en français expliquent comment procéder au rechargement de ces armes. D'autres montrent la puissance des tirs au revolver à poudre noire, capables de traverser des cloisons. Les munitions artisanales font de gros dégâts sur une cible figurant un être en chair et en os. Dans la vidéo ci-dessous (vue plus de 147 000 fois), un homme tire sur une pastèque entourée de viande. Le résultat est effrayant. 

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Quasiment aucun contrôle sur ces pistolets

"Dans le Code de la sécurité intérieure, les armes de catégorie D disposent d'un régime juridique assez souple puisqu'il n'y a pas de contrainte particulière pour l'acquisition", explique Thierry Ourgaud, commissaire général de police et adjoint au chef du Service central des armes et explosifs du ministère de l'Intérieur.  En France un majeur peut donc se procurer un revolver à poudre noire, sur simple présentation d'une pièce d'identité. Sur les sites de différentes armureries, on trouve des exemplaires coûtant entre 200 et 400 euros. Parfois ce sont des packs "prêts à tirer" comprenant le nécessaire pour assembler des munitions, notamment la poudre explosive.

Ce qui peut motiver des membres de l'ultradroite, c'est que ces armes de catégorie D ne sont "pas tracées comme les armes de catégorie A, interdites, celles de catégorie B pour lesquelles il faut une autorisation avant l'acquisition ou encore les armes de catégorie C qui sont essentiellement les armes de chasse [ndlr : environ 5 millions en circulation en France] que l'on doit déclarer", décrypte Thierry Ourgaud.

Les détenteurs d'armes à poudre noire sont considérés comme ceux de lanceurs de paintball ou de carabines à air comprimé. Thierry Ourgaud juge "qu'une petite partie du public est intéressée par la capacité d'acquérir une arme à feu sans se déclarer auprès de l'État. Mais au vu des inconvénients propres à ces armes, on peut penser que malgré les vidéos qui en font la publicité, le nombre d'acquéreurs pour des besoins de défense est rare."

Les arbalètes modernes sont également des armes de catégorie D en vente libre.
Les arbalètes modernes sont également des armes de catégorie D en vente libre.
© Radio France - Montage France Inter

On ne peut donc pas déterminer le nombre de personnes qui possèdent une arme à poudre noire dans l'Hexagone. Une personne condamnée par la justice, interdite de détention d'arme, peut en théorie acquérir très facilement un pistolet à poudre noire. "En revanche, le port et le transport d'une arme de catégorie D sont interdits par la loi sans motif légitime", précise le commissaire général Thierry Ourgaud. L'appréciation de la légitimité du motif fourni par le propriétaire de l'arme se fait "au cas par cas" par les forces de l'ordre en cas de contrôle.

L'armurier ne peut en aucun cas enregistrer votre nom et le conserver sur une base.

Thierry Ourgaud estime que le public qui achète ces pistolets est essentiellement constitué de passionnés : "Avec les armes à poudre noire, qu'elles soient d'origine, ou de simples reproductions, on entre dans l'histoire des armes. Pour certains amateurs, collectionneurs, elles représentent un véritable un patrimoine historique et sont recherchées à ce titre." Pour autant ce ne sont pas des jouets, d'où leur classification comme arme de catégorie D, car "une arme à poudre noire est une arme létale, bien entendu", rappelle le commissaire.

Les armes de catégorie D intéressent aussi les survivalistes

Autre segment de la clientèle des armureries françaises : les survivalistes ne cachent pas leur intérêt pour les revolvers à poudre noire, et d'autres armes de catégorie D comme les arbalètes modernes (certains modèles peuvent atteindre avec une précision meurtrière une cible à 100 mètres de distance). "Dans l'imaginaire survivaliste, notre système consumériste va s'effondrer, mais aussi tout ce qui l'accompagne : dont la sécurité, la stabilité de nos sociétés", rapporte Bertrand Vidal, sociologue à l'université Paul-Valéry Montpellier 3, auteur de "Survivalisme : êtes-vous prêts pour la fin du monde ?"

La plupart des survivalistes n'entretiennent ni lien ni proximité idéologique avec l'ultradroite, mais il existe une zone grise entre ces deux milieux. Ainsi, les militants de la "Famille Gallicane" s'inspiraient du survivalisme. Tout récemment, lors du démantèlement par la police du groupe d'ultradroite "Recolonisation France", des manuels de survivalisme sont découverts lors des perquisitions. "Le survivalisme, à l'origine, était une pensée d'ultradroite", explique Bertrand Vidal, "Une pensée libertarienne nord-américaine qui s'est développée sous la plume de Donald Eugene Cisco, qui se faisait appeler Kurt Saxon. Il donnait dès les années 70 ses conseils survivalistes dans des revues qui étaient éditées par l'imprimerie du Parti nazi américain." 

Il y a dans la culture survivaliste une fascination pour tout l'univers militaire.

Bertrand Vidal travaille depuis 2012 sur la culture survivaliste. Il définit les survivalistes comme "des individus qui se préparent à la fin du monde et qui anticipent l'effondrement de notre société." Le sociologue précise que la grande majorité d'entre eux "sont intégrés à la société" bien qu'ils "critiquent notre mode de vie consumériste, ils restent en fait dans le domaine de la fiction, ce sont des individus qui se racontent une histoire, une histoire de fin du monde dans laquelle ils auraient le beau rôle à jouer."

"Beaucoup de survivalistes participent à des stages de survie, en apprenant par exemple à reconnaître les plantes, à faire du feu", raconte Bertrand Vidal. Mais en plus de ces activités pacifiques, certains "survivalistes plus radicaux considèrent qu'il faudra se défendre et donc cela peut passer par la possession d'armes, de munitions." Le sociologue de l'université Paul-Valéry Montpellier 3 décrit : "des individus qui vont essayer de tester leurs limites, de porter le maximum de poids dans leur sac à dos, qui vont essayer parfois de pratiquer le jeûne. On est dans une expérience du corps très rude. Il y a une idéalisation du corps du combattant, du militaire et ça peut aussi déboucher sur tout ce qui est propre à la culture des armes." 

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