Nouvel appel pour rapatrier « d’urgence » les femmes et enfants français détenus en Syrie

« On estime à 200 enfants et 80 femmes de nationalité française dans les camps du nord-est syrien », déclare Simon Foreman, président de la sous-commission des urgences à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans un entretien avec EURACTIV. [Wirestock Creators/Shutterstock]

Une délégation française rentrée d’une mission dans le nord-est de la Syrie le 3 novembre dernier, appelle à un rapatriement « d’urgence » des quelques 280 femmes et enfants français détenus dans les camps à l’approche de l’hiver.

« Il y a environ 200 enfants et 80 femmes de nationalité française dans les camps du nord-est syrien », déclare Simon Foreman, président de la sous-commission des urgences à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans un entretien avec EURACTIV.  

M. Foreman faisait partie de la mission qui s’est rendue en Syrie, dans la région de la Rojava, du 30 octobre au 3 novembre 2021 pour tenter de pénétrer dans les camps et rencontrer les détenus français.

La mission était menée conjointement entre la CNCDH, le Conseil National des Barreaux, l’association Avocats Sans Frontières (ASF) France et le député Hubert Julien-Laferrière.

Si les membres de la délégation n’ont pas pu se rendre dans les camps, ils ont eu l’occasion dialoguer avec les autorités kurdes, qui demandent à la France, et plus globalement aux pays de l’UE, de rapatrier les femmes et les enfants européens détenus dans les camps.

Depuis la chute de Baghouz, dernier bastion de l’État islamique, il y a deux ans, Paris mène une politique de rapatriement du cas par cas. Mais cette politique est jugée insuffisante par les autorités kurdes qui souhaitent une « clarification de la position française ».

Trente-cinq enfants ont été rapatriés en France depuis 2019. Sur ces trente-cinq enfants, les deux tiers étaient orphelins et le troisième tiers étaient des enfants dont les mères avaient accepté de se séparer.

Si la stratégie française du cas par cas n’est pas « facile à déchiffrer », ces chiffres permettent cependant de « deviner l’interprétation du cas par cas par les autorités françaises », souligne Simon Foreman.

« Foyers de radicalisation »

Les conditions de vie au sein des camps sont catastrophiques : absence d’eau potable, propagation de maladies, températures extrêmes…

« Des enfants meurent tous les jours », alerte Simon Foreman.

Au-delà de la situation sanitaire déplorable, un danger plus grand encore guette femmes et enfants : dans les camps du Rojava, l’État islamique se reconstitue.

« Ces enfants sont dans des foyers de radicalisation à la merci de Daech », déplore M. Foreman.

Car si les autorités kurdes contrôlent l’entrée des camps, à l’intérieur de ces véritables villes de plusieurs milliers de personnes, c’est la loi du plus fort.

« De nombreux experts en sécurité s’accordent à dire que tout risque sécuritaire peut être mieux géré si les personnes présentes dans les camps sont rapatriées dans leur pays d’origine de manière contrôlée », déclare à EURACTIV Christophe Paulussen, expert en droit international à l’Institut Asser et au Centre international de lutte contre le terrorisme de La Haye.

« Néanmoins, on ne parle actuellement pas assez des ramifications sécuritaires à long terme de l’inaction des gouvernements européens », ajoute-t-il.

En Europe, « les gouvernements restent très réticents »

On estime à 645 le nombre d’enfants européens et à 231 le nombre de femmes dans les camps syriens. En octobre dernier, on a constaté une augmentation des rapatriements vers la Suède, le Royaume-Uni, le Danemark et l’Allemagne.

« Mais d’une manière générale, les gouvernements continuent d’être très réticents », analyse M. Paulussen.

En Europe, il n’y a pas de politique commune, chaque pays mène sa propre stratégie. Par exemple, en France les mères rapatriées vont directement en prison, alors qu’en Belgique, elles sont jugées mais pas incarcérées. 

Les trois années passées en Syrie dans les camps constituent « une peine assez lourde » aux yeux du gouvernement belge, explique Simon Foreman.

« L’UE ne peut que contribuer aux efforts de coordination, au partage des meilleures pratiques, par exemple en matière de rapatriement ou de poursuites judiciaires à l’encontre des rapatriés », explique M. Paulussen à EURACTIV.

En mars 2021, le Parlement européen s’est positionné en demandant le rapatriement des enfants des camps syriens. Mais, depuis, les choses n’ont pas vraiment évolué.

Les arguments avancés sont divers : sécurité nationale, sécurité de la mission de rapatriement en elle-même, difficultés des poursuites lorsqu’ils sont ramenés chez eux…

Selon M. Paulussen, « tout se résume par un manque de volonté politique et l’incapacité des politiciens à faire comprendre à leurs électeurs ce qui est la meilleure chose à faire d’un point de vue juridique international, sécuritaire à long terme, humanitaire et moral ».

Les politiciens savent qu’ils ont le soutien d’un grand nombre de leurs électeurs pour adopter une position ferme dans la lutte contre le terrorisme et personne ne veut prendre le risque de rapatrier une personne qui sera plus tard impliquée dans une attaque terroriste, même si les risques sécuritaires de l’inaction, avec des individus disparaissant des radars, restent plus importants, ajoute-t-il.

Au début de l’année 2020, la CNCDH s’est entretenu avec le gouvernement français. Au sujet du rapatriement des femmes et des enfants, la réponse a été la suivante : « Nous ne régissons pas les camps. Il est difficile pour nous d’y aller et de récupérer les enfants ».

Dans quelques jours, la CNCDH lancera un « appel désespéré aux autorités françaises ». En attendant, une autre délégation se rendra à nouveau dans la région du Rojava et tentera d’accéder aux camps.

Les enfants ne doivent pas passer « un hiver de plus » dans les camps, conclut Simon Foreman.  

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