Tribune 

Femmes étrangères victimes de violences conjugales, les grandes abandonnées

Collectif

En France, lorsqu’elles dénoncent les violences qu’elles subissent, des femmes étrangères risquent d’être expulsées. Dans une tribune à « l’Obs », un collectif d’associations alerte sur ces situations très préoccupantes.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Dans ce contexte des violences subies par les femmes parce qu’elles sont des femmes (102 ont été tuées par leur compagnon en 2020, une femme est violée toutes les trois heures…), il y a des réalités peu connues du grand public : celles des femmes étrangères et migrantes qui en plus de subir les violences, sont écrasées sous le poids de l’administration qui rend extrêmement complexe et difficile leur légitime protection.

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Tous les jours nous recevons ces femmes invisibles dont les histoires, que nous gérons dans nos permanences, sont insoutenables et loin d’être des cas isolés. Nous avons choisi de vous raconter de manière concrète deux histoires, celle d’Inès et de Christina.

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L’histoire d’Inès

Inès est marocaine. Elle arrive en France en 2015 dans le cadre d’un regroupement familial, elle a 23 ans. Elle obtient un titre de séjour « vie privée et familiale ». Elle subit des violences qui deviennent de plus en plus graves ; nez et arcade sourcilière cassés, traumatisme crânien, entailles sur le corps, pratiques sexuelles dégradantes, viols. Elle décide de quitter le domicile conjugal. Elle est mise à l’abri par une association et porte plainte. Son mari est condamné à de la prison avec sursis. Malgré cette condamnation, son bourreau signifie à la préfecture de police, sur simple courrier, que sa femme l’a quitté, ce qui entraîne automatiquement une annulation du titre de séjour « vie privée et familiale » de cette dernière.

Inès continue sa vie, sans se douter de rien, jusqu’à ce qu’elle se rende à la préfecture pour une demande de nationalité française. Le jour du rendez-vous en préfecture, l’agent saisit sa carte de résident, prend des ciseaux et la découpe devant elle. Ce n’est qu’à ce moment-là, qu’on lui signifie qu’elle a perdu son titre de séjour pour rupture de vie conjugale ! La machine administrative se met en route, Inès reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dans un délai de 30 jours. L’association Droits d’urgence a attaqué cette décision devant le tribunal administratif. Le tribunal a maintenu l’OQTF. Un appel de cette décision est en cours. Menacée d’expulsion, de la perte de son emploi, de son logement, de sa vie construite ici, Inès se retrouve aujourd’hui bafouée de tous ses droits, et risque de tout perdre.

L’histoire de Christina

Christina arrive en France en juillet 2019 avec un visa long séjour : elle est mariée à un Français. Elle s’installe chez sa belle-mère et obtient un titre de séjour de deux ans. Très vite les violences la poussent à saisir les services de police et elle fuit son domicile.

Aidée par une association, elle va alors engager une demande d’hébergement d’urgence. Orientée, vers une avocate du pôle juridique violences conjugales, une procédure de divorce est engagée. Alors que la procédure de divorce est en cours et que Christina a rendez-vous aux unités médico-judiciaires pour faire constater ses violences, nous apprenons que la plainte déposée deux jours plus tôt a été classée sans suite. Sans enquête, sans procès, elle ne peut faire reconnaître sa situation et faire valoir ses droits.

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Le droit d’être protégées

Ces femmes, comme tant d’autres, doivent leur salut aux associations qui les accompagnent bénévolement, comme nous le faisons. Les exemples sont nombreux et tous les jours dans nos permanences se cumulent des histoires de violences sordides que vient aggraver la violence d’une administration qui ne se préoccupe que de chasser les étrangers et étrangères, sans distinction, sans humanité. Celles qui payent le prix fort sont les femmes venues pour la plupart dans le cadre d’un regroupement familial.

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Nous dénonçons avec force la confiscation systémique de l’accès aux droits et aux services, des femmes étrangères en France. A la violence des coups et des mots, s’ajoute la violence administrative et institutionnelle qui génère dans notre pays des situations que nul ne saurait accepter. Là où on ne veut pas voir, il y a les violences conjugales et intrafamiliales, des problématiques graves de traite humaine, de prostitution, d’exploitation, de misère humaine. Il y a ce que le genre humain fait de pire, quand la justice et le droit ne donnent pas force aux victimes. Nous ne pouvons plus laisser perdurer ces violences ni laisser penser que certaines femmes, parce que précaires ou sans papier, sont exclues du droit, de la justice et du soutien des autorités.

En France, toutes les femmes ont le droit de dénoncer les violences qu’elles subissent, d’obtenir le divorce, sans risquer d’être expulsées. Elles ont le droit de porter plainte et de bénéficier d’un titre de séjour au regard des violences conjugales qu’elles subissent. Elles ont le droit de rompre la vie commune et bénéficier d’une protection. Elles ont le droit de mettre un terme aux abus subis. Elles ont le droit de choisir leur parcours de vie et de devenir des citoyennes à part entière.

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Si leurs droits existent en théorie, il est indispensable que les personnes chargées de les appliquer soient formées à ces questions. Les dysfonctionnements ne sont pas des faits isolés, ils sont même aggravés par la mise en place de la numérisation des services administratifs qui complexifie la prise de rendez-vous dans les préfectures.

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A l’initiative des associations, Droits d’urgence et des Ateliers du Féminisme populaire, nos associations demandent :

  1. La création dans chaque préfecture d’un service spécifique à l’accueil des victimes de violences conjugales et de la traite des êtres humains, à l’instar de celui de la préfecture de police de Paris ;
  2. La formation de tou.te.s les agent.es administratifs des préfectures à la question des violences conjugales ;
  3. La prise en charge d’interprètes dans tous les grands services d’accès au droit (Points d’Accès au Droit, Maisons de Justice et du Droit, etc.) ;
  4. La création, au sein de la Défenseuse des droits, d’une section spécialisée dans les dysfonctionnements administratifs et judiciaires pour les victimes de violences conjugales ;
  5. L’intégration d’une notice spéciale au contrat d’intégration de l’Ofii sur le droit des femmes en France et particulièrement sur les violences conjugales ;
  6. Un dispositif d’accès effectif aux soins psychologiques et traumatologiques gratuit et multilingue ;
  7. Le retour à la délivrance de plein droit d’une carte de résident, dès le premier titre, pour les personnes entrées au titre du regroupement familial ou en qualité de conjoint.e de français.e.

La lutte contre les violences conjugales ne doit oublier aucune femme, qu’elle soit en bas ou en haut de l’échelle sociale, jeune, moins jeune, valide ou en situation de handicap, et quelle que soit sa nationalité. La lutte contre les violences conjugales est un seul et même combat.

Associations Signataires :

Droits d’urgence

Les Ateliers du Féminisme populaire

Home (Hébergement Orientation Médiation Ecoute)

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Femmes solidaires

La Maison des Femmes de Saint-Denis

Anafé (Association nationale d’Assistance aux Frontières pour les Etrangers)

Comede (Comité pour la Santé des Exilés)

GAS (Groupe Accueil et Solidarité)

Le Gisti (Groupe d’Information et de Soutien des Immigré.e.s)

ONU Femmes - France

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