Calais : un naufrage et 27 morts qui ne changent rien

Une famille exilée au camp de Grande-Synthe le 26 novembre 2021 : malgré la pluie et le froid, très peu de personnes disposent d'un abri pour passer la nuit. ©Radio France - Maxime Tellier
Une famille exilée au camp de Grande-Synthe le 26 novembre 2021 : malgré la pluie et le froid, très peu de personnes disposent d'un abri pour passer la nuit. ©Radio France - Maxime Tellier
Une famille exilée au camp de Grande-Synthe le 26 novembre 2021 : malgré la pluie et le froid, très peu de personnes disposent d'un abri pour passer la nuit. ©Radio France - Maxime Tellier
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Cinq jours après la mort de 27 personnes dans la Manche, les conditions de vie des exilés sur le littoral demeurent toujours aussi mauvaises et les candidats à la traversée n'ont pas changé de projet, malgré les risques.

Il s'agit de la pire tragédie à ce jour dans la Manche depuis que les tentatives de traversée par bateau ont commencé il y a trois ans : 27 personnes sont mortes dans le naufrage de leur frêle embarcation mercredi alors qu'elles tentaient de rejoindre l'Angleterre par la mer. Des enfants, des femmes, dont certaines enceintes, et des hommes ont perdu la vie car il n'existe pas de passage sûr et légal pour franchir ce détroit quand on n'a pas la bonne nationalité ou pas assez d'argent. Pourtant, l'onde de choc de ce drame change peu de choses sur le terrain : les exilés veulent toujours traverser et leurs conditions de vie dans le Calaisis sont toujours aussi terribles.

En savoir plus : Calais : l'impasse
Sous les radars
31 min

Les candidats à la traversée toujours aussi nombreux

À Grande-Synthe, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Calais, un camp de quelques centaines de Kurdes vivote le long d'une voie ferrée désaffectée. Nous rencontrons Nabil sous la pluie et par 4 degrés : ce jeune Irakien de 30 ans a fui son pays pour sauver sa vie. Le jour du naufrage, il était en mer lui aussi.

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- Nous étions en mer à 20 minutes de la frontière britannique. Nous avons appelé la police pour leur demander de venir nous chercher mais ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas car notre bateau était toujours dans les eaux françaises. Ensuite, nous avons dû appeler les Français qui nous ont ramené sur le continent, sains et saufs, dieu merci.                        
- Et vous savez que des personnes sont mortes dans la mer mercredi ?                        
- Oh oui, nous étions dans le bateau juste avant eux. Nous avons vu la police et nous avons appris la nouvelle. Ils ont dit qu'un bateau avait fait naufrage et que des personnes étaient mortes.                        
- Mais vous allez réessayez ? Peu importe à quel point c'est risqué ?                        
- Oui, nous allons tenter encore de traverser. Je ne vais pas rentrer en Irak où la mort m'attend. C'est mon choix. 

Nabil parle très bien anglais et il connaît des personnes qui pourront l'aider à trouver un travail au Royaume-Uni. En France, il devrait partir de zéro, explique-t-il, et les conditions de vie sur le littoral sont catastrophiques… Il est ici depuis un mois et il n'a qu'une idée en tête : s'enfuir.

Nous changeons de lieu tout le temps pour échapper aux expulsions. J'avais 100 euros sur moi et j'ai acheté une tente pour 25, puis un matin la police est venue tout prendre. Alors, comment puis-je en acheter une autre ? Ils ont utilisé un tracteur en nous disant qu'ils allaient nettoyer : "Allez vous en !" nous ont-ils dit !                        
Je n'ai pu emporter qu'un sac, un duvet et de la nourriture. Ils nous disaient de nous dépêcher... Ils ne nous ont pas laisser prendre nos tentes. Maintenant, nous n'avons plus de toit, plus de tente, nous sommes sans domicile... 

Nabil évoque ici la politique dite du "zéro point de fixation" mise en place par la France pour éviter la constitution de camps de migrants. Pour les associations, il s'agit de maltraitance des personnes exilées : elles utilisent même le terme de "harcèlement".

Des politiques migratoires responsables des drames, pour les associations

Un groupe de Soudanais tente de se réchauffer autour d'un feu de camp le 29 novembre 2021 à Calais.
Un groupe de Soudanais tente de se réchauffer autour d'un feu de camp le 29 novembre 2021 à Calais.
© Radio France - Maxime Tellier

Sur tout le littoral, de nombreuses associations et habitants viennent en aide aux migrants. Juliette Delaplace est chargée de mission au Secours catholique à Calais :

Depuis 2016 et l'expulsion du camp de la grande jungle de Calais, le gouvernement s'enfonce dans une logique de lutte contre les points de fixation et de "militarisation" de la frontière. Ils ne veulent pas sortir de cette logique et revenir à la réalité. Ils déploient toujours plus de moyens pour lutter contre les personnes exilées, les harceler, et pour renforcer la frontière... Depuis le 28 septembre, il y avait déjà eu six décès. Avant même le naufrage de mercredi qui a fait 27 morts. C'est une hécatombe et c'est la conséquence de la politique britannique et française à la frontière.

Des politiques migratoires européennes sur lesquelles les élus locaux ont très peu de prise. À Grande-Synthe, le maire PS Martial Beyaert inaugure un marché des artisans quand on lui pose des questions sur les migrants... :

Vous savez, le lendemain de ce drame, 70 migrants ont été secourus en mer parce que leur embarcation allait faire naufrage. Cela se reproduira. Je le dis et je le répète : le discours tout-sécuritaire ne fonctionne pas. Pour améliorer les conditions de vie des personnes, il faut réfléchir à notre force et à notre conviction d'accueil en France. Je défends l'idée qu'on puisse installer des centres d'accueil sur la bande littorale ; des lieux de 100 à 150 personnes maximum. S'il en existe une dizaine répartis sur le territoire, cela rend plus difficile le travail des passeurs et cela pourra améliorer le traitement de leur dossier. On pourra peut-être aussi leur faire passer cette douce illusion que le seul eldorado est l'Angleterre.

Mais ce dimanche, la réunion des ministres de l'Intérieur européen à Calais s’est achevée sur un objectif : renforcer la lutte contre les réseaux de passeur. L’amélioration des conditions de vie pour les exilés n’a pas été abordée.

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