Nos sociétés sont-elles devenues hystériques ?

« Avant, si on rencontrait un adversaire politique au restaurant, on lui serrait la main. Aujourd’hui, on risque de se prendre un tir de fusil ! » ©Getty - John Rensten
« Avant, si on rencontrait un adversaire politique au restaurant, on lui serrait la main. Aujourd’hui, on risque de se prendre un tir de fusil ! » ©Getty - John Rensten
« Avant, si on rencontrait un adversaire politique au restaurant, on lui serrait la main. Aujourd’hui, on risque de se prendre un tir de fusil ! » ©Getty - John Rensten
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Une étude conduite dans 12 pays riches depuis les années 1970 prouve que la polarisation affective de nos sociétés a explosé. En effet, on supporte de moins en moins les gens qui ne partagent pas nos idées.

"Avant, si on rencontrait un adversaire politique au restaurant, on lui serrait la main. Aujourd’hui, on risque de se prendre un tir de fusil !" Voici ce que déclarait avec malice Lula, favori de la prochaine élection présidentielle brésilienne, dans un entretien au journal Le Monde en mars 2021. Deux phrases, une image, qui décrivent une vague déferlante qui traverse l’ensemble des démocraties du monde. La difficulté croissante à se parler, à se tolérer. L’inclination de plus en plus puissante à considérer l’Autre, l’opposant politique, comme un ennemi plutôt que comme un adversaire. Des sociétés où l’on préfère, de plus en plus, lever un majeur tendu plutôt qu’un poing serré. 

Ainsi, une étude conduite dans 12 pays riches depuis les années 1970 prouve que la polarisation affective de nos sociétés a explosé. En effet, on supporte de moins en moins les gens qui ne partagent pas nos idées. Autre donnée : en 1990, aux États-Unis, seuls 20 % des électeurs démocrates avaient une opinion négative des républicains. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 80 %… Pour tenter de comprendre ce qui se déplie et se déploie sous nos yeux, un essai vient de paraître, aux éditions de l’Aube. Il est signé Jonathan Curiel, directeur général adjoint des programmes du groupe M6. Et s’intitule La société hystérisée. Il nous explique ce qu’il entend par ce phénomène et pourquoi il a choisi ce terme.

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Jonathan Curiel vient de le relever : les périodes d’hystérie ont toujours existé. Les grandes crises économiques en sont une illustration éclatante. Irrationalité collective, décalage entre les économies réelle et financière, choix et comportements grégaires fondés sur la rumeur et la peur. La nouveauté, cependant, c’est que l’hystérie collective n’est plus une exception, un événement. Elle est devenue une constante, un flux tendu (combien de crises depuis de début de quinquennat ?)… Que l’on peut peut-être attribuer en partie aux réseaux sociaux, mais pas seulement. La fragmentation de la société, la hausse des inégalités, le repli sur soi, la défiance historique que les élites et la politique suscitent, la fin des grands récits mobilisateurs renforcent ce phénomène. Par ailleurs, pour Jonathan Curiel, un certain nombre de biais cognitifs permettent d'expliquer la nouvelle brutalité de nos échanges.

À qui la faute ? Aux responsables politiques qui dégainent sans effort les qualificatifs de wokistes et de complotistes. Aux intellectuels "fast-thinkers", amoureux des positions tranchées plus que des idées. Aux journalistes et à nos choix, à vous et moi… la responsabilité est bien diluée, minutieusement partagée. Jonathan Curiel entrevoit tout de même quelques sources d’espoir, quelques rayons lumineux.

L’hystérisation est une plaie, un péril, lorsqu’elle induit la brutalisation émotive de l’échange, l’impossibilité même de la discussion. Mais l’enjeu n’est pas non plus de condamner la conflictualité, en soi. Car le conflit, expression nécessaire des rapports de force qui traversent le corps social, porte en lui des germes féconds. Lorsqu’il est fondé sur la raison indispensable, la reconnaissance première, l’écoute réciproque. Alors, et maintenant ? Eh bien calmons-nous. Et demeurons exigeants.

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