Menu
Libération
Urgence

Covid, climat, famine : face à des défis inédits, l’ONU lance un appel humanitaire record

Les Nations unies ont besoin de 41 milliards de dollars pour venir en aide à 183 millions de personnes l’an prochain. L’ampleur inédite de la famine alarme les ONG.
par Frédéric Autran
publié le 2 décembre 2021 à 6h01

C’est une fenêtre annuelle sur l’état de la planète, les souffrances de ses habitants les plus vulnérables et, en filigrane, sur l’égoïsme des plus riches. Ce jeudi, le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) publie son plan d’action pour 2022 et l’appel aux dons nécessaires pour le mettre en œuvre. Selon ses estimations, 274 millions de personnes (soit un Terrien sur 29) auront besoin d’assistance l’an prochain, en hausse de 17 % par rapport à 2021 – qui constituait déjà un record. A travers une trentaine de plans d’actions couvrant 63 pays, l’ONU et ses partenaires espèrent venir en aide à 183 millions d’entre elles. Et lancent, pour ce faire, un appel inédit de 41 milliards de dollars (36 milliards d’euros).

Mais cette somme, on le sait déjà, n’arrivera pas. Car si les pays riches ont dépensé depuis deux ans des dizaines de milliers de milliards de dollars pour soutenir leurs économies et leurs citoyens, jetant aux oubliettes toute discipline fiscale et monétaire, les poches se révèlent toujours plus vides lorsqu’il s’agit de financer l’aide humanitaire. Qui ne représente pourtant qu’une goutte d’eau dans les dépenses publiques engagées pour atténuer les effets de la pandémie de Covid-19. Sur les quelque 38 milliards de dollars sollicités par OCHA pour 2021, seuls 17 avaient ainsi été versés mi-novembre. Soit un déficit de financement inédit d’une vingtaine de milliards qui a «éprouvé les agences humanitaires tout au long de l’année, notamment lorsqu’il a fallu intensifier la réponse face à des urgences comme l’Afghanistan et l’Ethiopie», souligne l’organisation dans son rapport.

Eviter l’éradication de décennies de progrès

Tout n’est pas à jeter. «Les résultats obtenus par les travailleurs humanitaires font honneur à la détermination et à la compétence de notre système», se félicite Martin Griffiths, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires. Nommé au printemps après avoir été pendant trois ans l’envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, le diplomate britannique vante le travail accompli par les équipes onusiennes et leurs partenaires locaux, qui ont «sauvé des vies» et apporté cette année une aide – alimentaire, médicale, éducative… – à 107 millions de personnes. Mais «les défis sont immenses» et «l’horizon est sombre», poursuit-il.

Plus sombre que dans le passé ? D’année en année, dans le flot incessant de rapports et déclarations de l’ONU, les mêmes maux reviennent en boucle : famine, conflit, épidémies, déplacements, extrême pauvreté, chocs climatiques… Les mêmes pays, aussi, – Syrie, Haïti, Afghanistan, République démocratique du Congo –, donnant parfois le sentiment d’une tragique ritournelle. L’ONU et les ONG, pourtant, insistent : en s’ajoutant aux conflits armés et aux catastrophes naturelles et climatiques de plus en plus sévères, la pandémie a conduit le monde «au bord du précipice», tonnait fin septembre le secrétaire général des Nations unies, António Guterres.

Dans ce contexte, le défi est d’éviter la chute libre, synonyme d’éradication de décennies de progrès humanitaires. «Des avancées durement acquises en matière d’emploi, de sécurité alimentaire, d’éducation et d’accès à la santé ont été effacées. L’extrême pauvreté augmente à nouveau après deux décennies de recul», souligne déjà le rapport d’OCHA. Il mentionne, parmi les innombrables effets indirects de la pandémie, la baisse du dépistage, du diagnostic et des traitements pour le sida, la tuberculose ou le paludisme, et la chute de 43% des consultations médicales prénatales.

Urgence absolue de la famine

Mais pour les travailleurs humanitaires, l’urgence absolue, puisque des vies en dépendent à très court terme, est la lutte contre la famine, qui menace 45 millions de personnes dans 43 pays, selon les dernières estimations du Programme alimentaire mondial, soit trois millions de plus qu’il y a un an. En cause : la crise en Afghanistan, miné par le conflit et sa pire sécheresse en vingt-sept ans, où 24 millions d’habitants ont besoin d’une aide d’urgence. Mais aussi le dérèglement climatique, les catastrophes naturelles et la hausse des prix du carburant, qui pèsent sur les prix alimentaires. Selon la FAO, les cours mondiaux sont déjà proches de leurs records de 2011 : le blé a bondi de près de 40% sur un an et les produits laitiers de 15%.

Outre l’Afghanistan, le pays qui inquiète le plus les organisations internationales est l’Ethiopie, où le conflit entre le pouvoir central et les rebelles du Front de libération du peuple tigréen et de l’Armée de libération oromo, entamé il y a plus d’un an, menace de faire basculer le pays tout entier. «C’est terrible de devoir choisir entre des pays aux besoins si considérables, mais je pense que l’Ethiopie est aujourd’hui le plus inquiétant», a souligné mercredi Martin Griffiths, qui s’est rendu sur place il y a quelques semaines. Face à la presse, il a raconté une visite dans un centre d’accueil pour femmes victimes de violences à Mekele, la capitale de la région du Tigré : «On leur a demandé quels étaient leurs espoirs. D’après ma longue expérience dans les zones de conflit, la réponse normale à cette question serait l’école pour les enfants et la sécurité pour leur famille. Mais pas cette fois. Toutes parlaient de nourriture pour le jour même. Leur horizon était la survie, pas le futur.»

Sur la lutte contre la famine comme sur les dons de vaccin, les engagements des pays riches sont à prendre avec précaution. Réunis en sommet en juin au Royaume-Uni, les pays du G7 avaient approuvé un Pacte sur la prévention de la famine et promis de s’attaquer d’urgence à ce problème, notamment en comblant le déficit de financement. Six mois plus tard, le compte n’y est pas, selon les ONG. Dans une lettre ouverte publiée mercredi, une quinzaine d’organisations internationales (Action contre la faim, CARE International, Oxfam, Save the Children…) et près d’une centaine ONG basées dans des pays durement touchés par la faim, ont exhorté les dirigeants mondiaux à l’action. «Les promesses du G7 n’ont pas été tenues. Il est clair que, depuis, la situation n’a fait qu’empirer, soulignent-elles. Les grands mots ne remplissent pas les estomacs vides.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique