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Dans l’ouest de l’Ouganda, les vies brisées de milliers de déplacés climatiques

Les populations victimes d’inondations sont regroupées dans des camps mais les autorités locales manquent de moyens pour leur apporter de l’aide.

Par  (Kasese (Ouganda), envoyée spéciale)

Publié le 02 décembre 2021 à 01h41

Temps de Lecture 5 min.

Des victimes des inondations de mai 2020 dans le camp de Muhokya, dans l’ouest de l’Ouganda, le 5 octobre 2021.

Madina Kabatuku, pieds dans l’eau, pelle à la main au milieu d’un paysage désolé, creuse avec l’énergie du désespoir pour ériger un cordon de terre et déjouer ce qui semble inéluctable. Bientôt, sa maison sera emportée. Depuis un mois, la rivière Nyamwamba est sortie de son lit et a pris possession de Kanyangeya, un village situé dans la vallée de Kasese, au pied des monts Rwenzori, dans le sud-ouest de l’Ouganda.

« Ici, il y avait des maisons et deux églises », indique-t-elle, en pointant du doigt une étendue d’eau d’où seuls émergent des bananiers et quelques plans de maïs, à moitié inondés. Derrière elle, sa maison de briques crues se tient encore bien droite. Des voisins lui ont donné du ciment pour la consolider.

Un peu plus en aval, Birula Perusi vit aussi au rythme du flux et du reflux du cours d’eau. « A chaque fois que l’eau pénètre dans la maison, nous sortons. Puis nous revenons. Même si c’est risqué, nous n’avons pas d’autre endroit où aller. Nous partirons quand elle sera tombée », explique-t-elle, en équilibre sur un tronc posé dans l’eau pour faire un pont entre sa maison et un bout de terre sèche. Avec ses huit enfants, elle ira rejoindre les autres victimes des inondations, dont le nombre ne cesse de croître dans cette région soumise à des épisodes de pluies de plus en plus violents et inattendus.

« Il y a quelques années, il fallait six jours avant que la rivière ne commence à déborder. Aujourd’hui, quelques heures suffisent », relève Augustine Kooli, responsable du département de l’environnement du district de Kasese. Fort d’une longue expérience, cet homme grand et posé a son explication : « L’augmentation des températures liée au dérèglement climatique charge l’atmosphère d’une quantité croissante d’humidité », décrit-il en dessinant sur une feuille blanche les monts Rwenzori, dont le pic Stanley, qui culmine à 5 109 mètres, est le troisième sommet d’Afrique.

Le climat n’est plus assez froid pour que la vapeur d’eau se transforme en neige en altitude. Le phénomène n’est pas nouveau : les glaciers qui coiffaient les sommets ont déjà presque tous disparu. « Mais nous observons maintenant une dégradation de la flore alpine, indique-t-il. Les prairies marécageuses – qui jouaient un rôle d’éponge – perdent leur capacité à séquestrer l’eau. Quand les pluies s’abattent, plus rien ne les retient. »

« Nous n’avons pas d’argent »

La Nyamwamba est l’une des quatre principales rivières à prendre sa source dans cette chaîne de montagnes à cheval entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo. Selon Richard Taylor, professeur à l’University College de Londres et spécialiste du système hydrologique des monts Rwenzori, la superficie occupée par les derniers glaciers est aujourd’hui probablement inférieure à 0,5 km2.

Le village et les installations de l’ancienne mine de cuivre qui ont été emportés par de violentes inondations en mai 2020, à Kilembe, dans le district de Kasese, en Ouganda, le 5 octobre 2021.

En mai 2020, le gros village de Kilembe, situé à une quinzaine de kilomètres en amont de Kasese, a presque été totalement emporté par une avalanche de blocs de pierres arrachés à la montagne par le flot de la rivière. L’école primaire et le collège ont été détruits. La déforestation entreprise pour faire de la place aux cultures de rente comme le café, mais aussi le manque d’entretien du lit des rivières et l’installation des populations toujours plus près des berges ont aggravé la situation. Onze personnes sont mortes dans la vallée et 10 000 ont dû trouver refuge dans des camps de fortune.

Un an et demi plus tard, la vie est toujours à l’arrêt. Les commerces ont fermé. Plus personne n’a de travail. Evidemment, l’épidémie de Covid-19 n’a pas aidé. « Nous n’avons rien à faire. Juste attendre », confie, désœuvrée, une jeune fille face au spectacle du chaos qui a remplacé son village.

Les autorités du district de Kasese avouent être désemparées : « Nous n’avons pas d’argent pour venir au secours des populations ni pour réhabiliter les infrastructures endommagées », constate Joseph Singoma, responsable du comité de gestion des catastrophes naturelles et de l’aide aux sinistrés. Les fonctionnaires ne peuvent pas davantage compter sur un système d’alerte précoce pour avertir les populations du danger. « Nous n’avons même pas une voiture ou une moto pour nous rendre sur les lieux lorsque nous sommes informés d’une catastrophe », poursuit M. Singoma, embarrassé par son impuissance.

Kasese et ses environs comptent sept camps de déplacés où s’entassent près de 3 000 personnes, en majorité des naufragés de Kilembe. Six ont été installés dans des écoles primaires fermées depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en mars 2020. « J’ai tout perdu. Je suis ici sans rien avec mes trois enfants. Je ne peux même pas partir chercher un travail autre part », raconte Juliet Kykimwa, 27 ans, installée dans un coin d’une salle de classe transformée en dortoir, sans eau, ni électricité.

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Les maigres soutiens que reçoivent les 200 personnes bloquées ici dépendent beaucoup de la mobilisation des ONG locales. « Nous organisons des collectes de nourriture, de vêtements, de jouets pour les enfants », explique Baluku Isaya, à la tête de Yaganet (Young agro-green Africa network). L’association fait aussi un travail important pour aider les réfugiés à cohabiter ensemble dans des conditions difficiles de promiscuité.

Des événements extrêmes

A une quinzaine de kilomètres de là, le long de la route qui mène au parc national Queen Elizabeth, près de 1 500 personnes sont installées à flanc de colline dans le camp Muhokya. Les plus débrouillardes ont réussi à construire des cases de terre séchée. Les autres, parmi lesquelles de nombreuses femmes seules avec leurs enfants, vivent dans des huttes de paille recouvertes de bâches en plastique.

« J’avais une maison. Je ne suis pas habituée à vivre comme cela. A devoir mendier », souffle Flora Mbendule, seule dans son minuscule abri avec ses huit enfants. Pour se nourrir, les réfugiés ont défriché de petites parcelles pour y faire pousser des légumes et des céréales.

Que leur réserve l’avenir ? « Faute de moyens pour s’adapter, les inondations deviennent une fatalité », déplore Baluku Isaya. Au cœur de l’Afrique des grands lacs, dont la contribution aux émissions mondiales de gaz à effet de serre est négligeable, les habitants de Kasese supportent, sans en avoir souvent conscience, l’inégal fardeau du dérèglement climatique.

Le professeur Richard Taylor, qui devrait conduire en janvier 2022 une mission scientifique pour mieux comprendre la dynamique de ces événements extrêmes, résume ainsi cette imparable réalité : « Une augmentation de 2 °C des températures charge l’atmosphère en vapeur d’eau trois fois plus à Kasese à Paris. Voilà bien toute l’injustice climatique. »

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