Comment continuer à s'aimer sous les Talibans ?

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Comment continuer à s'aimer sous les Talibans ?

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Sham, 23 ans, Kaboul, Afghanistan
Sham, 23 ans, Kaboul, Afghanistan
© Radio France - Thibault Lefèvre

Sham (c'est un prénom d'emprunt) a 23 ans. Depuis cinq ans, elle vit une histoire d'amour avec Ahmad sans le consentement de leurs familles. La situation n'était pas simple mais avec l'arrivée au pouvoir des Taliban, elle s'est encore compliquée.

Comment continuer à s’aimer sous les Talibans ? Ils ont 20 ans, ont grandi avec une démocratie balbutiante mais qui leur permettait de vivre un peu plus libres, et d’échapper en partie aux contraintes du carcan familial. Et puis soudain, les Taliban : une chape de plomb qui tombe sur toute cette génération de citadins connectés, des femmes et des hommes qui ont fait des études et veulent continuer à s’aimer à leur façon.

Une relation par messagerie  

Sham est une jeune fille de la classe moyenne de Kaboul, elle est subtilement maquillée, elle porte nonchalamment un voile de couleur crème, qui laisse apparaître quelques mèches sur son front, une robe de contrefaçon d’une célèbre enseigne de luxe italienne, et dans son faux sac de marque, il y a l’objet sans lequel rien ne serait possible : son téléphone portable connecté en permanence sur la messagerie What’s app. Le dernier échange, avec Ahmad, date du matin de l’interview : "C’était au sujet de la photo d’un petit chat que l’on m’a récemment offerte. Il a voulu me montrer qu’il était jaloux de l’animal, il m’a dit que le chat était moche et qu’il fallait que j’en prenne un autre"

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Le zoom de la rédaction
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J'efface tout 

Des rires, un chat et de l’amour, tout ça est évidemment très mignon, si ce n’est qu’au pays des Taliban, ce type d’échanges, hors mariage, est sévèrement puni. La famille de la jeune fille peut par exemple exiger une union forcée, ou plus grave, la mort du prétendant. Alors Sham fait évidemment très attention et elle efface régulièrement ses messages : "On ne peut pas faire confiance aux Taliban. Ils peuvent soudainement vous arrêter et vous demander de regarder votre téléphone avec les photos ou les messages envoyés. Personne ne doit être au courant, c’est pourquoi désormais, j’efface tout."

En Afghanistan la dissimulation est un art de vivre

Une précaution supplémentaire puisqu’avant les Taliban, il fallait déjà échapper, au regard inquisiteur des familles. En Afghanistan la dissimulation est un art de vivre. Alors, les deux amants se sont toujours aimés sans beaucoup se voir : "Ahmad, ce n’est pas le genre de garçon qui veut absolument m’embrasser ou m’enlacer. Il m’a assuré que si on ne se mariait pas, il n’abuserait pas de moi. Il me respecte bien plus que ça. Nous ne sommes pas ensemble juste pour passer du bon temps ou pour s’amuser."

L’arrivée des Talibans au pouvoir a éloigné encore un peu plus la perspective d’un mariage car Ahmad a combattu pour l’ancienne armée afghane et il envisage désormais de fuir en Iran. Sham ne peut pas le suivre mais elle promet qu’elle "l’attendra un siècle, s’il le faut".

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