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Comment les néo-féministes sont devenues pro-voile : on a lu le dernier livre de Naëm Bestandji
Toute animadversion du voile se transforme, dans la bouche de ses avocats, en une attaque contre l’ensemble de la communauté musulmane. Au risque d’oublier un détail : que ce soit en France ou dans certains pays musulmans, toutes les musulmanes ne portent pas le voile.
Georges Gonon-Guillermas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Comment les néo-féministes sont devenues pro-voile : on a lu le dernier livre de Naëm Bestandji

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Dans « Le linceul du féminisme » (Seramis), l'essayiste et militant laïque et féministe Naëm Bestandji revient sur la question du voile islamique, qui divise la société et notamment les féministes, depuis bientôt quarante ans.

C’est une antienne qui se murmurait du bout des lèvres dans les milieux féministes, à la fin des années 1980, et qui est désormais entonnée à tue-tête : le port du voile doit être défendu par tous les militants attachés aux droits des femmes. Et ce, sous peine d’être marqué du sceau de l’infamie : celui de l’islamophobie. Toute animadversion du voile se transforme, dans la bouche de ses avocats, en une attaque contre l’ensemble de la communauté musulmane. Au risque d’oublier un détail : que ce soit en France ou dans certains pays musulmans, toutes les musulmanes ne portent pas le voile.

Ce glissement dialectique, le camp de la laïcité ne parvient plus à l’empêcher, et les féministes anti-voile sont désormais rejetées par les représentantes d’un féminisme intersectionnel, qui respecterait le choix des femmes à porter le voile. « Le tchador, ce n’est pas seulement religieux, c’est politique, ne nous y trompons guère, et c’est surtout le symbole de la soumission et de l’infériorisation de la femme », s’insurgeait Gisèle Halimi en 1989 sur le plateau de Soir 3, où elle était invitée pour éclairer les raisons de sa démission de SOS Racisme.

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Gisèle Halimi serait-elle considérée aujourd’hui comme une antiféministe ? Comment cette injonction à soustraire le corps des femmes a-t-elle pu aujourd’hui devenir le symbole de la liberté, comme en témoignait la campagne du Conseil de l’Europe, menée par une association entretenant des liens avec les Frères musulmans en octobre dernier ? Comment aborder désormais la question épineuse du voile, sans tomber dans la moraline et les jugements à l’emporte-pièce ? Le voile peut-il être un symbole féministe ?

Instrumentalisation islamiste

C’est en revenant à ses origines sexistes et en désossant tous les éléments des discours actuels que Naëm Bestandji, ancien animateur socioculturel dans les quartiers populaires et fondateur du comité Ni Putes ni Soumises, invite le lecteur à une réflexion profonde sur la façon dont on a éludé toute critique du voile, devenu un véritable « cheval de Troie islamiste » dans la politique française. L’essayiste n’hésite guère à mêler à une analyse rigoureuse de l’histoire, des textes religieux et de l’actualité, son vécu personnel : expérience familiale, évocation d’amis d’enfance, souvenirs tunisiens, rencontre avec Tariq Ramadan… C’est d’ailleurs une phrase prononcée par le prédicateur qui ouvre la longue réflexion de l’ouvrage : « Le voile est une obligation en islam mais il n’y a nulle contrainte de le porter. » Ainsi, la femme musulmane a le choix entre la bonne et la mauvaise pratique. Libre à elle de choisir la mauvaise, alors.

« Si ses thuriféraires, encore très actifs aujourd’hui, veulent faire croire en l’application universelle dans le monde musulman du port du voile, il n’en est rien. Celui-ci a fait débat dès ses origines. »

Convaincu de la vacuité d’une telle formule, l’auteur s’adonne alors à une exégèse minutieuse du Coran, et des premiers textes de cette innovation sexiste. La première partie de l’essai s’attache à retracer l’histoire du voile, héritage culturel d’un patriarcat antique, mais également de la façon dont l’islam l’a imposé aux femmes. Non, le hijab n’est pas une prescription coranique, et son obligation relève d’une instrumentalisation islamiste de versets très précis. Oui, il existe des textes s’érigeant contre sa prescription, très anciens. Si ses thuriféraires, encore très actifs aujourd’hui, veulent faire croire en l’application universelle dans le monde musulman du port du voile, il n’en est rien. Celui-ci a fait débat dès ses origines.

L’ouvrage offre en outre une autopsie minutieuse des arguments pro-voile : de la soumission volontaire, illusion d’un choix, à la glorification de la pudeur, comparaison avec le voile des nonnes en passant par la minimisation de la charge symbolique de ce qui est présenté comme « un simple bout de tissu »…. Rien n’échappe à l’analyse ciselée et intransigeante de Naëm Bestandji.

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* Naëm Bestandji, Le linceul du féminisme, Seramis, 358 p., 21 €

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne