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Calaisis: comment 70 km de grillages ont poussé passeurs et migrants à prendre la mer

Calais et l’ensemble du littoral, plus encore depuis la tragédie ayant coûté la vie à 27 personnes, sont marqués par les traversées de clandestins à bord d’embarcations. Pour comprendre ce phénomène des « small boats », point de tensions franco-britanniques, retour sur cinq années d’une logique d’enfermement.

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Comme une prison à ciel ouvert. Dans le Calaisis, les clôtures haute sécurité accompagnent automobilistes, cyclistes et piétons dans leurs trajets sur l’ahurissante distance linéaire de 70 km (1). Soit 28 000 panneaux rigides soudés. Ces chiffres sont édifiants. Jamais la problématique migratoire n’est abordée sous cet aspect le plus spectaculaire de l’hypersécurisation. 70 km, c’est un aller-retour Calais-Douvres. Par la route, c’est ce qui sépare Calais de La Panne, à la frontière belge.

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Ce total de 70 km n’inclut pas les portions de barrières doublées, voire triplées, dans un indigeste mille-feuille de clôtures. Ni le mur anti-franchissement de la rocade portuaire (1 km de long), avant une station de carburant unique en France, cible des passeurs, comme emmurée elle aussi tellement elle ressemble à une prison.

Quatre mètres de hauteur

À Calais, Coquelles, Fréthun et Peuplingues, villes qui hébergent le port et le tunnel sous la Manche, ces 70 km de panneaux rigides ultra-sécuritaires ont été installés à partir de 2015. Ils sont doublés dans leur partie basse, pour décourager les pinces coupantes. Rétractables dans leur partie supérieure, afin de faire chuter un intrus. Surplombés de ronces concertina, barbelés acérés comme des lames de rasoir.

Dans le Calaisis, ces panneaux anti-intrusion se dressent sur quatre mètres de haut pour deux mètres cinquante de large. Aujourd’hui, les images de ces inhospitalières murailles d’acier contrastent avec le renouveau de Calais, dont le tourisme semble ressusciter.

« Les barrières, c’est la matérialisation de l’hypocrisie britannique. »

« Les barrières, c’est la matérialisation de l’hypocrisie britannique dans leur politique contre l’immigration clandestine  », commentait, amère, Faustine Maliar, interrogée en 2020 lors de notre première enquête (2). À 26  ans, la conseillère régionale et proche de la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, a toujours connu les crises migratoires, apparues à la fin des années 90. Elle goûte peu les reproches des Britanniques. Dépassés par le phénomène des « small boats », ils taxent la France de laxisme. « Une fois en Angleterre, les migrants ne font pas l’objet de contrôles d’identité et travaillent pour moins cher que la main-d’œuvre locale. C’est ça qui favorise l’immigration clandestine  », accuse Philippe Mignonet, adjoint au maire de Calais en charge de la sécurité, polyglotte qui fuit les médias britanniques, selon lui naïfs complices d’un mensonge d’État. « Oui, l’hypersécurisation du Calaisis a modifié la donne, les passeurs ont compris que c’est plus facile de traverser à bord de small boats. »

Dans le Calaisis, ces dernières années, 70 kilomètres de clôtures haute sécurité ont poussé au bord des routes, autour du tunnel sous la Manche et du port. PHOTO Johan BEN AZZOUZ
Dans le Calaisis, ces dernières années, 70 kilomètres de clôtures haute sécurité ont poussé au bord des routes, autour du tunnel sous la Manche et du port. PHOTO Johan BEN AZZOUZ - VDNPQR

Les passeurs s’emparent de la mer

Le démantèlement de la « jungle » (2016) et la multiplication des barrières (2015-2021) n’y ont rien changé, Londres reste attractive. Les passeurs ont pris la mer dès la fin 2017 et le marché est florissant. Entre le 1er janvier et le 20 novembre 2021, 31 500 migrants ont quitté les côtes et 7 800 ont été sauvés. Selon l’agence britannique Press Association, plus de 2 700 migrants ont réussi le passage sur les onze premiers mois de l’année. En 2020, ces traversées et tentatives ont concerné quelque 9 500 personnes (2 300 en 2019, 600 en 2018).

Dans le Calaisis, ces dernières années, 70 kilomètres de clôtures haute sécurité ont poussé au bord des routes, autour du tunnel sous la Manche et du port. PHOTO Johan BEN AZZOUZ
Dans le Calaisis, ces dernières années, 70 kilomètres de clôtures haute sécurité ont poussé au bord des routes, autour du tunnel sous la Manche et du port. PHOTO Johan BEN AZZOUZ - VDNPQR

Le Tunnel devenant presque infranchissable, le port et son extension prenant des allures de forteresse, les tentatives désespérées défraient la chronique. En kayak au mois d’août 2020, sur un bateau gonflable avec un mort quelques jours plus tard, sur des planches et des bouteilles en plastique en guise de flotteurs en juillet 2017… En kayak encore en cette fin d’année 2021, avec des issues tragiques. Poussant même Décathlon à suspendre la vente de ces embarcations dans ses magasins du littoral.

Mercredi soir au port de Calais, le retour de la vedette de la SNSM de Calais, qui a pris part aux recherches des 27 migrants décédés. PHOTO MARC DEMEURE
Mercredi soir au port de Calais, le retour de la vedette de la SNSM de Calais, qui a pris part aux recherches des 27 migrants décédés. PHOTO MARC DEMEURE - VDNPQR

Mais la majorité des traversées se fait sur des semi-rigides équipés de moteur. Des go fast où la marchandise est humaine. Avec un tarif moyen de 3 000 € par personne. Les passeurs font preuve d’adaptation, leur entreprise ne connaît pas la crise. En mer, on ne plante pas de clôture... Mais la Manche, qu’Emmanuel Macron ne veut pas voir devenir un « cimetière », devient un piège mortel. Qui, mercredi, s’est refermé sur 27 personnes. Des hommes, des femmes et des enfants sont morts dans une eau glaciale. Le pire bilan en vingt ans de crise. L’horreur absolue.

Mercredi soir au port de Calais, l’un des deux survivants avance péniblement sur la passerelle après le naufrage. PHOTO MARC DEMEURE
Mercredi soir au port de Calais, l’un des deux survivants avance péniblement sur la passerelle après le naufrage. PHOTO MARC DEMEURE - VDNPQR

(1) Dans une précédente enquête parue en septembre 2020, le total était de 65 km. Il faut inclure les clôtures supplémentaires à Coquelles, sur l’A16, apparues en août 2021. (2) Notre enquête est parue en septembre 2020. Nous avons choisi de la republier (après compléments d’information) suite aux derniers événements, pour mieux comprendre le phénomène des « small boats ».

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