D'Olympe de Gouges aux colleuses, la révolution de l’affichage féministe

Des lettres noires sur feuilles blanches : le concept s'est aujourd'hui exporté dans le monde entier. Bien loin d'Olympe de Gouges qui fut la première féministe à utiliser les murs pour s'exprimer.
Des lettres noires sur feuilles blanches : le concept s'est aujourd'hui exporté dans le monde entier. Bien loin d'Olympe de Gouges qui fut la première féministe à utiliser les murs pour s'exprimer.
D'Olympe de Gouges aux colleuses, la révolution de l'affichage féministe
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D'Olympe de Gouges aux colleuses, la révolution de l’affichage féministe

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On connaît toutes et tous ces feuilles A4 ornées de messages en lettres noires, qui habillent les murs des grandes villes. À l’origine, les affichages de rues féministes étaient pourtant très loin de cette imagerie épurée et percutante.

En février 2019, Marguerite Stern, une ancienne Femen, a une idée simple pour relayer son combat : des feuilles A4, de la peinture acrylique noire, et un message percutant : “Depuis 13 ans, des hommes commentent mon apparence physique dans la rue.” Elle placarde des affiches à Marseille avant d’être rejointe par d’autres femmes, qui s’organisent en collectifs par ville, désormais dans plusieurs pays. 

Une grande rupture dans l’histoire visuelle du féminisme”, selon la spécialiste de l’histoire du féminisme Christine Bard : “Les collages féministes qui apparaissent en 2019 sont vraiment innovants techniquement, très clairs, très simples, percutants, souvent poignants. Ça demande peu de moyens et c’est extrêmement puissant.

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Olympe de Gouges, la pionnière

Mais à l’origine, l’imagerie des affichages féministes était bien différente. Pendant l’Ancien Régime, des affiches dits “placards” rendaient publics des avis officiels. Lors de la Révolution française, Olympe de Gouges, pionnière du féminisme, est la première à utiliser ce support pour diffuser ses opinions, comme dans celui-ci où elle s’oppose à la décapitation de Louis XVI.

Les "placards", qui annonçaient des avis officiels, ont été utilisés par Olympe de Gouges, rédactrice de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Les "placards", qui annonçaient des avis officiels, ont été utilisés par Olympe de Gouges, rédactrice de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
- Ville de Paris - Bibliothèque Marguerite Durand

L’affichage féministe connaît quelques soubresauts pendant les périodes révolutionnaires de 1830 et 1848, mais s’affiche plutôt dans des revues. C’est lors de la Commune de Paris, en 1871, que les féministes s’approprient l’espace public, notamment par l’action de l’Union des femmes pour la défense de Paris. "Il ne faut pas oublier qu’au XIXe siècle, l’affiche, c’est plutôt de l’écrit, précise Christine Bard, professeure à l’Université d’Angers. Beaucoup de mots. Pendant la Commune, il y a une multiplication des affiches avec des textes plus courts, pas d’images.

Les affichages se multiplient au tournant du XIXe siècle pour plusieurs raisons : des progrès techniques d’impression, des financements qui deviennent possibles, une liberté d’expression croissante. Des affiches sont produites pour accompagner le lancement de journaux féministes, comme  “La Française” en 1906 ou “La Fronde” en 1897. Ce dernier titre est créé par la journaliste et femme politique Marguerite Durand, qui a d’ailleurs donné son nom à une bibliothèque parisienne où sont aujourd’hui entreposées environ 1500 affiches, datant de la Révolution à aujourd’hui.

En Angleterre, les suffragettes développent une vraie culture visuelle qui esthétise la communication féministe. On y retrouve un code couleur : le blanc de la pureté, le vert de l’espoir, le violet de la dignité.

Le violet, qui est resté jusqu'à aujourd'hui, était présent dans le code couleur adopté par les suffragettes, comme sur cette affiche de 1911.
Le violet, qui est resté jusqu'à aujourd'hui, était présent dans le code couleur adopté par les suffragettes, comme sur cette affiche de 1911.
© Getty - Hulton Archive

À partir du début du XXe siècle, la Ligue française pour le droit des femmes ou l’Union française pour le suffrage des femmes seront deux pourvoyeuses de visuels, un peu plus imagés.

Dans les années 1930, la campagne suffragiste se réveille en France autour de la journaliste Louise Weiss. Celle-ci se présente à des candidatures symboliques - les femmes n’ont pas encore le droit de vote - et à des élections, dont les campagnes voient apparaître de nouvelles affiches.

Cette affiche, arborée lors d'une manifestation de soutien à Louise Weiss en 1937, fait encore la part belle au texte.
Cette affiche, arborée lors d'une manifestation de soutien à Louise Weiss en 1937, fait encore la part belle au texte.
© Maxppp - Bibliothèque nationale de France/Maxppp

Le gros vent de renouveau arrive dans les années 1970, avec le Mouvement de libération des femmes : slogans plus courts, sérigraphie, des champs d’expression qui se multiplient… “La deuxième vague, après Mai 68, est très différente sur le fond et la forme”, résume Christine Bard.  On fait désormais preuve d’humour, on illustre les pancartes et on met des artistes à contribution, comme Claire Bretécher, qui réalise des affiches pour le Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception.

De quoi lancer une production d’images continue, souvent autour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Jusqu’à donner lieu aux collages contemporains, qui sont devenus une marque de fabrique au point de s'exporter un peu partout, de Milan à Montréal en passant par Madrid.