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    07/12/2021

    60 jours d’ITT et deux ans de harcèlement

    « Un policier a dit “Regarde comment on casse un bras” et... »

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Au commissariat de Saint-Quentin dans l’Aisne, Clément a été tabassé. L’un des policiers lui a même volontairement cassé le bras. Bilan : 60 jours d’ITT. Il a porté plainte mais subit depuis un véritable harcèlement policier.

    « Je pensais que j’allais mourir ce jour-là. » La voix tremblante et les larmes aux yeux, Clément revient sur le calvaire vécu au sein du commissariat de Saint-Quentin (02) dans l’Aisne. Après un différend avec deux hommes le 13 avril 2019, ce trentenaire s’est fait interpeller et a subi selon lui de nombreux coups ainsi que des insultes par des policiers locaux. Au commissariat, alors qu’il est menotté dans le dos et plaqué au sol par deux policiers, un des agents lui aurait lancé : « Regarde comment on casse un bras », avant de le lui remonter volontairement jusqu’à ce que l’humérus droit craque.

    Opéré dans la foulée, Clément se fait greffer une plaque de fer avec 35 agrafes, est immobilisé pendant plus d’un mois et reçoit 60 jours d’ITT. Mais son calvaire ne s’arrête pas là. Depuis deux ans, il se fait, dit-il, harceler par les policiers de Saint-Quentin, à coup de plaintes pour outrage, d’interpellations et de nouveaux coups. « C’est une petite ville. Maintenant, je suis connu comme le loup blanc. Je ne pensais jamais que j’allais vivre ça. Quand vous entrez dans un problème comme ça avec la police, vous n’en sortez pas », souffle Clément. Assisté de ses avocats, maîtres Eddy Arneton et Hector Cerf, il a déjà déposé trois plaintes, dont une pour torture et barbarie pour les faits du 13 avril 2019. Les baveux développent auprès de StreetPress :

    « Notre client souffre psychologiquement et physiquement jusqu’à ce jour de cette agression infâme. »

    Cette dernière affaire est jugée le 9 décembre, avec un seul agent qui comparaîtra devant le tribunal de Laon : le policier Aymeric-Bertrand M., le fonctionnaire qui lui a cassé le bras.

    Mis à nu et bras cassé

    Tout commence par une dispute entre Clément et deux hommes dans les rues de Saint-Quentin, pour une affaire de cœur. Face aux deux gaillards qui veulent en découdre, Clément sort une pochette. Il prévient : un scalpel se trouve à l’intérieur. Le duo recule et Clément s’enfuit. La police est prévenue. Deux agents l’interpellent quelques minutes plus tard. Clément est mis à terre et se fait écraser la tête par la Rangers du brigadier Arnaud P., selon le PV d’audition d’un témoin que StreetPress a pu consulter. Clément commence à faire une crise d’angoisse.

    Dans la voiture vers le poste, les violences redoublent. À sa gauche, un policier lui met « une dizaine de coups dans le flanc ». Arrivés au commissariat, ils le tirent de la voiture au niveau des chevilles et le font tomber par terre.

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    Le 13 avril 2019, Clément a été interpellé à Saint-Quentin pour avoir menacé deux personnes qui voulaient en découdre avec un scalpel qui se trouvait encore dans sa pochette. / Crédits : DR

    Alors qu’il raconte toute la scène, la voix de Clément commence à flancher. Les policiers l’emmènent dans une salle du dépôt des gardes à vue et le « jettent par terre sur le ventre ». Deux agents sont sur lui et le fouillent en le plaquant au sol. Ils enlèvent les vêtements de Clément et même son caleçon. Le trentenaire se retrouve quasi nu, le sexe apparent. Le pandore qui a son genou sur sa colonne vertébrale lui relève les bras jusqu’au milieu du dos. « Je n’étais pas agressif pourtant. Ils font ça devant tout le monde, des collègues à eux passaient. Je commence à avoir des douleurs de fou. J’ai commencé à pleurer », se rappelle Clément, les yeux embués. Il marque une pause, avant de continuer en sanglots :

    « Et un des policiers a dit qu’il allait casser mon bras. »

    L’agent lui remonte son bras droit vers l’avant et entraîne la fracture totale de son os. « Ça m’a fait une douleur de fou, je n’étais pas bien. J’alternais entre le chaud et le froid, je suais », se souvient Clément. Plus tard, il reconnaît le fonctionnaire sur les planches de l’IGPN : Aymeric-Bertrand M. Malgré la cassure, les bleus n’appellent pas de toubib. Ils lui remettent son caleçon et l’attachent sur un banc. Il est laissé là pendant une vingtaine de minutes. « Des policiers passent et me traitent de grosse merde. Ils me disent que j’ai ce que je mérite. Ils disent que j’avais un couteau et que je voulais planter quelqu’un », décrit Clément. Finalement, un des pandores appelle un médecin. À 13h, ce dernier stoppe la garde à vue.

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    Selon Clément, c'est le policier Aymeric-Bertrand M. qui lui a remonté son bras droit menotté vers l'avant, entraînant la fracture totale de son os. / Crédits : DR

    Des oedèmes et des fake news

    Clément est emmené à l’hôpital et passe sur le billard. En plus de son humérus droit fracturé, la victime a des œdèmes sur le corps au niveau du cou, du cuir chevelu et sous la paupière, d’après un certificat médical que StreetPress s’est procuré. Il reste trois jours à l’hôpital et est immobilisé pendant six semaines.

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    Après le cassage de son bras, Clément a été opéré dans la foulée. Il a reçu 35 agrafes, a été immobilisé pendant six semaines et a reçu 60 jours d'ITT. / Crédits : DR

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    En plus de son bras droit fracturé, la victime a des œdèmes sur le corps au niveau du cou, du cuir chevelu et sous la paupière. / Crédits : DR

    Le soir du 13 avril, Clément découvre également une brève du quotidien local l’Aisne Nouvelle qui évoque son cas : « Il porte un coup de couteau au policier lors de son interpellation à Saint-Quentin. » En moins de dix lignes, on apprend que le scalpel sous blister s’est transformé en couteau à cran d’arrêt et qu’il a attaqué un pandore avec. Aucune mention du bras cassé. « J’ai appelé le journal pour leur dire que ce n’était pas vrai. Ils m’ont dit qu’ils étaient allés au commissariat et qu’on leur avait raconté ça », détaille Clément.

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    Le soir-même, Clément découvre une version des faits tronquées dans la presse. Le scalpel s'est transformé en couteau à cran d'arrêt et il a attaqué un policier. Mais aucune mention du bras cassé. / Crédits : Capture d'écran du site de l'Aisne Nouvelle

    Une version policière contredite par l’IGPN

    Clément porte plainte dans la foulée auprès de la gendarmerie et l’affaire est confiée à l’IGPN. Les avocats de Clément, maîtres Eddy Arneton et Hector Cerf, déposent plainte pour « torture et barbarie ». Ils s’expliquent :

    « Quand on met à nu quelqu’un, face contre sol, les mains menottées dans le dos, qu’on le moque et qu’on le prévient que, s’il continue à gémir, on va lui briser le bras et qu’on le lui casse, on est au-delà des violences volontaires. »

    Du côté des bœuf-carottes, l’enquête met près de deux ans à être fignolée et les policiers de Saint-Quentin ne sont interrogés que 18 mois après les faits. Face à l’IGPN, Aymeric-Bertrand M. explique que Clément serait tombé seul et se serait cassé le bras à ce moment-là. Les quelques policiers témoins de la scène ont au choix la mémoire qui flanche ou confirment la thèse d’Aymeric-Bertrand M. Une version balayée par la police des polices elle-même*. L’inspection écrit dans son enquête que, si elle ne peut « déterminer avec certitude l’origine de la fracture du bras », elle considère qu’elle est « incompatible avec une chute inopinée sans intervention extérieure décrite par les fonctionnaires de police ». « Même dans leur défense, ces policiers ne cessent d’être hors-la-loi », jugent maîtres Arneton et Cerf.

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    À l'IGPN, qui a interrogé les policiers 18 mois plus tard, les quelques policiers témoins de la scène ont au choix la mémoire qui flanche ou confirment la thèse d’Aymeric-Bertrand M. / Crédits : DR

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    La thèse des policiers a été balayée par la police des polices elle-même. / Crédits : DR

    Un acharnement

    Depuis deux ans, l’homme de 36 ans est victime d’un harcèlement. Les forces de l’ordre multiplient les procédures à son encontre. Les deux fonctionnaires qu’il accuse principalement, Arnaud P. et Aymeric-Bertrand M., ont porté plainte contre lui pour outrage. « C’est impressionnant de voir les deux policiers qui vous ont fait du mal et qui déposent plainte contre vous. Ils essayent de minimiser les choses », se désespère la victime. Ses avocats Eddy Arneton et Hector Cerf analysent :

    « Lorsque des fonctionnaires de police sont mis en cause, on a ce schéma de contre-attaque qui consiste à accuser la personne qui a subi les violences. »

    Il a aussi été arrêté par les policiers de Saint-Quentin à trois reprises. Le 30 octobre 2019, c’est Aymeric-Bertrand M., l’agent qui lui a cassé le bras, qui est à la manœuvre. Il lui repasse les menottes et lui aurait dit de « fermer sa gueule ». Ce dernier pense que Clément roule sans permis. Une info qui date de ses précédentes interpellations. Pas de chance pour les bleus, Clément a depuis obtenu le sésame et est en règle. Il est ramené au commissariat et remis sur le même banc où il était après sa fracture du bras. « Ça m’a rappelé la scène, j’ai commencé à pleurer », souffle Clément avec émotion. Aux urgences, les médecins le découvrent en pleurs et décèlent des « éléments en faveur d’un syndrome de stress post-traumatique ». Il reporte plainte contre Aymeric-Bertrand M. pour violences volontaires car l’affaire et les menottes lui ont donné quatre jours d’ITT supplémentaires.

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    Lors d'un nouvel examen médical en novembre 2019, les médecins découvrent Clément en pleurs et décèlent des « éléments en faveur d’un syndrome de stress post-traumatique » / Crédits : DR

    Le 11 février 2020, rebelote. Clément est interpellé à la sortie d’un commerce pour abus de confiance – une histoire de voiture vendue à un particulier en 2019 où le kilométrage « n’était pas bon », explique l’ancien auto-entrepreneur. Au commissariat, lors d’une seconde fouille, « trois policiers sans numéro RIO » débarquent. Ils lui demandent d’enlever son caleçon. Clément proteste :

    « Le policier m’a donné un coup-de-poing au visage. Je suis tombé direct par terre. Ils m’ont tiré le caleçon, j’ai eu le sexe à l’air. »

    Suite à ces faits, Clément redépose plainte auprès du tribunal. Sauf que pour faire la lumière sur cette affaire de violence des policiers de Saint-Quentin, le parquet a confié l’enquête au… commissariat de Saint-Quentin. Une investigation classée sans suite, en « l’absence d’éléments objectifs » qui auraient pu prouver les violences, selon le procureur en charge du dossier.

    Les policiers de Saint-Quentin multiplient également les mesquineries en antidatant des courriers qu’ils envoient à Clément, ce qui lui fait manquer des rendez-vous au commissariat.

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    Clément reçoit des courriers antidatés de convocation pour se rendre au commissariat. Le 16 février 2021, par exemple, il a reçu un courrier pour une convocation… Le 15 février à 9h. Si la lettre de convocation policière est datée du 10, le cachet de la poste indique bien qu’il a été affranchi le 15. / Crédits : DR

    Encore des douleurs

    En plus de ses plaintes à la justice, le trentenaire a écrit au commissaire de Saint-Quentin ou même à Xavier Bertrand – l’élu candidat à la présidentielle y a fait ses débuts politiques et y a été maire – pour se plaindre du harcèlement des policiers à son égard. Tous ses courriers sont restés sans réponse. Encore aujourd’hui, Clément n’arrive pas à lever son bras :

    « Ça me fait encore mal. J’ai un petit handicap car je suis droitier. »

    Auto-entrepreneur dans la vente de véhicules d’occasion, Clément a dû arrêter son activité. Il l’avait commencé il y a quelques années, après avoir servi dans l’armée pendant huit ans, où il a été cuisinier et conducteur de car.

    Le 9 décembre, il sera au tribunal pour le procès d’Aymeric-Bertrand M. « On attend de cette audience que la justice constate l’atrocité subie par notre client et qu’elle donne un signal fort pour que ces pratiques cessent et que la police de Saint-Quentin redevienne républicaine », détaillent maîtres Arneton et Cerf. Clément, lui, n’attend qu’une décision :

    « Le policier qui m’a cassé le bras mérite d’être puni sévèrement et d’arrêter ses fonctions. »

    Contacté, le service d’Information et de communication de la police nationale (Sicop) n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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