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ReportageNature

Trop de photographes nature troublent les animaux sauvages

Des photographes testent du matériel pendant le festival de Montier-en-Der.

Grâce à du matériel photo plus accessible et une diffusion par les réseaux sociaux, la photographie naturaliste s’est démocratisée. Mais entre renouveau de l’intérêt pour la nature et pression accrue sur les espèces sauvages, cet élargissement questionne les spécialistes et professionnels de la nature.

Montier-en-Der (Haute-Marne), reportage

C’était le rendez-vous incontournable pour les amoureux de la photographie de nature. Pour la 24ᵉ année consécutive, le festival international de Montier-en-Der (Haute-Marne) a accueilli pendant quatre jours 44 000 visiteurs et plus d’une centaine d’expositions. La petite ville s’est transformée en capitale de l’univers étendu de la nature où, à travers la grisaille et la bruine, on déambulait dans les rues garnies d’expositions en plein air, où l’on s’arrêtait devant le regard d’un lynx ou une portée de renardeaux, où l’on admirait les mystères des profondeurs sous-marines.

Depuis plusieurs années, la photographie naturaliste a le vent en poupe. Les réseaux sociaux ont permis de diffuser les images de la biodiversité aux quatre coins du monde, de pair avec l’accessibilité du matériel photo. Au village des marques, Ludovic Drean, responsable du service pro de chez Nikon déclare que « la sortie d’une longue focale ultralégère et abordable financièrement a fait exploser les ventes, et avec les progrès techniques, l’accès à la photo réussie est de plus en plus simple ». Au sein de ce gymnase de 1 000 m² transformé en temple du matériel photo, on teste les dernières innovations.

Les rues ont été ornées de nombreux clichés. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

Autrefois réservée aux naturalistes, cette activité s’est largement démocratisée, ce qui peut être problématique pour la biodiversité : « Il y a vingt ans, j’étais seul à photographier le hibou des marais. Maintenant, il y a dix voitures autour du spot. Dès qu’un individu est repéré, ça va sur les réseaux sociaux », dit à Reporterre Louis-Marie Préau, photographe naturaliste et président de jury du concours de cette année. « Le danger, c’est qu’une personne qui n’est pas naturaliste ne va pas percevoir le signal d’un animal qui alarme, signe de dérangement. »

Pour Véronique Thiéry, fondatrice de l’association d’éducation à l’environnement et de protection de la nature Mille traces, les photographes n’ont pas de mauvaises intentions. Le problème vient du fait que la plupart des personnes n’ont pas conscience qu’elles dérangent, même si en apparence l’animal est tranquille. « Il nous arrive régulièrement de voir des photographes collés à l’entrée du terrier de marmottes, explique-t-elle. Même si l’animal a l’air de s’habituer à la présence du photographe, il s’alimente moins et va faire moins de graisse. Par conséquent, il va se réveiller d’hibernation un mois plus tôt à une période où il y a encore de la neige, et va mourir de faim. »

Le stand Nikon met en avant ses téléobjectifs. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

D’autres outils comme la repasse [1] ou les appâts ont des conséquences sur la faune sauvage. Régulièrement utilisés et multipliés par le nombre important de photographes, ils peuvent être une source de dérangement non négligeable. Derrière la photo, il y a l’appât du gain, l’envie de faire sa propre image, une sorte de trophée. « Nous n’annonçons plus les relâchers de lynx à cause du braconnage et des photographes qui venaient à proximité avoir leur cliché. Le vrai photographe, c’est les affûts et la traque qui le séduisent », estime un bénévole du centre de faune sauvage Athénas.

Victime de son succès, la démocratisation de la photographie nature aurait, pour certains, fait perdre cette connexion au vivant avant tout. Devant une photo de lynx ibérique, le photographe Teddy Bracard défend une vision naturaliste de l’image : « Je suis arrivé à la photo par la nature. Je cherche à identifier les traces des animaux, à comprendre comment ils vivent. La photo est un plus. Sur les réseaux, il y a beaucoup de gens qui ne sont là que pour la photo. Par exemple, durant le brame, il y a de nombreux photographes qui entendent les cerfs et cherchent à faire des photos à l’approche, ce qui dérange. Pour ma part, je prépare mes postes d’affût au mois d’août et je m’y place deux heures avant le lever du soleil au mois d’octobre, pendant le brame. »

« Beaucoup de gens pensent davantage à la gloire qu’à l’approche naturaliste »

Le naturaliste serait-il un modèle de bonne conduite grâce à sa connaissance du terrain ? Pas vraiment, selon Teddy Bracard : « Certains naturalistes sont aussi comme ça. J’avoue que je suis un peu dégoûté du milieu de la photo nature, car je vois beaucoup de gens qui pensent davantage à la gloire qu’à l’approche naturaliste. » Par ailleurs, l’expérience n’évite pas des mauvaises surprises. En témoigne un photographe naturaliste chevronné : « Je ne ferai plus jamais d’affût proche de terrier de renard, car, malgré mes précautions, la mère a déménagé les petits juste après ma venue. »

Les renards roux de Vincent Ranoux. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

Cette recherche de reconnaissance passe également par l’envie de remporter des concours photos, grâce à des images toujours plus techniques et spectaculaires. À cette fin, l’éthique est parfois reléguée au second rang. Pour Louis-Marie Préau, président du jury de l’édition 2021 du concours de Montier-en-Der, « il y a un règlement assez strict. Avec l’expérience, on arrive à reconnaître les images suspectes mais parfois cela ne se voit pas forcément, il y a toujours des pièges. » Ce n’est encore jamais arrivé pour le concours de Montier-en-Der, mais certains gros concours ont déjà retiré des prix a posteriori, après qu’une supercherie, telle la photo d’un animal empaillé, ait été démasquée. Cette année, à Montier-en-Der, un glouton poursuivi par un corbeau dans la neige scandinave a remporté le grand prix.

À l’entrée du chapiteau. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

Certains photographes de renom sont de véritables modèles malgré eux. C’est le cas de Laurent Ballesta, qui présentait son exposition Planète Méditerranée à la Halle aux grains. « Il me semble voir une course à la performance, via l’appât du succès. Ça passe par l’innovation technique, les records… » Le photographe marin, réputé pour ses plongées engagées, s’interroge sur sa « responsabilité à pousser certains à faire toujours plus » et déplore qu’il y ait « une perte de noblesse dans l’absence d’approche solitaire, d’une attente potentiellement infructueuse ».

L’effet d’entraînement des précurseurs

Sur la terre ferme, le nom de Vincent Munier revient souvent. Précurseur par son approche naturaliste artistique et ses images évocatrices, le photographe se plaît dans les nuances de blanc minimaliste. À l’affiche avec son film La panthère des neiges réalisé par Marie Amiguet, qui a fait salle comble au festival, ses voyages suscitent un certain engouement. Dans le pôle voyagiste du grand chapiteau, Vincent Frances, fondateur de l’agence Photographe du monde, déclare avoir constaté une forte demande de voyages au Tibet. « Les gens nous disaient “Vincent Munier l’a fait, on veut y aller.” » Si certaines agences ont saisi l’occasion, Vincent Frances a refusé d’organiser des voyages dans cette région. « Il faut laisser certains territoires et espèces tranquilles », le but étant « d’éviter l’effet safari avec trente 4x4 autour d’un lion ».

L’esprit ailé de Mario Cea Sanchez a remporté le prix du public. © Théo Tzélépoglou / Reporterre

De leur côté, les accompagnateurs des séjours photos font preuve de pédagogie pour sensibiliser les photographes. « Au départ, on ressentait la pression des photographes pour voir certaines espèces. Désormais, on leur explique que la nature n’est pas un zoo, il faut accepter l’idée que l’on ne puisse rien voir », dit Patrice Aguilar, photographe et accompagnateur à l’agence Amarok.

Concernant les séjours photos, Vincent Frances se montre confiant : « Les jeunes voyagent différemment, les séjours vont évoluer en coconstruction avec le voyageur de demain, qui est plus respectueux de l’environnement. » Cette passion a le mérite de montrer et partager le beau, une vocation première chez les photographes interrogés. « C’est tout de même mieux que de porter un fusil », conclut Louis-Marie Préau.



Notre reportage en images :


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