À compter d’aujourd’hui, des policiers de Longueuil vivront une immersion permanente au sein de la population. Le but : désamorcer des crises ; bien avant que des appels d’urgence soient faits au 911. Ce projet pourrait « jeter les bases d’un nouveau modèle policier au Québec », selon la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. La police de l’avenir sera-t-elle composée d’intervenants sociaux armés ?

Intervenir avant l’appel au 911

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L’agent Vallières s’entretient avec Daniel, ancien sans-abri aux prises avec des problèmes de consommation et de santé mentale avec lequel le policier a développé une relation de confiance.

« Daniel, ça part dans tous les sens, ton affaire. On va se concentrer un peu. »

Nous sommes au début du mois de novembre. L’agent Ghyslain Vallières a à peine le temps de stationner sa voiture de police que l’ex-sans-abri vient à sa rencontre d’un pas pressé.

Impossible de le manquer, Daniel porte un dossard orange fluo. L’homme est costaud. Il fait de grands gestes avec ses mains pour accueillir le policier devant la résidence du Vieux-Longueuil où il loue une chambre depuis quelques mois.

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Quand Daniel se sent sur le point d’exploser, il téléphone à Ghyslain.

« Je suis content de te voir, Ghyslain », lâche-t-il à l’agent du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) avant de lui déballer « treize problèmes à la douzaine ». Il parle vite, un brin énervé.

Lors du premier confinement, Daniel, qui compose avec des problèmes de consommation et de santé mentale, s’est retrouvé à la rue.

À la même période, l’agent Vallières – à travers ses tâches habituelles – sillonnait les endroits où les sans-abri et d’autres personnes vulnérables avaient leurs habitudes afin de leur venir en aide.

Au fil du temps – et de « beaucoup de palettes de chocolat » –, l’agent a gagné la confiance de Daniel, il lui a trouvé un refuge, puis une chambre en pension en plus de lui fournir… son numéro de cellulaire.

Depuis, quand Daniel se sent sur le bord d’exploser, il appelle l’agent Vallières.

« J’ai juste deux amis », nous confie le colosse. L’un d’eux, c’est le policier.

Avec cette approche « en amont », l’agent Vallières a désamorcé plusieurs crises.

Des crises qui auraient « généré » des appels au 911 et mobilisé des patrouilleurs, souligne le policier.

Cette façon d’intervenir est tout à fait dans l’esprit du nouveau projet de Policiers RESO (réseau d’entraide sociale et organisationnelle) qui sera implanté ce mercredi sur le territoire de l’agglomération de Longueuil.

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Daniel considère l’agent Vallières, comme un ami.

La Presse a récemment accompagné l’agent Vallières sur le terrain pour comprendre en quoi consiste ce projet qualifié d’« avant-gardiste » par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

Cette expérience pourrait « jeter les bases d’un nouveau modèle policier au Québec », a-t-elle souligné au moment d’annoncer le versement d’une enveloppe de 3,6 millions de dollars sur trois ans pour son démarrage.

À compter de ce mercredi, les 17 premiers policiers RESO vivront une immersion permanente au sein de la population. Le but : intervenir en amont, bien avant que des appels d’urgence soient faits au 911.

Assignés à des secteurs précis, ces policiers parcourront leur territoire principalement à pied. Ils pourront être joints directement sur leur cellulaire. Ils agiront quand une personne est dans le besoin, pas seulement dans des circonstances qui présentent un danger.

Le chef du SPAL, Fady Dagher, est convaincu qu’il parviendra ainsi à faire diminuer les appels au 911 tout en rapprochant les policiers de la population qu’ils servent.

« On revoit le mandat du travail policier », explique celui qui dirige le troisième service de police municipal en importance au Québec.

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Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

Présentement, la majorité du temps, c’est un appel [au 911], un char. Un appel, un char. On ne peut plus travailler comme ça. C’est l’équivalent de mettre un petit pansement sur une plaie ouverte.

Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

Même réalité partout

En effet – et ça dépasse la réalité du SPAL –, les policiers du Québec doivent répondre à un nombre sans cesse croissant d’appels concernant des individus qui souffrent de problèmes de santé mentale. Ce sont des cas qui passent à travers le filet social et aboutissent dans la cour de la police.

En général, de 15 % à 20 % des appels récurrents viennent des mêmes endroits et ça occupe 80 % des patrouilleurs, selon le chef de police.

La résidence d’une dizaine de chambres où vit l’ex-sans-abri Daniel est du nombre. Ici, des gens qui ont besoin d’une pension à leur sortie d’un séjour à l’hôpital – dont des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale – cohabitent avec des personnes âgées.

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Le policier écoute le propriétaire qui souhaite expulser son locataire en retard dans le paiement de son loyer.

Aujourd’hui, c’est un conflit avec son propriétaire « à propos du câble » qui a mis Daniel hors de lui.

Mais ce dernier s’inquiète aussi du sort d’une résidante des lieux – une femme âgée à l’air perdu. D’origine asiatique, elle ne semble comprendre ni le français ni l’anglais. Il craint qu’elle ne reçoive pas les services dont elle a besoin.

Ici, les repas sont fournis par la résidence. Le « souper » de la vieille dame est déjà servi. Or, il n’est pas encore midi. Il s’agit d’un demi-sandwich recouvert d’une pellicule de plastique. Un plat de yogourt trône à côté.

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L’agent Vallières va à la rencontre d’une résidante de la maison de chambres qui a besoin des services du CLSC.

« Ça n’a pas d’allure de laisser ça sur la table des heures à l’avance », s’indigne Daniel.

Le colosse est d’autant préoccupé que les détecteurs de fumée ont été vidés de leurs piles. On imagine que la dame âgée qui se déplace péniblement avec une marchette aurait beaucoup de difficulté à évacuer les lieux si un incendie se déclenchait.

Des résidants fument comme des cheminées à l’intérieur.

Un autre homme sort de sa chambre au même moment et interrompt la conversation entre Daniel et le policier : « Moi, je veux juste du chauffage », lance-t-il en désignant le thermostat sous clé.

Comme la pièce est aérée pour évacuer la fumée, il y fait effectivement froid. Et l’hiver n’est pas encore arrivé.

Un molosse – plus le genre chien de garde que de zoothérapie – se promène parmi les gens.

Au moment où Daniel traite son propriétaire de tous les noms, ce dernier débarque. Lui aussi est en furie. Il veut évincer son locataire dès « maintenant ».

Daniel est en retard dans le paiement de son loyer. Avec sa carrure imposante et son humeur inégale, il fait peur au proprio et à sa femme.

L’agent Vallières prendra la demi-heure suivante à expliquer leurs droits et leurs obligations à l’un et à l’autre.

Avant de partir, le policier conseille avec fermeté à Daniel de payer son loyer.

« Sinon, je ne pourrai rien faire pour toi. »

Pas le problème de la police ?

« Des gens peuvent dire que ce n’est pas le problème de la police. Il n’y a pas eu de crime commis », concède le policier à La Presse une fois de retour dans la voiture.

En même temps, en passant 30 minutes ici à jaser avec Daniel, le policier peut intervenir sur plusieurs plans.

Je fais baisser la tension avec son propriétaire ; je découvre une femme âgée qui a besoin de services du CLSC ; je vais alerter le service incendie pour l’histoire des détecteurs de fumée.

L’agent Ghyslain Vallières du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

Si Daniel – ou son propriétaire – avait appelé le 911 ce jour-là parce que la crise avait dégénéré, les patrouilleurs en auraient eu pour trois ou quatre heures à « écouter les versions, remplir un rapport, présenter le dossier à un procureur », décrit le policier.

« Pourquoi c’est vous qui êtes là ? Vous n’avez rien à faire ? a d’ailleurs lancé le proprio visiblement excédé à l’agent Vallières. Il n’y a pas d’intervenant social qui peut s’en occuper ? »

Non, Daniel n’est pas suivi par un travailleur social.

Un cas de plus qui passe à travers les mailles du filet.

Projet des Policiers RESO du SPAL

RESO pour réseau d’entraide sociale et organisationnelle

Début du projet : 8 décembre

Au départ : 17 policiers répartis dans 17 secteurs de l’agglomération supervisés par 2 sergents

Budget : 7,2 millions (dont 3,6 millions de Québec sur trois ans)

Les « grands malades » de Chez Lise

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Les policiers Marylène Vandal et Ghyslain Vallières discutent avec Sophie Noreau, copropriétaire de la maison Chez Lise et infirmière clinicienne de formation.

Sophie Noreau appelle la police pratiquement tous les jours. Parfois plusieurs fois par jour.

« Cette semaine, dans une même journée, j’ai tellement appelé de fois que j’étais rendue à modifier ma voix tellement j’étais gênée », raconte la copropriétaire de Chez Lise, un complexe de maisons de chambres et de pensions dans le Vieux-Longueuil.

Ses 130 résidants sont de « grands malades ». Certains sont des « enfants négligés, torturés, abusés devenus des adultes avec de lourds enjeux de santé mentale », décrit avec une affection évidente l’infirmière clinicienne de formation devenue la nouvelle copropriétaire des lieux en janvier dernier.

Mme Noreau ne compose jamais le 911 pour rien.

Ici, les « m’as te tuer, ma tabarnak » et « osti de pourri, redonne-moi mes cigarettes, sinon je t’en crisse une » résonnent fréquemment.

La propriétaire appelle la police parce que Chantal* vient de « puncher » au visage une résidante qui lui « devait » des cigarettes.

Ou parce que Richard cache une soixantaine de machettes dans sa chambre.

Parfois, ce sont les résidants eux-mêmes qui appellent.

Comme Roger qui a composé le 911 l’autre jour parce que « quelqu’un lui avait volé ses speeds ».

Ou encore Rita qui jurait s’être fait voler ses affaires alors que c’était elle-même qui les faisait disparaître.

Souffrant de problèmes cognitifs, la femme âgée les jetait dans la benne à ordures et ne s’en souvenait plus l’instant d’après.

Récemment, Mme Noreau a dû appeler le 911 parce qu’un de ses résidants était complètement désorganisé. Il chantait à tue-tête dans le stationnement, flambant nu avec un cache-œil de pirate comme unique accessoire.

Le spectacle perturbait tout le monde.

Les deux patrouilleurs qui ont répondu à l’appel sont repartis rapidement, indiquant à la propriétaire qu’ils n’avaient pas de motif de l’embarquer.

Et ils n’avaient pas le temps de rester pour désamorcer la crise.

L’infirmière en santé mentale a insisté : son résidant qui souffre de bipolarité était en pleine phase de manie et il n’allait pas s’arrêter là. Elle avait besoin d’aide.

« On va se revoir ce soir », a-t-elle laissé tomber, résignée, en regardant la voiture s’éloigner.

Ce soir-là, le résidant a volé une voiture, il est revenu « faire des burns » devant Chez Lise avant de brutaliser une autre résidante âgée. Tout cela après avoir saccagé sa chambre à la recherche de caméras « de la CIA » dans le plafond.

La police a fini par revenir pour l’embarquer, comme la propriétaire des lieux l’avait prédit.

Une conclusion différente avec RESO ?

La présence d’un policier « RESO » affecté au secteur aurait-elle pu changer l’issue de cette journée ?

Mme Noreau en est convaincue.

Dans les premiers mois de la pandémie, l’agent Ghyslain Vallières faisait « son tour » à la maison Chez Lise presque tous les jours.

Et ça a eu un impact, dit-elle.

C’était avant l’implantation du projet de police de concertation qui se concrétise ces jours-ci.

Mais son approche de prévention des crises est la même que celle qui sera adoptée par les policiers « RESO ».

Quand il a fallu faire venir l’escouade spécialisée (« SWAT ») pour saisir les machettes de Richard, l’agent Vallières a servi d’intermédiaire entre le groupe d’intervention et Mme Noreau.

Richard est un schizophrène « très malade » comme plusieurs autres résidants qui risquent de faire une crise à la vue de ces policiers lourdement équipés (veste pare-balles, casque, jambières, visière balistique, bouclier) et armés, a pu expliquer la propriétaire des lieux à la police.

L’escouade spécialisée a accepté d’adapter son intervention à cette clientèle à la fois fragile et explosive.

Si on n’avait pas tenu compte des lieux, ça aurait désorganisé les autres résidants pour deux mois.

L’agent Ghyslain Vallières du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

C’est lui – un « visage connu » – qui est resté avec Richard alors que l’escouade fouillait sa chambre. Et c’est aussi lui qui l’a accompagné ensuite à l’hôpital psychiatrique pour qu’il reçoive des soins.

« J’ai absorbé toute sa colère et on a évité le code blanc [quand un patient se désorganise au point où la sécurité doit être appelée] », raconte le policier d’expérience.

Des exemples comme celui-là impliquant l’agent Vallières, Mme Noreau en a des tonnes. Comme la fois où une prostituée est venue acheter du crack à un résidant d’un de ses immeubles. La femme intoxiquée était complètement désinhibée. La scène était troublante pour les élèves du cégep situé en face.

Quand Mme Noreau lui a demandé de quitter les lieux, la prostituée est devenue furieuse. Elle l’a attaquée en lui lançant ses souliers et en la traitant de tous les noms. « Ghyslain, es-tu dans les parages ? J’aurais une petite urgence », a-t-elle texté au policier.

« Il a fallu que je me cache dans une chambre en attendant que Ghyslain arrive », raconte-t-elle.

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L’agent Vallières sert le repas, lors d'un souper pizza.

Le policier a réussi à calmer les esprits de tout le monde. Il a trouvé les coordonnées du copain de la femme. Ce dernier est venu la chercher et a même remercié l’agent Vallières de son intervention.

« Des fois, ça prend un uniforme, lâche l’infirmière. J’ai besoin de la police, mais d’une police capable de comprendre les zones grises. »

Rejetés partout

« Un autre pucké de Chez Lise. »

Mme Noreau a entendu cela souvent quand elle travaillait encore comme infirmière spécialisée en santé mentale dans un hôpital de la Montérégie.

« Ils sont rejetés partout », dit-elle. Même le facteur n’ose pas mettre les pieds ici, raconte-t-elle, de peur de se faire attaquer lors de la livraison des chèques d’aide sociale.

Alors de travailler avec un policier qui comprend les questions de santé mentale, ça va faire une différence, croit-elle.

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Les résidants de Chez Lise apprécient l’agent Vallières. 
« Je l’aime, lui. C’est mon sauveur », confie même Chantal 
qui habite la maison de chambres.

Un soir de novembre, les propriétaires de Chez Lise ont accueilli La Presse lors d’un souper pizza où deux agents du SPAL – Ghyslain Vallières et Marylène Vandal – sont venus servir le repas.

C’est l’agente Vandal qui a été choisie pour devenir la policière « RESO » du secteur.

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L’heure du souper est un moment animé Chez Lise, alors que les résidants se croisent dans la salle à manger ou la cuisine.

Ici, à l’heure du souper, il y a de l’action. Des résidants entrent dans la salle à manger, parfois encore vêtus de leur pyjama. Ils ont les cheveux hirsutes, le regard fuyant ou, au contraire, hyper méfiant. Une femme handicapée chantonne, assise seule à sa table. Une odeur de cigarettes imprégnée dans leurs vêtements nous prend à la gorge.

À la vue de « leur » Ghyslain, des regards s’illuminent. Ils font la file devant l’armoire sous clé où sont entreposés leurs médicaments, puis ils vont se servir dans la cuisine. L’espace est restreint. Certains ont des manières brusques. Un homme se fraie un chemin en tenant fermement son cabaret sans tenir compte de la femme aveugle qui tente tant bien que mal de ne pas renverser le sien.

Un autre hurle des propos incohérents dans le corridor. L’agente Vandal va le rejoindre et engage doucement la conversation. Elle revient 20 minutes plus tard. « Je lui ai donné un devoir. Il est parti écrire ce qu’il entend dans un cahier. Ça a eu l’air de le calmer », dit-elle.

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La majorité des 130 résidants du complexe de maisons de chambres sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Chantal – celle qui a frappé une autre résidante pour une dette de cigarettes – accueille chaleureusement l’agent Vallières. « Je l’aime, lui, nous dit-elle. C’est mon sauveur. »

Au début de la pandémie, cette femme ayant de graves problèmes de santé mentale s’est retrouvée à la rue, forcée de se prostituer pour survivre. Le policier a réussi à lui trouver une chambre à la maison Chez Lise. Mais comme bien des résidants ici, Chantal est un cas complexe.

Cet été, ç’a été crise après crise après crise. Ça pouvait me prendre trois heures à la calmer. Le patrouilleur, il ne l’a pas, ce temps-là. Il a d’autres appels urgents qui l’attendent.

L’agent Ghyslain Vallières du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL)

Ne serait-ce pas du boulot pour un travailleur social ?

Chantal est sur une liste d’attente du CLSC pour obtenir des services sociaux.

À la fin de son quart de travail, Martine, la cuisinière, sort griller une cigarette alors que les deux agents sont aussi à l’extérieur pour respirer un peu d’air frais. La jeune femme se plaint d’un résidant qui lui fait des allusions sexuelles à tout bout de champ.

L’agente Vandal promet d’intervenir.

« Moi, j’aime ça, travailler ici. J’ai l’impression de faire une différence, dit la policière de 49 ans. Dans quatre ans, je prends ma retraite et je vais continuer de venir ici comme bénévole. »

La copropriétaire, Mme Noreau, est émue : « Ce n’est vraiment pas tout le monde qui est à l’aise de travailler ici. »

* Les noms des pensionnaires sont fictifs, leurs histoires ne le sont pas.

Des travailleurs sociaux armés ?

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Pour Ghyslain Vallières, son rôle est de « maintenir la paix sociale ».

Les policiers RESO sont-ils des travailleurs sociaux armés 

« On ne va pas remplacer les travailleurs sociaux, soutient l’agent Ghyslain Vallières, du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL). On est complémentaires. »

Le policier se perçoit comme un acteur social : « Je joue mon rôle de maintenir la paix sociale en partenariat avec les autres acteurs : CLSC, organismes communautaires, écoles, etc. »

Le projet RESO s’inscrit dans un changement de culture profond qui a débuté il y a près de quatre ans déjà, explique son chef Fady Dagher. Celui qui a travaillé 24 ans au Service de police de la Ville de Montréal a pris les rênes du SPAL en février 2017.

En quatre ans à la tête du SPAL, le chef a innové. Le corps policier recrute maintenant ses candidats en fonction de leur « intelligence émotionnelle et de leurs qualités interpersonnelles ».

Les promotions sont aussi accordées en fonction de ces nouveaux critères. Il a également mis sur pied la formation « Immersion » en 2019 dans le cadre de laquelle, pendant cinq semaines, deux fois par an, 30 policiers sans arme et sans uniforme sont retirés de la patrouille pour passer leurs journées dans la communauté (refuges pour sans-abri, lieux de culte, écoles pour enfants autistes, etc.).

La moitié des patrouilleurs du SPAL – 140 sur 280 – deviendront des policiers RESO d’ici 5 à 10 ans si le projet fonctionne, souhaite le chef Dagher. « Plus les appels au 911 vont baisser, plus je vais pouvoir mettre des policiers RESO sur le terrain », dit-il.

En finançant ce projet, Québec espère que la nouvelle approche immersive améliorera le travail policier face aux problèmes de profilage racial et social qui plombent les relations entre la population et les forces de l’ordre.

Au sein des policiers du SPAL, le projet ne fait pas l’unanimité. Il a tout juste récolté une majorité d’appuis lors du vote syndical. La Fraternité des policiers et policières de Longueuil a décliné notre demande d’entrevue.

Beaucoup d’organismes communautaires de Longueuil, eux, sont déjà convaincus des bienfaits de la nouvelle approche.

Souvent, les familles qui arrivent de pays où la police est corrompue ou violente ont peur quand ils rencontrent un policier ici.

Zainab Akkaoui, directrice de l’association Femmes d’ici et d’ailleurs

Certaines communautés ont besoin d’être rassurées quant au rôle de la police au Canada, poursuit Mme Akkaoui.

Le jour où La Presse l’accompagne, l’agent Vallières doit récupérer des surplus de légumes d’un organisme communautaire de Saint-Hubert et les livrer à l’association de Mme Akkaoui qui, elle, les redistribuera à des familles de nouveaux arrivants.

C’est le policier qui a mis en lien les deux organismes durant le premier confinement. Depuis, ils s’entraident.

« La confiance entre les nouveaux arrivants et la police se tisse lentement, par des petits gestes, ajoute Mme Akkaoui. De savoir que je peux appeler un policier comme Ghyslain lorsque je vis des situations délicates, c’est une sécurité. »

Pensons à des adolescentes ou des femmes qui « s’éloignent des valeurs familiales » et qui viendraient la consulter pour recevoir de l’aide, indique-t-elle.

On a besoin de policiers qui savent comment désamorcer des crises de façon humaine.

Nicholas Gildersleeve, directeur général de La Halte du coin, un refuge pour sans-abri sur la Rive-Sud

Au plus fort de la crise sanitaire, l’agent Vallières l’a aidé à mettre sur pied cette nouvelle ressource. « Ghyslain n’est jamais dans la confrontation. Il a une approche douce qui ne l’empêche pas de jouer son rôle, explique M. Gildersleeve. Un jour, un usager de La Halte a brandi un couteau devant tout le monde. Ghyslain était là. Il l’a calmé et l’a désarmé. Personne n’a été blessé. »

Aux yeux de la nouvelle mairesse de la cinquième ville au Québec, Catherine Fournier, il s’agit « clairement » de la police de l’avenir.

« À l’heure où on se questionne sur le rôle de la police en général, je trouve que le SPAL a vraiment été un leader en matière d’innovation sociale et de réflexion également sur une police plus humaine, plus connectée à la communauté », dit-elle, enthousiaste, en soulignant au passage qu’elle souhaite « garder le chef Dagher à Longueuil », un clin d’œil au fait que le mandat de ce dernier se termine en février et n’a pas encore été renouvelé.