Articles récents \ Culture \ Musique Les Grandes Oubliées de la musique classique

Les musiciennes, chanteuses et compositrices furent de tout temps présentes dans le paysage culturel musical. Cependant, elles furent très peu nombreuses à s’adonner à cet art, les portes du Conservatoire leur étant fermées. Certaines publièrent leurs partitions sous des pseudonymes masculins comme la franco-britannique, Augusta Holmès, d’autres composèrent pour leur mari ou frère mais la grande majorité tomba dans l’oubli. Focus sur l’histoire de ces grandes Dames de la musique.

Les chanteuses et danseuses étaient souvent des esclaves ou prostituées sous l’Antiquité, pâtissant d’une mauvaise réputation. La poétesse, Sappho au VIIème siécle avant J.-C. est considérée comme la première compositrice, en l’absence d’autres noms mentionnés dans les écrits. En 318 après JC une loi interdit aux femmes de chanter dans les Églises en raison de « leur voix ensorceleuse ». Rares sont donc les identités de compositrices au Moyen-Age qui nous sont parvenues. Seules les Moniales pouvaient mettre en musique leur création artistique. L’abbesse, Cassienne de Constantinople, composa de nombreux hymnes vers l’an 850 et la religieuse Hildegarde von Bingen (XIème siécle) laissera 70 chants fervents. Quelques troubadouresses proposèrent des compositions profanes chantant l’amour courtois ainsi que des musiques sacrées. C’est le cas de la Comtesse Béatritz de Dia, d’Iseut de Capion ou de Marie de Ventadour, toutes issues de famille noble, qui furent appréciées par la qualité de leur travail musical et leurs textes.

Francesca Caccini

Sous la Renaissance, l’Académie de musique et de poésie est créée en 1570 en France pour mettre en lien musique et poésie. Les femmes en sont exclues. Seules celles issues d’un milieu aristocrate reçoivent un enseignement incluant l’apprentissage du solfège et du chant au couvent ou par un précepteur à domicile. Pour les autres, ce sont des filles de musicien, organiste, chanteur d’opéra en grande majorité. La première compositrice, luthiste, chanteuse à être publiée est l’Italienne, Maddalena Casulana avec près de 80 madrigaux (forme ancienne de musique vocale) destinés principalement à la famille des Médicis. Francesca Caccini est la première à créer un opéra.

Anna Magdalena Bach

L’Académie royale de musique fondée à Paris en 1669 et qui deviendra ensuite, l’opéra de Paris, était chargée de diffuser principalement des œuvres d’opéra français. Les arts se développant tout au long de ce siècle, de nombreuses femmes se firent alors connaître dans ce domaine. Élisabeth Jacquet de la Guerre se fera remarquer à l’âge de 5 ans par ses aptitudes musicales puis plus tard connaîtra un franc succès grâce à ses compositions au clavecin sous le règne de Louis XIV.

Maria-Anna Mozart

Amie de Benjamin Franklin, Sophie Gail compose la Marche des insurgés pour célébrer la victoire américaine. Jean-Sébastien Bach ne serait pas l’auteur de certaines de ses plus importantes compositions, mais plutôt Anna  Magdalena, sa seconde épouse. Hélène de Montgeroult est considérée par ses pairs comme le chaînon manquant entre Mozart et Chopin  en qualité de concertiste et compositrice pré-romantique. Et que dire de Maria-Anna surnommée Nannerl, sœur de Mozart, virtuose du clavecin et du piano-forte, reconnue comme musicienne surdouée et interdite d’écrire de la musique par son père car considérée comme une forme de prostitution ! Maria-Anna Mozart aurait écrit des symphonies jouées par son illustre frère.

Le XIXème siécle compte plus de 1000 femmes musiciennes amatrices ou professionnelles donnant des concerts. Franz Liszt « vante le génie » de Pauline Viardot, cantatrice et compositrice aux 100 partitions, méconnue de l’histoire de la musique. La pianiste et compositrice, Louise Farrenc, soutenue par son époux, enseignera au Conservatoire de Paris en tant que professeure. Elle militera pour l’égalité des salaires, et Berlioz dira d’elle « qu’elle composait comme un homme. »

Lili et Nadia Boulanger

N’étant réservé qu’aux arts majeurs (peinture, sculpture et architecture), le Prix de Rome ne s’ouvre aux compositions musicales qu’à partir de 1803 mais les femmes pourront n’y concourir que 100 ans plus tard. Elles n’accèdent enfin aux classes d’écriture du Conservatoire de Paris qu’à partir de 1870. Lili Boulanger est la première compositrice à décrocher le Prix de Rome en 1913.

Clara Schumann créera une quarantaine d’œuvres même si son travail ne sera pas autant reconnu que celui de son célèbre époux. Fanny Mendelssohn sera écartée du monde la musique à l’âge de 15 ans par son père, la priorité revenant à son frère, Félix. Elle publiera cependant des centaines de lieders (poème chanté et accompagné au piano).

Et qu’en est-il des cheffes d’orchestre ? En 2020, elles ne sont que 4 % à exercer ce métier en France et dans le monde alors qu’on trouve autant d’hommes que de femmes dans les conservatoires. Seules, 30 % de femmes jouent de nos jours dans les orchestres. Pourtant, Augusta Holmès au XIXéme siècle dirigeait ses propres symphonies de style wagnérien. La britannique, Ethel Smyth maniait la baguette à côté de ses activités de suffragette. Nadia Boulanger, sœur de Lili Boulanger, fut dans les années 1920 une cheffe d’orchestre de grande renommée en France comme aux États-Unis.

La musique étant considérée comme un langage universel, elle n’a donc pas de genre. Il devient donc urgent de hisser ces grandes oubliées de la musique au même titre que leurs homologues masculins et de véhiculer leur héritage musical à nos fils et nos filles.

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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