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Marek Halter : "Les musulmans ne doivent pas servir de bouc émissaire"
Face à la montée du racisme anti-musulman, les cadres officiels de la communauté musulmane ont compris l'urgence pour eux de se positionner au sein du pays où ils vivent., rappelle Marek Halter.
AFP

Marek Halter : "Les musulmans ne doivent pas servir de bouc émissaire"

Tribune

Par Marek Halter

Publié le

Dans une tribune, l'écrivain Marek Halter met en lumière l'existence de ces millions de « musulmans du silence », favorables à un islam républicain en France.

« On ne parle des trains qui arrivent à l’heure. » Qui d’entre nous n’a jamais entendu cet adage que des générations répètent comme des papugay ? Pourtant, tout cerveau avisé admettra que dans n’importe quel pays désorganisé, mal géré ou en panne de technologie, un train qui arrive à l’heure est une performance.

Nos pays traversent aujourd’hui une crise des valeurs sans précédent, une absence de rêve collectif à laquelle s’ajoute une pandémie que nous n'arrivons pas à maîtriser. Nous vivons dans une peur permanente qui nous pousse à désigner un coupable, un « bouc émissaire ». On commence comme toujours par les juifs. Avant de s’en prendre aux homosexuels, aux handicapés, aux femmes, et maintenant, aux musulmans. Ne sont-ils pas les responsables des multiples attentats qui ont ensanglanté la France ? Le rejet de l’islam, comme source de nos malheurs, a pénétré toutes les couches de notre population. Et à la veille des élections présidentielles, il est devenu l’argument phare de la plupart des politiques, hommes et femmes.

Or, n’oublions pas que les musulmans représentent de nos jours 10 % de la population française, c’est-à-dire plus de six millions d’individus. Sont-ils pour autant tous inféodés aux pays étrangers – Algérie, Maroc, Qatar, Turquie – qui financent leurs lieux de cultes ? Sont-ils tous des terroristes en puissance ? C’est l’image que donnent d’eux nos médias, de manière plus ou moins militante. Face à la montée du racisme anti-musulman, les cadres officiels de la communauté musulmane ont compris l'urgence pour eux de se positionner au sein du pays où ils vivent. Et derrière eux, deux tendances antagonistes apparaissent au grand jour : le mouvement des Frères musulmans et la Turquie d'Erdogan. Qu’en est-il alors de ces millions de Français de confession musulmane, ces « envahisseurs », qu’Éric Zemmour, persuadé d’être l’avatar de Jeanne d’Arc, prétend pouvoir chasser de notre pays ?

Ces musulmans qu'on n’entend pas

La Conférence des imams de France, qui prône depuis des années la formation des imams aux couleurs de la République et la promotion de l'islam des Lumières, celles d'al-Boukhârî, Averroès et Avicenne, a réuni, le 1er décembre à la mosquée de Drancy, soixante-dix imams venus parler au nom de ces millions de « musulmans du silence ». Et, devant les représentants des cultes catholique, juif et protestant, de plusieurs organisations laïques œuvrant contre la radicalisation et en faveur du dialogue interreligieux, ainsi que des représentants de l’État, ils ont proclamé haut et fort l’existence de cette part de la nation française avec laquelle il faudra compter.

« Soixante-dix imams, pourtant les premiers à brandir le drapeau tricolore dans nos banlieues, personne ne nie leur existence, mais chacun se dit sans doute qu’on "ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure". »

Ils n’étaient que soixante-dix, mais même les plus sceptiques doivent reconnaître que chacun de ces imams mobilise, le vendredi pour la prière, entre 4 000 et 5 000 fidèles. Ce qui fait déjà, pour ceux qui savent compter, près de trois cent mille individus. Deux fois plus que le nombre de votants pour le candidat Républicain à la présidence de la République. Et néanmoins, cet événement n’a pas intéressé les médias. Pas même mes amis journalistes. Personne !

Préfère-t-on entretenir l’image du musulman violent, anti-Français et dangereux pour la République ? Ces soixante-dix imams, pourtant les premiers à brandir le drapeau tricolore dans nos banlieues, personne ne nie leur existence, mais chacun se dit sans doute qu’on « ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure ». J’enrage.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne