Comment l’époque et ses événements imprègnent-ils nos rêves ?

Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Le rêve, 1883, huile sur toile, 82 x 102 cm, Musée d'Orsay, Paris
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Le rêve, 1883, huile sur toile, 82 x 102 cm, Musée d'Orsay, Paris
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Le rêve, 1883, huile sur toile, 82 x 102 cm, Musée d'Orsay, Paris
Publicité

Au sein d’un échantillon de plus de 3300 individus suivis durant le premier confinement, les cauchemars ont été multipliés par deux et la notion d’intrusion dans la vie intime a pris une place centrale.

Commençons cette année… par le rêve. Sur la toile de la nuit, dans l’outre-noir de nos vies, paraît une faille mince, une entaille lumineuse. Subjectivement, involontairement, se déverse alors un flot d’images, de sensations, agencé le long d’un arc bizarroïde. Un arc orné de symboles ésotériques, de motifs réguliers, illusoires, de rappels fantasmés, de métaphores intimes.

Voici le rêve qui vibre, s’électrise, éclaire la solitude de nos nuits en nous offrant une franche et silencieuse conversation avec nous-mêmes. Alors bien sûr : un songe est fait de ce que nous sommes, d’abord. Mais comment parlent-ils de la société, aussi ? Ainsi comme beaucoup, depuis les attentats de 2015, je rêve régulièrement de Kalachnikov et de paniques ferroviaires. Depuis le confinement, aussi, je rêve souvent de laboratoires, de tests, de pipettes. Selon Bernard Lahire, sociologue et professeur à l'École Normale Supérieure de Lyon, auteur de La part rêvée : interprétation sociologique des rêves, paru aux éditions de La Découverte, il faut se méfier de ces éléments explicites de l’actualité. Ils ont d’abord une visée particulière et intime.

Publicité

Perrine Ruby, chercheuse en neurosciences, a par exemple montré comment le confinement avait participé à dessiner nos songes. En se greffant sur nos angoisses particulières. Au sein d’un échantillon de plus de 3300 individus, elle a décrit comment les cauchemars sont passés de 2 par mois par personne… contre 1 en moyenne en période normale. Comment surtout, la notion d’intrusion dans la vie intime avait pris, dans nos songeries, une place centrale. Ainsi, comme l’explique Bernard Lahire : il existe bien des rêves d’époque.

Sur le site dreambank.net, une banque de rêves, composée de 20 000 récits oniriques en langue anglaise, on peut entrer dans l’intimité nocturne de bouchers, de travestis, d’enseignants, d’écoliers, de retraités étasuniens. Il s’agit là d’une source d’intérêt inépuisable pour les curieux… comme pour les chercheurs !

Car selon Bernard Lahire, le rêve est "social de part en part, dans ses ressorts et les modalités de sa fabrication comme dans les régularités objectivables de son contenu." Ainsi, la recherché a montré comment les songes des femmes prennent plus souvent place au sein de l’espace domestique. Comment les femmes se voient dans leurs songes agressées plus souvent que les hommes. De quoi rêvent les Français ? Cela, Bernard Lahire ne prétend l’établir. Plus humblement, à partir de cas détaillés, il entend raconter la manière dont le monde social, les valeurs et les rapports de force qui le structurent, ses logiques de concurrence, ses transformations profondes hantent et traversent nos nuits.

Selon un sondage Ifop paru le mois dernier, un quart des 18-24 ans croit "tout à fait" aux rêves prémonitoires. Faut-il qu’ils aient, à ce point, perdu confiance dans l’avenir ? Pour ma part, je crois que le rêve a une autre fonction : tenir la main de ceux qui nous ont quittés. À chacun ses croyances.

L'équipe