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Immigration

Londres paye une société pour dissuader les Afghans de rejoindre le Royaume-Uni

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
Selon «The Independent», le gouvernement britannique finance Seefar, une entreprise établie à Hongkong, pour convaincre les candidats à l’exil de ne pas prendre la route.
par Blandine Lavignon, correspondante à Tbilissi
publié le 3 janvier 2022 à 19h44

Quelque 700 000 livres sterling (835 000 euros). Selon les révélations du quotidien The Independent de dimanche, c’est la somme versée par le ministère britannique de l’Intérieur à la société Seefar, établie à Hongkong, pour dissuader les migrants afghans de rejoindre le Royaume-Uni. Alors que les talibans étaient aux portes du pouvoir et que le pays s’enfonçait dans une crise humanitaire sans précédent, Seefar a mené en 2020 une campagne de communication dans le pays, appuyé par le gouvernement britannique. L’objectif ? Faire renoncer les Afghans qui souhaiteraient prendre la route de la Grande-Bretagne.

«We will return you», peut-on lire en lettres capitales blanches sur une photo montrant un groupe de migrants. Les images de ce genre sont légion sur les réseaux sociaux de Seefar. Présentée comme une société à but non lucratif, cette entreprise existe depuis 2014. Reprenant les visuels des ONG internationales, elle a tout d’une organisation d’aide aux réfugiés, à première vue.

Avenir radieux

Sur son site web, elle promet de soutenir les migrants vulnérables et leur fait miroiter un avenir radieux. Mais derrière le vernis de sa communication, Seefar est une société opaque, financé notamment par des gouvernements comme celui du Royaume-Uni. Elle se qualifie comme étant spécialisée dans le «changement de comportement migratoire». Pour convaincre les potentiels candidats à l’exil de ne pas rallier la Grande-Bretagne, la société s’appuie sur des études menées dans le pays, et dont les différents rapports sont publiés sur son site.

Si le gouvernement britannique ne s’est pas associé officiellement à la campagne de communication en Afghanistan, niant tout lien direct, il l’a toutefois financée. Les dossiers publics de dépenses du ministère anglais mentionnent 12 paiements et subventions distincts versés à Seefar entre 2016 et 2018, d’un montant maximal de 120 000 livres chacun. Mais sans mentionner le détail de ces commandes.

Cette campagne de Seefar n’est pas la seule action du Royaume-Uni en matière de politique migratoire. Une ramification de sites déclinés en plusieurs langues a été découverte, notamment «The Migrant Project», un site qui entend lutter contre l’immigration clandestine en prônant des alternatives légales… mais sans informer sur la procédure de demande d’asile, comme le révélait The Independent en juillet dernier. Pour faire la publicité de ces sites sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram, le ministère de l’Intérieur a déboursé plus de 20 000 livres (23 800 euros). Ces campagnes de communication auraient ciblé 16 millions de personnes.

«Eviter les risques»

Officiellement, la Grande-Bretagne justifie cette politique par la volonté «d’éviter les risques pris sur les routes migratoires». Mais officieusement, il s’agit de dissuader l’immigration. Pourtant, l’île est loin d’être le pays d’Europe qui accueille le plus de réfugiés afghans : ils étaient 3 227 à y demander l’asile en 2020. Lorsque l’Afghanistan est à nouveau tombé sous le joug des talibans en août 2021, le gouvernement britannique s’était engagé à accueillir 20 000 réfugiés du pays. Finalement, seuls 5 000 sont autorisés à fouler le territoire pour le moment.

Depuis 2016, comme dans de nombreux pays européens, le Royaume-Uni durcit sa politique migratoire. Une dynamique qui s’est accentuée l’année dernière avec une réforme du système d’asile. Sous la houlette de la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, le nouveau projet de loi propose ainsi de créer un statut d’immigré de «seconde catégorie», pour les migrants arrivant illégalement sur le sol britannique. Et Londres ne semble pas disposé à se passer des services de Seefar : le gouvernement a déjà décidé d’accorder prochainement à la société jusqu’à 500 000 livres de fonds publics supplémentaires, dans le cadre d’un nouveau contrat.

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