Elles sont activistes, journalistes, stars bollywoodiennes ou femmes politiques. Toutes ont été ciblées par l’application Bulli Bai, lancée le 1er janvier, dans le seul but de simuler leur vente aux enchères. Leurs photos et informations personnelles – comme leurs comptes privés sur les réseaux sociaux – ont été publiées en lignes assorties de commentaires dégradants. Parmi la centaine de femmes âgées de 16 à 70 ans ainsi jetées en pâture : l’activiste Khalida Parveen. « C’est une amie qui m’a prévenue que j’étais aussi concernée. Je me suis sentie mal. Imaginez, que quelqu’un vous mette en vente ! Mais, j’ai aussi ressenti de la pitié pour ceux qui ont fait ça », témoigne la sexagénaire.

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Khalida Parveen est catégorique : « Le but est de nous faire taire. » Depuis une vingtaine d’années, cette « pharmacienne de profession et activiste par passion » se bat pour l’émancipation des femmes et l’éradication des violences domestiques. Elle est également à la tête de l’ONG Amoomat Society visant à promouvoir l’accès à l’éducation pour les femmes musulmanes. Impossible pour elle de ne pas faire le lien entre cette attaque et sa récente campagne menée sur Twitter demandant l’arrestation de Yati Narsinghanand Saraswati, un leader extrémiste hindou qui a tenu des discours de haine envers les musulmans.

Une vague d’indignation

L’application a principalement visé des femmes influentes sur Twitter, osant critiquer le parti au pouvoir. Être active sur les réseaux sociaux reste « très dangereux » selon Khalida Parveen. Dans une étude parue en 2020, Amnesty International dénonçait « l’ampleur choquante des abus » subis par les Indiennes en politique. L’ONG constatait qu’un tweet sur sept mentionnant une femme politique était « problématique » ou « abusif ».

Le scandale Bulli Bai, mélange de misogynie et d’islamophobie, a déclenché une vague d’indignation en Inde. La journaliste Fatima Khan, également « mise en vente », résume sur Twitter le 1er janvier : « La colère collective des femmes musulmanes que vous voyez sur vos fils d’actualité aujourd’hui vient d’une profonde angoisse – celle d’être tout à la fois “exotisée”, diabolisée et méprisée. »

Trois suspects arrêtés

L’onde de choc a été d’autant plus considérable qu’il s’agit de la quatrième simulation de vente aux enchères de femmes musulmanes organisée dans le pays en moins d’un an. Elles se sont tenues le 13 mai dernier, jour de l’Aïd, sur une chaîne YouTube rassemblant 87 000 abonnés ; sur l’application Sulli Deals, en juillet, en toute impunité ; et le 27 novembre, dans le cadre d’une conversation privée sur l’application Clubhouse.

Après 24 heures d’activité, Bulli Bai a été mise hors ligne par GitHub, la plateforme appartenant à Microsoft sur laquelle elle était hébergée. Un compte Twitter homonyme partageant des liens renvoyant à l’application a également rapidement été suspendu. Deux hommes de 21 ans et une femme de 18 ans ont été arrêtés. Hemant Nagrale, commissaire de police à Mumbai a prévenu qu’« il est trop tôt pour dire qui a créé l’application et quel est son motif. » Khalida Parveen a choisi de porter plainte : «J’ai la conviction que nous vaincrons et que nous obtiendrons justice. J’ai confiance dans notre système judiciaire. »