King Digital Entertainment a su rendre accro 500 millions de personnes dans le monde avec son jeu pour smartphones, Candy Crush Saga. La question est de savoir s'il aura la même influence auprès des investisseurs à l'occasion de son introduction au New York Stock Exchange (NYSE), mercredi 26 mars. Le titre a dégringolé en ouverture de près de 7 %.
Le groupe britannique veut lever plus de 500 millions de dollars (361,5 millions d'euros), valorisant l'entreprise à environ 7,6 milliards. Est-ce bien raisonnable pour une entreprise dont le succès repose sur un jeu, qui a été développé par une équipe d'à peine dix personnes pour seulement 14 000 dollars ?
En tout cas, profitant des liquidités abondantes déversées sur les marchés par la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, au gré de sa politique monétaire accommodante, les introductions en Bourse se multiplient. Au point de raviver les craintes de la formation d'une bulle spéculative comparable à celle de la fin des années 1990. « Depuis l'automne 2013, dans les nombreuses réunions que nous avons eues avec les investisseurs, les expressions “bulle” ou “année 1999” ont été mentionnées comme pertinentes », écrivent les analystes de Morgan Stanley dans une note récente.
Sur les deux premiers mois de l'année, 42 entreprises ont déjà été introduites à Wall Street, ce qui a permis de lever un total de 8,3 milliards de dollars. Un début d'année en fanfare : c'est deux fois plus que sur la même période de 2013, qui pourtant avait été déjà un excellent cru. On reste toutefois encore loin des scores de 2000, année au cours de laquelle 77 introductions en Bourse avaient déjà eu lieu, selon le cabinet d'étude Dealogic.
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« SITUATION SIMILAIRE À CELLE DE LA SECONDE MOITIÉ DES ANNÉES 1990 »
« La situation actuelle est très similaire à celle de la seconde moitié des années 1990 », observe cependant Chen Zhao, de la firme de recherche BCA Research, même s'il estime que les valorisations sont « beaucoup plus raisonnables et rationnelles » qu'au moment de la bulle Internet, tout en avertissant que « les bulles peuvent se former dans une période assez courte ».
D'autant que les mises sur le marché s'accélèrent. Selon le cabinet Renaissance Capital, on dénombre déjà 56 dossiers d'introduction depuis le début de l'année. Alibaba, le spécialiste chinois du commerce électronique, n'étant que le dernier en date d'une longue liste. Lors du dernier pic boursier en 2007, juste avant la crise financière, seulement 35 dossiers avaient été déposés sur une période comparable, contre 159 en 2000, selon le Wall Street Journal.
L'accélération actuelle s'explique en partie par l'assouplissement de la réglementation. Le Jobs Act permet en effet aux entreprises dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas 1 milliard de dollars d'être cotées, mais sans être obligées de rendre publiques toutes leurs données financières. Une procédure qui permet à de jeunes entreprises, dont le modèle économique est en devenir, de se lancer quand même en Bourse. Pas étonnant donc que le chiffre d'affaires des deux tiers des entreprises introduites sur le marché depuis le début de l'année soit inférieur à 50 millions.
NOMBRE IMPORTANT DE SOCIÉTÉS DE BIOTECHNOLOGIE
Au-delà du contexte réglementaire, plusieurs indicateurs montrent un début d'emballement. D'abord le profil des candidats. Parmi les entreprises introduites en Bourse au cours des six derniers mois, près des trois quarts n'avaient pas encore gagné d'argent. A l'image de la société de partage de fichiers Box, qui vient de lancer son processus d'introduction sur le NYSE. La start-up enregistre de fortes pertes et prévient qu'elle ne sera pas rentable dans un futur proche.
Cette proportion de sociétés non rentables en Bourse s'explique aussi par le nombre important de sociétés de biotechnologie. Rien qu'en janvier et février, il y en a eu 23. Or, on sait qu'à leurs débuts ces entreprises sont rarement rentables avant que les traitements qu'elles développent ne soient homologués.
On peut se rassurer en observant qu'en 2000, la proportion des entreprises non rentables à leur introduction était de quatre sur cinq, mais le niveau actuel reste bien plus élevé que la moyenne observée depuis 1990 (42 %).
LES RATIOS DE VALORISATION
Autre baromètre à prendre en compte : les ratios de valorisation. Actuellement, les investisseurs sont prêts à payer en moyenne 14,5 fois les ventes annuelles d'une société qui entre en Bourse. C'est moitié moins qu'en 2000, mais plus du double de ce qui se pratiquait en 2007.
Enfin, la forte hausse de ce qu'on appelle la margin debt, les montants empruntés par les investisseurs auprès de leur courtier, a de quoi interpeller. Ils ont atteint en janvier 451 milliards de dollars, une hausse de 20 % par rapport à il y a un an, selon les chiffres du NYSE. Les deux dernières fois où ce chiffre a atteint des sommets, c'était en… 2000 et en 2007.
Dans ce contexte haussier, les entreprises et les banques qui les conseillent n'hésitent pas à être gourmandes. En février, GrubHub, un site de restauration à domicile, comptait lever 100 millions de dollars. Il vise désormais 177 millions. L'environnement porteur pousse aussi certains à accélérer leur entrée en Bourse. C'est le cas de Wayfair, un site de produits pour la maison, qui a avancé d'un an son calendrier.
De là à parler de bulle, peu d'analystes s'y risquent. « Tous les marchés haussiers naissent dans le pessimisme, croissent dans le scepticisme et meurent dans l'euphorie. Nous ne sommes pas encore dans la phase euphorique », résume M. Zhao dans une note récente, sans exclure que celle-ci n'est jamais très loin.
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