Thwaites, le « glacier de l’apocalypse » qui inquiète les scientifiques

L'immense bloc de glace qui retient le glacier Thwaites est en train de fondre et le glacier pourrait se détacher d’ici trois à cinq ans. Un scénario catastrophe qui entraînerait une hausse de plusieurs mètres du niveau de la mer.

De Margot Hinry
Publication 10 janv. 2022, 15:12 CET, Mise à jour 11 janv. 2022, 12:07 CET
Le Glacier de Thwaites, en Antarctique, est grand comme la Grande Bretagne. Sa disparition pourrait entraîner ...

Le Glacier de Thwaites, en Antarctique, est grand comme la Grande Bretagne. Sa disparition pourrait entraîner une hausse de plusieurs mètres du niveau de la mer.

PHOTOGRAPHIE DE The International Thwaites Glacier Collaboration

D'aucuns le surnomment le « glacier de l’apocalypse ». Thwaites, le gigantesque bloc de glace de l’Antarctique inquiète de plus en plus la communauté scientifique. La plateforme de glace qui maintient le glacier se fissure à vitesse grand V. Il y a un consensus dans le discours des expert.e.s, glaciologues et directeur.ice.s de recherche que National Geographic a interrogé.es : afin d’éviter une élévation drastique du niveau de la mer l’échelle planétaire, il faut immédiatement réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Thwaites est l’un des plus gros glaciers de l’Antarctique de l’Ouest, d'une taille comparable à celle de la Grande-Bretagne. Cette zone de l’Antarctique pourrait à terme, si elle venait à fondre entièrement, élever le niveau de la mer de 3 mètres. 

Les modélisations scientifiques tendent à prouver que la ligne de fond, qui est le point où le glacier repose sur le substratum rocheux, recule au fur et à mesure que les courants chauds font fondre la plateforme de glace. « Le réchauffement climatique modifie la circulation de courants d’air au-dessus de l’Antarctique et cela a des effets sur les courants océaniques. Cela fait remonter beaucoup plus de courants chauds à la surface » explique Atshuiro Muto, professeur associé au département Sciences de la terre et de l'environnement au Collège des sciences et des technologies à l’Université Temple, à Philadelphie. 

« Cela fait déjà quelques années que toute cette région de l’Antarctique s’affaisse. C’est très nettement observé par les données satellites. Cela fait au moins trente ou quarante ans que les théoriciens ont souligné que ce glacier était vraiment le talon d’Achille de l’Antarctique de l’Ouest » souligne la glaciologue Catherine Ritz. 

Atshuiro Muto, géophysicien de l’équipe d’Erin Pettit, principale coordinatrice du projet d’étude du glacier, explique qu’il y a deux ans, cette fameuse ligne de fond sur laquelle repose le glacier inquiétait déjà. « On voyait cette zone poreuse s’affaisser et des fissures se développer, de plus en plus vite. Nous n’avons pas de chiffres précis mais on peut imaginer que ce plateau de glace va disparaître dans la décennie. Si on [le] retire, [...] une grande partie de ce glacier pourrait descendre très vite ». 

Anna Crawford, également experte dans l'équipe d’Erin Pettit, réalise des modélisations 3D pour comprendre le comportement du glacier et de cette zone géographique. « Si nous perdons ce plateau de glace, nous sommes vulnérables à un écoulement plus rapide du glacier, ce qui accélérerait la montée mondiale du niveau de la mer. Ce réchauffement de l'océan fait fondre le front du glacier mais également la plateforme de glace qui flotte en-dessous ». Avec pour conséquence une montée des eaux spectaculaire et inarrêtable. « Ce glacier est devenu le plus gros enjeu de l’Antarctique à l’échelle de quelques siècles » alarme la glaciologue Catherine Ritz.

 

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE EN CAUSE 

Sans grande surprise, les émissions de gaz à effet de serre restent l’un des facteurs principaux de la catastrophe en devenir. Elles provoquent, année après année, l'aggravation du réchauffement climatique. Mais ces courants chauds et cette fonte pourraient-ils être en partie naturels ? « Ce n’est pas si facile que cela à déterminer. Il ne faut pas oublier que l’océan austral est le premier piège de chaleur et de CO2 de la planète » explique Catherine Ritz. 

L’application interactive Thwaites-Explorer, développée par la Collaboration internationale sur le Glacier de Thwaites (the International Thwaites Glacier Collaboration),  https://www.thwaites-explorer.org/.

PHOTOGRAPHIE DE The International Thwaites Glacier Collaboration

Comme en témoignent les scientifiques interrogés, le réchauffement climatique ne vient pas simplement frapper les glaciers et les faire fondre. « Ce n’est pas parce que la Terre se réchauffe que de plus en plus de blocs de glace se fissurent, ce n’est pas aussi simple que cela. C'est surtout l'air qui se déplace autour de l'Antarctique qui affecte l'océan. Tout est connecté à ce qu’il se passe en dehors de l’Antarctique, le réchauffement climatique de manière globale. Dans les profondeurs océaniques, il y a de l’eau plus chaude qui a toujours été là, sans rapport avec le réchauffement climatique. [...] Mais [ce dernier] modifie la circulation de courants d’air et cela change la circulation des courants océaniques, y compris dans les profondeurs » relève Atshuiro Muto. 

La modification de la circulation de l’air affecte la surface de l’eau et fait remonter beaucoup plus de courants chauds à la surface qu’il ne le faudrait. « Dès que l’on déplace une circulation atmosphérique, cela modifie aussi les courants en-dessous » confirme Catherine Ritz. 

 

DES CONSÉQUENCES POUR TOUTES LES ESPÈCES

Sans la fonte du glacier Thwaites, la montée des eaux sur l’ensemble du globe sera d’une vingtaine de centimètres d’ici 2050, comme le rappelle Gonéri Le Cozannet, ingénieur chercheur au Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM). Dans ce cas de figure, les expert.e.s prévoient une fonte des glaciers de montagne mais « une fonte relativement contenue des calottes antarctiques et groenlandaises ». D’ici moins de dix ans, il serait question de « submersion à marée haute de ports et d’infrastructures côtières dans la plupart des régions habitées du globe ».

L’objectif des Accords de Paris de ne pas dépasser les +1,5°C, s'il était respecté, pourrait permettre de stabiliser cette élévation à environ 4 millimètres de plus chaque année. Avec ces chiffres, lors de grandes tempêtes et de cyclones, les inondations seraient tout de même nettement aggravées. « Les territoires menacés sont les zones basses, telles que les grands deltas asiatiques, les zones basses d'îles tropicales, les estuaires, ou des plaines côtières telles que le Languedoc en France » alerte Gonéri Le Cozannet. 

L’ingénieur du BRGM rejoint cette prévision : « au-delà de +1.5°C, la vitesse de l’élévation du niveau de la mer atteindrait 0.5 à 1.5 centimètre par an. Le risque d’effondrement du glacier Thwaites, c’est tout simplement le risque que l’on dépasse ces projections d’élévation du niveau de la mer. Les zones qui seraient alors affectées seraient toujours les zones basses, les estuaires, les côtes sableuses, voire les falaises peu consolidées, mais les impacts seraient sans commune mesure, avec un recul du trait de côte bien plus rapide que dans les scénarios standards sur lesquels nous travaillons aujourd’hui ». 

Un scénario catastrophe qui entraînerait, selon le 6e rapport du GIEC, la fonte accélérée du Groenland. On parlerait alors d’une élévation du niveau de la mer jusqu’à 4 mètres à l'horizon 2150. « Le problème d’un tel scénario de fonte, c’est que le temps risque de manquer pour planifier, financer et mettre en place les mesures de protection » analyse l’expert du BRGM.

Dans leur chute, Thwaites et les autres glaciers de cette zone géographique fragiliseraient également le vivant. « Des simulations prouvent que de grandes colonies de manchots empereurs qui vivent autour de l’Antarctique sont en danger de quasi-extinction d'ici 2100 » affirme Yan Ropert Coudert, directeur de recherche en écologie marine au CNRS. « Si l’environnement change drastiquement et que la zone se réchauffe, [...] tout leur cycle de vie va être modifié et ils vont devoir s’adapter, aller ailleurs ou bien périr ». 

Pour se donner une chance de ne pas condamner certaines zones côtières et espérer ne pas assister à ces différents effondrements, la diminution drastique des émissions de gaz à effets de serre est aujourd’hui indispensable.

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