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Animaux d'élevage

Changement de cap pour la politique agricole allemande : vers la fin de l’élevage intensif ?

Pour le nouveau ministre allemand de l’Agriculture, Cem Özdemir, il est urgent de mettre fin aux produits alimentaires vendus à prix cassés, car ils sont le résultat de la culture et de l’élevage intensifs. Le sujet est sensible dans un pays où la politique agricole est largement subventionnée. Mais comme il apparaît dans la presse allemande, cette situation ne peut plus durer.

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30.000 jeunes poulets sont entassés dans leur stalle dans la ville de Visbek, dans le nord de l'Allemagne, le 19 juillet 2011.

30.000 jeunes poulets sont entassés dans leur stalle dans la ville de Visbek, dans le nord de l'Allemagne, le 19 juillet 2011.

INGO WAGNER / DPA / AFP

Changement de cap pour la politique agricole allemande : vers la fin de l'élevage intensif ?

Le quotidien populaire Bild a bien choisi son moment pour publier une interview du nouveau ministre allemand de l’Alimentation et de l'Agriculture : pile entre les deux réveillons, dans l’édition dominicale du 26 décembre 2021. Voilà de quoi faire remarquer les propos un brin provocateurs de Cem Özdemir (Verts), premier ministre fédéral d’origine turque, qui n’entend guère se plier aux conventions, comme il l’a montré en arrivant à vélo pour la passation de pouvoir. La trêve des confiseurs et sa déferlante de victuailles donne à ce végétarien l’occasion de jeter un pavé dans la mare. En annonçant les chantiers qui l’attendent, il lui suffit en effet d’une phrase – "il n’est plus question de vendre les produits alimentaires à prix cassés" – pour réduire à néant tout un modèle économique qui a fait son temps et prouvé sa nocivité. Se qualifiant de "protecteur suprême des animaux de ce pays", le ministre sonne le glas de l’élevage intensif, un mode de production qui ruine les agriculteurs, augmente la cruauté envers les animaux et nuit au climat. Afin de réaliser les promesses électorales des Verts allemands, il entend mettre fin à la politique cosmétique du gouvernement précédent et agir enfin efficacement : garantir de bonnes conditions d’élevage en réduisant les cheptels ; supprimer la maltraitance envers les animaux en instaurant des peines dissuasives et en installant la vidéosurveillance dans les abattoirs ; augmenter la part de surfaces agricoles cultivées en mode biologique en garantissant des achats publics.
Dans un pays où plus de la moitié des adultes sont en surpoids, force est de constater que trop d’Allemands se nourrissent mal, poursuit Cem Özdemir. Comme les produits finis sont en cause, son mode d’action reposera sur la contrainte et non plus sur les engagements volontaires de la part des industriels ; il souhaite ainsi interdire la publicité pour des aliments malsains à destination des enfants. Dernier chantier évoqué : la mise en place de plantations de chanvre, car le gouvernement de coalition envisage de légaliser le cannabis. Les agriculteurs allemands pourront cultiver "ces plantes utiles" dès que le Bundestag aura voté la loi édictée par le ministère de la Santé. Le ministre attend de ce marché contrôlé par l’État un renforcement de la protection des consommateurs, des jeunes en particulier.

À l'avenir, il faudra réduire les produits d'origine animale

Pour savoir si les objectifs présentés par Cem Özdemir sont réalistes, l’hebdomadaire économique WirtschaftsWoche interroge un spécialiste de la politique agricole et alimentaire, Peter Feindt, professeur à l'université Humboldt de Berlin. Qui va dans le sens du gouvernement, même s’il reconnaît que le ministre n’a pas hésité à appuyer là où ça fait mal. Il faut en effet admettre que le modèle agricole allemand, très largement subventionné par la collectivité, n'est pas viable ; il est donc grand temps que le gouvernement intervienne, et les mesures annoncées seront de toute façon loin d'être suffisantes. Le ministre a par exemple évoqué la création d’un label national pour garantir le bien-être animal, mais il est peu probable qu'il puisse le faire en dehors du cadre européen, ce qui augmentera la difficulté à le mettre en place. Autre problème : une augmentation de la production biologique impliquera des prix plus élevés, alors que le marché de la demande n'est pas encore prêt à une telle hausse, car il est habitué aux bas prix pratiqués, dans un contexte de très forte concurrence, par les quatre grandes chaînes (Aldi, Lidl, Rewe et Edeka) dominant le commerce en Allemagne. Une augmentation des prix des produits alimentaires ne pourra donc s'effectuer que par le biais d'aides à la conversion pour les agriculteurs, et par une revalorisation des prestations sociales et du salaire minimum afin de soutenir les plus précaires. L'Allemagne risque-t-elle alors de mettre en danger son agriculture, en incitant les consommateurs à se tourner vers des produits importés moins chers ? Non, répond l'expert, car la nécessité d'une agriculture plus durable va forcément s'imposer dans les années à venir, à mesure que les risques sanitaires liés à une production de masse vont devenir plus visibles. Et l'on réalisera alors combien l'élevage des animaux est problématique, pour arriver à la conclusion qu'il n'y a pas d'autre alternative qu'une réduction globale de la consommation de viande et de lait.

C'est toute la collectivité qui finance la viande à bas prix

D’un point de vue environnemental, les propos du nouveau ministre de l’Alimentation et de l'Agriculture sont une véritable "bénédiction", surenchérit la chaîne de radio Deutschlandfunk. Pour mettre fin à "la folie des subventions" et pour protéger le climat, une action de la part de l’État est en effet souhaitable, car on ne peut uniquement s’en remettre aux initiatives personnelles. Il ne suffit plus de sensibiliser ni d’informer, puisque même ceux qui sont pleinement conscients des nuisances de l’élevage intensif ont bien du mal à abandonner leurs habitudes alimentaires et à renoncer à la nourriture carnée. Or c’est la collectivité qui assume les coûts de la viande à bas prix. Car en subventionnant la production de masse, la politique agricole européenne fait payer la collectivité à de nombreux titres, en lui léguant des sols pollués par le lisier et de l’eau empoisonnée aux nitrates, par exemple. Comme le ministre Cem Özdemir l’a lui-même souligné, une augmentation des prix alimentaires est donc nécessaire, car le prix d’un produit doit refléter sa réalité écologique. Ce qui implique que les coûts de l’agriculture et de l'élevage intensifs ne seront plus seulement supportés par la collectivité, par le biais de taxes sur l’eau potable par exemple, mais en bout de chaîne par le consommateur lui-même. Lorsque l’on sait que le secteur agroalimentaire consomme près de 70 % de l’eau dans le monde, et qu’il est responsable d’environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre, il est évident qu’il se trouve au cœur du changement climatique, qu’il en est à la fois le moteur, et la victime lorsque l’eau se raréfie. Déclarer la guerre à cette forme d’agriculture, c’est donc une démarche salutaire pour l’écologie et pour la défense du consommateur, qui y gagnera au change, en mangeant peut-être moins, mais mieux, ce qui l'aidera sans doute à vivre plus longtemps.

Abattage des poussins mâles : le début de la fin

Le 1er janvier 2022 est entrée en vigueur en Allemagne une mesure attendue depuis 2019 : la fin de l’abattage des poussins mâles dans les élevages de poules pondeuses – les cas d’épizootie et les expérimentations animales constituant les seules exceptions. Dans les couvoirs, les poussins mâles sont en effet considérés comme non rentables, car ils ne pondent pas d’œufs ni ne produisent une masse suffisante de viande. Chaque année en Allemagne, plus de 40 millions d'entre eux sont donc systématiquement éliminés après leur éclosion, en général par asphyxie. Ce procédé est cependant contraire à la loi allemande sur la protection des animaux, qui stipule l’interdiction d’infliger des douleurs, des souffrances ou des dommages à un animal "sans motif raisonnable". C’est pourquoi le tribunal administratif fédéral a fait prévaloir en 2019 la protection du droit animal sur l’intérêt économique, et fixé à 2022 la fin de la pratique de l’abattage. Cette fin ne constitue cependant qu’une première étape, car, conformément aux souhaits des associations de défense des animaux, la loi sera améliorée en 2024, afin de restreindre la période au cours de laquelle la détermination du sexe dans l’œuf (ou sexage) peut avoir lieu. Les poussins naissent après 21 jours d'incubation, et actuellement le sexage se déroule entre le 9e et le 14e jour. Or les embryons sont sensibles à la douleur à partir du 7e jour. C’est pourquoi, à partir de 2024, seules les méthodes qui interviendront au cours de la première semaine d'incubation seront autorisées.
La nouvelle loi ne satisfait ni la filière agricole qui ne souhaite pas s’adapter à un système qui ne sera que transitoire, ni les défenseurs des animaux, car elle ne met pas fin à "la folie de l’élevage à haut rendement". Au lieu de recourir à cette méthode dispendieuse, une autre option serait envisageable, précise l’hebdomadaire Die Zeit : promouvoir d’autres races, plus saines et plus robustes, afin que les poussins femelles puissent devenir des poules pondeuses à moindre rendement, et que les poussins mâles puissent être élevés pour être engraissés. En matière de gallinacés, le gouvernement devra donc peut-être revoir toute sa stratégie.

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