Chronique «Aux petits soins»

Depuis le 1er janvier, des malades en psychiatrie sont attachés ou enfermés en toute illégalité

En attendant le vote de la loi «renforçant les outils de la crise sanitaire», les mesures isolant ou attachant les malades en psychiatrie sont illégales, mais continuent d’être utilisées.
par Eric Favereau
publié le 11 janvier 2022 à 7h14

Nous sommes dans un service banal de psychiatrie en Ile-de-France. Quinze lits d’hospitalisation, dont trois dans des chambres d’isolement. Situation classique. Elles sont toutes les trois occupées. Dans l’une d’entre elles, le patient est aussi attaché, «contentionné» dit le langage administratif. Affaire banale, encore. Dans un cahier est écrit l’heure, la raison et, normalement, doit être signalé le prochain passage du psychiatre.

Rien à dire ? Et bien si. Cette situation – qui se retrouve en ce début d’année plusieurs milliers de fois dans nos hôpitaux psychiatriques – est aujourd’hui illégale. Depuis le 1er janvier, faute de loi votée par le Parlement, le Conseil constitutionnel a décidé que toute mesure de contention ou d’isolement n’est pas légale. Et l’on ne peut pas dire que le gouvernement, du moins le ministre de la Santé, s’en soit préoccupé sérieusement. Par trois fois, le Conseil constitutionnel s’est en effet opposé aux lois proposées par le gouvernement. A ce jour, un amendement glissé dans la loi sur la crise sanitaire, qui vient d’être adoptée en première lecture à l’Assemblée, doit combler ce vide juridique, mais ce n’est pas encore le cas.

Censure du Conseil constitutionnel

Reprenons le fil de cette histoire qui montre la légèreté avec laquelle cette question a été traitée par les pouvoirs publics, oubliant cette évidence que, pour un patient, être attaché ou isolé est une expérience lourde de conséquences. Depuis près de vingt ans, des mesures coercitives d’isolement et de contention sont prises dans les hôpitaux psychiatriques. Le législateur, inquiet de ces pratiques qui se sont banalisées, a cherché à les encadrer. Et à chaque fois le Conseil constitutionnel a rappelé une évidence : toute mesure de restriction des libertés doit être validée par la justice. Mais voilà, les pouvoirs publics rechignaient et le milieu psychiatrique avait peur d’une bureaucratie lourde à gérer.

Première tentative législative, avec la loi de 2016, qui encadre légèrement les mesures d’isolement et de contention. En juin 2020, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (1). Le Conseil constitutionnel censure le texte. Pour les sages, ces décisions «constituent une privation de liberté» et donc ne peuvent pas être maintenues sans un contrôle par le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle. Qu’à cela ne tienne, les ministères de la Santé et de la Justice élaborent alors un nouveau dispositif «permettant aux médecins de renouveler ces mesures à titre exceptionnel» au-delà de la limite légale de quarante-huit heures pour un isolement, et de vingt-quatre heures pour une contention, à la condition que le médecin informe «sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office». Nouvelle QPC, nouvelle censure, en juin 2021. Le Conseil, magnanime, reporte au 31 décembre l’effet de cette censure, le temps pour le législateur d’établir un nouveau texte.

«Situation de vide juridique»

Après deux tentatives, on pouvait espérer que nos experts aient compris. Et qu’ils se soient rangés à la saisine automatique du juge judiciaire. C’est le cas. Un article, voté en novembre 2021, pour modifier le code de la santé publique prévoit ainsi que l’autorisation d’un juge est obligatoire «pour pouvoir prolonger une mesure d’isolement au-delà de quatre jours ou une mesure de contention au-delà de trois jours». Mais le gouvernement a eu la fâcheuse idée de glisser cet article dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022. Résultat, le 16 décembre, encore une censure ! Cette fois, le Conseil constitutionnel ne se prononce par sur le fond, mais sur la forme, dénonçant un cavalier législatif, c’est-à-dire une disposition sans rapport avec l’objet de la loi qui l’abrite.

Que faire ? Rebelote. Ledit article se retrouve désormais dans le texte sur le pass vaccinal, mais le gouvernement a pris soin de modifier légèrement le titre de son projet de loi, en «renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique». Cela sera-t-il suffisant ? L’article 3 sur la contention et l’isolement reste, aux yeux de certains, sans aucun rapport avec la gestion de la crise sanitaire. Le Conseil constitutionnel va-t-il de nouveau le retoquer ? «Depuis le début de l’année, c’est une situation inédite de vide juridique, nous explique Delphine Glachant, qui préside l’Union syndicale de la psychiatrie. Notre responsabilité peut être engagée, alors qu’il y a des situations d’urgence où nous n’avons pas d’autres choix que l’isolement ou la contention. Nous continuons, et nous le marquons dans nos registres, en précisant l’urgence de la décision prise.»

En attendant la loi votée – elle est débattue au Sénat à partir de ce lundi –, un malade décidera-t-il de saisir, dans ces circonstances, la justice ? Cela est tout sauf anecdotique. On estime à plus de 120 000 le nombre de placements à l’isolement par an, et à 33 000 celui des mesures de contention prises pour des personnes hospitalisées sans consentement.

(1) Avec, pour ces QPC, une action décisive d’André Bitton, qui préside le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie.
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