« Ça m’est déjà arrivé de ne pas avoir de protection, deux fois, il y a trois ans. Alors j’ai pris les couches de mon bébé », se souvient Djeneba*, résidente de Grigny 2. « Je ne travaillais pas. C’est compliqué si tu n’as pas l’argent pour acheter des protections. Je ne savais pas quoi faire…Je me suis protégée pendant deux jours comme ça, avec les couches pour bébé. » Une situation que connaissent beaucoup de femmes précaires à Grigny et contre laquelle se mobilise la mairie de la commune de l’Essonne depuis plusieurs mois.

L’argent qu’elles ne mettent pas dans l’achat de protection menstruelles, elles pourront le mettre ailleurs.

Depuis l’été 2021, il est possible pour les Grignois·e·s de se procurer gratuitement des protections menstruelles auprès de l’épicerie sociale l’Intermède ou lors de distributions organisées une fois par mois dans différents quartiers de la ville grâce à des dons de l’association Dons Solidaires.

À l’automne des serviettes et des tampons individuels ont également été disposés en libre accès. Des distributeurs sont situés à proximité des toilettes de quatre endroits clefs de Grigny  : le centre de la Vie sociale , le Point Information Jeunesse, le Centre de Santé Ambroise Croizat et le centre social Pablo-Picasso.

Le distributeur de protection périodique situé à proximité des toilettes du Centre de Vie Sociale à la Grande Borne.

Ces petites boîtes métalliques de couleur bleu foncé rechargeables ont été développées par l’entreprise bretonne Marguerite & Cie. Elles proposent aux usager·e·s des produits biologiques et biodégradables, conditionnés en Esat (Établissement et service d’aide par le travail).

La mairie a dans un premier temps investi pour se procurer six mois de recharges. Encore en phase d’expérimentation, le dispositif sera soumis à une première évaluation ce mois de janvier afin de déterminer quels types de protections menstruelles sont à privilégier.

12 000 euros, c’est le coût annuel pour recharger ces distributeurs : « Remplir les distributeurs, cela à un coût, mais c’est un choix politique », précise Sarah Ghenaïm, conseillère municipale déléguée à la santé et au handicap. La mairie n’exclut pas la possibilité de déployer ces équipements dans d’autres endroits de la ville.

Une distribution gratuite pour lutter contre la précarité menstruelle

Inscrit dans le cadre des 21 solutions pour lutter contre la pauvreté à Grigny, ces projets de libre distribution visent à lutter contre la précarité menstruelle dans la ville la plus pauvre de France où 45 % des habitant·e·s vivent sous le seuil de pauvreté.

« Dans une ville comme Grigny, énormément de personnes sont dans une situation de grande précarité », déclare Sarah Ghenaïm. « La gratuité des protections menstruelles, c’est un des moyens d’agir contre la pauvreté et de réduire les inégalités territoriales. L’argent qu’elles ne mettent pas dans l’achat de protection menstruelles, elles pourront le mettre ailleurs.  », explique-t-elle.

Malgré une stratégie de communication basée sur des actions d’ « aller-vers », l’information sur ces différents dispositifs doit davantage circuler auprès des habitant·e·s des différents quartiers. L’initiative reste cependant saluée par les personnes qui en ont déjà bénéficié. Et pour cause : véritable sujet de santé publique, 1,7 millions de personnes sont touchées par la précarité menstruelle en France.

Les coûts liés aux règles représentant en moyenne un budget entre 5 et 10 euros par mois, pour les Grignois·e·s avec peu de ressources financières, l’accès à ces produits de première nécessité représente donc un réel investissement qu’iels ne peuvent parfois se permettre. Comme une personne sur trois en France, certaines ont déjà eu recours à des protections de fortune.

Je suis venue pour voir comment je pouvais parler des règles à mes filles.

Djeneba élève ses 4 enfants à Grigny 2, et s’est retrouvée dans cette situation. La mère de famille a mis fin à son activité de femme de ménage pour s’occuper de son quatrième enfant en bas âge. « [Ces distributions], ça nous aide énormément. On se dit que c’est pas beaucoup 3 euros ou 4 euros, mais souvent, on les a pas. Donc c’est très important que la mairie nous aide. Moi, ça m’a soulagé », affirme la jeune maman.

Pour Tasnim*, aussi habitante à Grigny 2, qui a déjà eu à choisir entre l’achat de nourriture et l’achat de serviettes hygiéniques, ces distributions sont aussi un soulagement. « Je suis sans emploi, et je n’ai pas de papiers. Donc, pas beaucoup de moyens… Les distributions [de protection menstruelle], ça me permet de réduire mes dépenses. ».

Sensibiliser et lever les tabous liés aux règles

Si Lydia* se réjouit de la présence de ces différents moyens de distribution de protections périodiques, « Ça dépanne et ça nous aide pour le budget, ça nous permet d’acheter d’autres choses.», c’est davantage la  l’exposition « Sang pour sang règles » au centre Pablo Picasso qui l’a interpellée. « Je suis venue pour voir comment je pouvais parler des règles à mes filles. Ma grande a 10 ans. Je m’inquiète un peu, alors je voulais avoir des conseils, voir comment on peut en parler. Ça m’a fait du bien d’échanger autour de ça avec d’autres dames », indique cette Grignoise qui éprouve des difficultés à parler de ce sujet avec ses enfants.

Lors des distributions mensuelles, la présentation de cette exposition développée par le Centre Hubertine Auclert, le centre francilien pour l’égalité femme-homme, est l’occasion d’évoquer des informations importantes autour des règles.

L’un des 12 panneaux de l’exposition Sang pour Sang règle développée par le Centre Hubertine Auclert, le centre francilien pour l’égalité femme-homme.

Bouleversements liés aux premières règles, manières d’aborder le sujet avec les enfants, prévention autour des douleurs et de ce qu’elles cachent parfois (kystes, endométriose, etc.) mise en valeur des lieux de prise en charge de la douleur sur Grigny, stéréotypes liés aux menstruations… Autant de thématiques soulevées collectivement afin de lever les tabous liés aux règles :

On veut parler de la douleur, valoriser les lieux où l’on peut en discuter. On veut aussi aborder la question de la santé mentale : le premier jour des règles est traumatisant

« C’est facile de distribuer, mais en donnant juste des protections, on lutte seulement contre la précarité financière », note Chiraz Sow, la chargée des missions santé de la ville. Elle ajoute : « On veut parler plus que de la précarité. On veut une approche plus globale et casser le tabou lié aux règles. On veut parler de la douleur, valoriser les lieux où l’on peut en discuter. On veut aussi aborder la question de la santé mentale : le premier jour des règles est traumatisant, certaines personnes pensent qu’elles vont mourir ou qu’elles sont malades. Il y a une grande solitude à l’arrivée des premières règles. Notre objectif, c’est que, quand les personnes ont leur règle, elles savent ce qui leur arrive. »

Là encore, l’information autour de ces actions de sensibilisation doit davantage être diffusée auprès des Grignois·e·s. Néanmoins, les premiers retours semblent plutôt positifs. Tout comme Lydia, Djeneba indique y avoir trouvé un lieu de conseils pour aborder le sujet auprès de ses enfants : « Ça m’a plu. Il y avait des informations que je savais déjà, mais j’ai appris des choses et ça m’a permis d’avoir des conseils pour préparer mes filles avant qu’elles aient leurs règles. »

*Les prénoms des personnes ayant accepté de témoigner ont été anonymisés.

Cécile Raoul

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