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Société Logement
Maisons squattées : "Si les préfets appliquaient la loi, il y aurait moins de difficultés !"
La maison d'un homme de 88 ans à Toulouse, occupée par des squatteurs le 10 février 2021.
Frédéric Scheiber / Hans Lucas via AFP

Maisons squattées : "Si les préfets appliquaient la loi, il y aurait moins de difficultés !"

Impuissance

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Dénonçant l'inaction de la police, le propriétaire d’une maison située à Bobigny a voulu faire justice lui-même en tentant de déloger les présumés squatteurs de son domicile. Une enquête est en cours pour vérifier ses dires. Au-delà de ce fait divers, la loi protège-t-elle les victimes de squats ? Faut-il changer le droit ? Entretien avec l'avocat spécialiste du sujet, Romain Rossi-Landi.

Une justice privée, faute de solutions ? Avec l’aide de 22 personnes rassemblées via les réseaux sociaux, le propriétaire d’un pavillon situé à Bobigny (Seine-Saint-Denis) a tenté, ce samedi 15 janvier d’expulser trois individus qui occupaient, selon lui, son logement. Malgré de multiples appels à la police, le propriétaire et sa mère avec qui il partageait la maison n’ont pas réussi à retrouver la possession de leur bien immobilier depuis le mois d'octobre. Les services de police, qui ont empêché l'expulsion, doivent vérifier s'il s'agit bien d'un « squat ». Pour tenter de mieux comprendre le régime juridique actuel et ses possibles lacunes, Marianne s’est entretenu avec Romain Rossi-Landi, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit immobilier.

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Marianne : Des vérifications sont en cours pour savoir si l'affaire survenue à Bobigny relève bien d'un phénomène de squat. Toujours est-il que le propriétaire du logement a tenté de faire justice lui-même en délogeant les occupants de la maison. Que traduit selon vous cette situation ?

Maître Rossi-Landi : Elle traduit une lassitude des propriétaires vis-à-vis de la complexité de la procédure pour obtenir l’expulsion des squatteurs. C’est un parcours du combattant et ce n’est pas à eux de pallier la carence de l’État. Certes, depuis l’année dernière, le gouvernement est intervenu en sortant des tiroirs un ancien texte – l’article 38 de la loi DALO de 2007 – permettant aux préfets, et non aux juges, de réaliser la procédure d’évacuation administrative. Ce qui évite aux propriétaires de lancer une procédure judiciaire qui dure parfois un an et demi. Mais la réforme, votée le 7 décembre 2020, tend aussi à ce que le préfet réponde dans un délai de 24 heures et ce que j’ai constaté sur le terrain, c’est qu’elle n’est pas encore bien appliquée.

C’est-à-dire ?

Il y a une ambiguïté qui subsiste autour de la notion de « domicile » et souvent les forces de l’ordre ne l’interprètent pas très bien. En effet, l’idée de la nouvelle loi est qu’elle s’applique à toutes les résidences – principales, secondaires et occasionnelles – et non plus que la résidence principale. Jusqu’alors la loi n’était pas utilisée car les logements squattés sont, dans la majorité des cas, des résidences secondaires. Mais à la suite à plusieurs affaires médiatiques – dont celle de Saint-Honoré-les-Bains, dans la Nièvre, où j’ai défendu une famille –, le gouvernement est venu préciser le texte de 2007. Je pense néanmoins qu’il n’est pas allé au bout car la notion de « domicile » y est toujours mentionnée.

Quelles sont les conditions pour le propriétaire, qui s’estime victime d’un squat, puisse invoquer le bénéfice de l’article 38 de la loi DALO ?

Il y a trois conditions pour que le propriétaire bénéficie de cet article 38 : d’abord, il faut qu’il rapporte la preuve qu’il est propriétaire (il n’est pas toujours évident de fournir un acte authentique de vente instantanément donc une circulaire du 22 janvier 2021 est venue assouplir cette règle). Ensuite il doit avoir porté plainte pour « violation de domicile » (il faut que la police accepte de qualifier la plainte et non en « dégradation de domicile » par exemple). Enfin l’infraction doit avoir été constatée par un officier de police judiciaire. Or, ce dernier ne se déplace pas toujours soit car il craint d’être lui-même accusé de violation de domicile, soit pour des questions de priorités.

« Tant que figurera la notion de « domicile » dans la loi, il y aura des interprétations divergentes et opportunes. Il faudrait protéger la propriété et non le domicile. »

En théorie, une fois que les trois conditions sont remplies, le préfet a 24 heures pour répondre. En réalité, le délai n'est presque jamais respecté par ce dernier et souvent, le préfet répond sous une dizaine de jours. Mais c'est toujours plus rapide qu’une procédure judiciaire… Une fois que le préfet a donné son feu vert, cela va très vite et l’expulsion se fait dans les 48 heures. Sauf qu’en pratique, il y a beaucoup de refus.

Comment ces refus sont-ils justifiés ?

Il est fait application de l’ancienne jurisprudence selon laquelle le domicile correspond à la résidence principale et non à une résidence secondaire… Pourtant, la circulaire du 22 janvier 2021 est venue compléter la loi en expliquant aux préfets qu’il ne devait plus y avoir de débat sur le type de résidence du propriétaire. Mais tant que figurera la notion de « domicile » dans la loi, il y aura des interprétations divergentes et opportunes. Il faudrait protéger la propriété et non le domicile selon moi.

En janvier 2021, une proposition de loi (PPL) pour simplifier la procédure administrative permettant l'expulsion était examinée par le Sénat. Qu’est-elle devenue ?

Bien que le Sénat ait adopté cette proposition de loi le 19 janvier 2021, cela n’est pas allé plus loin. Aucune loi sanctionnant le délit autonome d’occupation frauduleuse d’un immeuble n’a été votée par le Parlement. Néanmoins, je sais qu’une partie du camp LR dont le député Julien Aubert, se positionne depuis un certain temps en faveur de la protection du droit de propriété. Et si je ne fais pas de la politique, rappelons tout de même que le droit de propriété figure au sommet de la hiérarchie des normes ; or avec le squat il en prend un sacré coup ! En effet, d’après ce que disent les législateurs et le gouvernement, il n’y a plus de débat puisque toutes les propriétés sont protégées. La semaine dernière encore, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, affirmait au Figaro que peu importe si l'occupation illégale intervient entre deux locataires, la loi doit fonctionner : sauf que les préfets s'abstiennent.

Comment y remédier alors ?

Si les préfets appliquaient la loi, je pense qu’il y aurait déjà moins de difficultés ! Après, si l'on veut éviter tout débat, à mon avis, il faudrait rédiger à nouveau l’article 38 pour faire disparaître la notion de « domicile » qui n’est pas claire. Il faut protéger la propriété elle-même. Certes, il y a un problème d’accès au logement en France, mais ce n’est pas au propriétaire privé victime de squat de supporter la carence de l’État. La ministre du Logement estime que la question du squat est résolue mais je considère qu’elle l’a fait de manière imparfaite. À certains endroits comme en Seine-Saint-Denis, les préfets n’appliquent pas la réforme du gouvernement et l’exemple de Bobigny en témoigne une nouvelle fois. Aujourd’hui, il faut qu’une affaire soit médiatisée pour que le gouvernement agisse, ce n’est pas normal !

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En conclusion, c’est un sujet qui pose pleins de questions intéressantes en matière de hiérarchie des normes et de principes. Le droit au logement est aussi un droit à valeur constitutionnelle et il vient heurter le droit de propriété. Il faut donc opérer une mise en balance des droits fondamentaux et cela n’est pas toujours évident. Mais en l’espèce, le propriétaire est victime car il n’a rien demandé, il est très seul et ce n’est pas facile pour lui de faire valoir ses droits.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne