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Censures, sexisme et concentration : l’empire de Bolloré se porte bien

par Jérémie Fabre,

L’actualité des médias français se confond de plus en plus avec l’actualité du groupe Vivendi (Canal+, CNews, C8, CStar…), possédé par le milliardaire breton Vincent Bolloré. Alors que celui-ci va être auditionné au Sénat (le 19 janvier), résumé des dernières nouvelles en provenance de son très droitier empire médiatique.

Début décembre, c’est la version papier gratuite de CNews qui a cessé de paraître. En cause : une baisse importante de sa diffusion dans les transports en commun suite à la crise sanitaire, ainsi qu’à l’augmentation du coût du papier. D’après Le Monde, la totalité des effectifs du journal devrait basculer sur sa version en ligne.

La précision est importante, dans un groupe qui a fait de la brutalité contre les journalistes un principe de management ordinaire [1]. Dernier exemple en date : Nulle Part Ailleurs, filiale du groupe Canal+, a assigné aux prud’hommes son ancien journaliste Jean-Baptiste Rivoire pour sa participation à un documentaire critique de Vincent Bolloré, « Le système B ». D’après son avocat, cité par Arrêt sur Images, « Canal+ réclame la restitution de sommes versées dans le cadre de la transaction avec Jean-Baptiste Rivoire, parce qu’il aurait rompu [sa] clause de silence ». Un procès bâillon de Vincent Bolloré venant s’ajouter à une liste déjà longue…

Autre journaliste dont on a appris récemment qu’il avait subi des pressions : Étienne Girard. Ce dernier devait publier une enquête sur Éric Zemmour, ancien polémiste de CNews et candidat à la présidentielle soutenu par Vincent Bolloré. Mais la maison d’édition qui devait publier ce livre, Plon, était malheureusement la propriété… de Vincent Bolloré ! L’enquête a ainsi été décommandée en janvier 2021. Le Radicalisé : Enquête sur Éric Zemmour a finalement pu être publiée aux éditions Seuil en octobre dernier.

L’ambiance semble également délicieuse en interne, où l’animateur Jean-Marc Morandini (dont le recrutement avait déclenché une grève historique à iTélé, aujourd’hui CNews) est renvoyé en procès pour « harcèlement sexuel » et « travail dissimulé » [2]. D’après un résumé glaçant de Libération, Morandini « aurait “usé de toute forme de pression grave” pour obtenir d’un jeune comédien des photos et vidéos de nu et de masturbation dans le cadre du casting » d’une série qu’il produisait. L’animateur est toujours à l’antenne, soutenu par une culture d’entreprise historiquement et ouvertement sexiste, comme l’a montré un article récent de La Revue des médias [3].

Quant au reste de l’empire Bolloré, il n’a pas fini de s’étendre. Après avoir mis la main sur les magazines du groupe Prisma Média (Capital, Voici, Gala…), Vivendi a annoncé qu’il avançait son OPA sur le groupe Lagardère au mois de février 2022, confirmant ainsi sa prise de contrôle sur Europe 1, RFM, Virgin Radio, Le Journal du dimanche et Paris Match. Il est vrai que l’élection présidentielle approche à grands pas…

Une échéance électorale dont le traitement récent par CNews a été si caricatural qu’il a été remarqué par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce dernier a mis en demeure la chaîne de respecter l’équilibre du temps de parole des différents courants politique français. En effet, d’après le CSA, « une proportion très significative des interventions de l’exécutif et de La France insoumise a été diffusée dans des émissions programmées entre minuit et 5 h 59 », soit « plus de 82 % du volume total des interventions des membres de l’exécutif et plus de 53 % du temps de parole des représentants de La France insoumise ». Des chiffres contestés par la chaîne, mais qui l’exposent à des sanctions financières.

Mais que valent ces sanctions face à des audiences en forte hausse pour la chaîne depuis son virage à l’extrême droite ?

Si l’audience monte, les recettes publicitaires montent également. Et pour les préserver, CNews a annoncé avoir porté plainte contre Sleeping Giants, une organisation qui interpelle « les entreprises qui diffusent leurs publicités dans des organes proches de l’extrême droite, en jouant sur leur image de marque. » On peut également noter l’apparition soudaine des « Corsaires », qui diffusent des publicités très professionnelles visant à discréditer Sleeping Giants sur Youtube et dans le très droitier magazine L’Incorrect. Streetpress a enquêté sur cette opération marketing agressive qui défend bec et ongle plusieurs médias extrême droitier tels que Valeurs actuelles et CNews. L’enquête « a permis de faire émerger (sans certitude) un nom : Émile Duport, dirigeant de Newsoul, “agence de communication dédiée aux organisations non-lucratives et aux marques engagées”. L’homme était en charge de la “com’ de mobilisation” pour La Manif pour tous et porte-parole de La Marche pour la Vie. » Reste à savoir d’où peuvent bien provenir les fonds d’une telle opération de défense de CNews…

Et le panorama ne serait pas complet sans rappeler que l’empire de Bolloré n’est pas que médiatique : déjà propriétaire du deuxième éditeur français (Editis), il va, avec son OPA sur le groupe Lagardère, « engloutir le mastodonte Hachette ». Une menace, aussi, sur l’information et la culture.


Jérémie Fabre, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

 
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Notes

[2« Dans une autre affaire, Morandini a été renvoyé en juillet 2020 devant le tribunal correctionnel pour "corruption de mineur" », rappelle Le Monde.

[3On lira avec intérêt les 6 épisodes de cette série « La télé selon Bolloré ».

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