L’armée belge se prépare à "des conflits de haute intensité" avec la Russie
Pour le chef de la Défense, l’amiral Hofman, il faut prendre au sérieux la menace russe à la frontière ukrainienne.
- Publié le 24-01-2022 à 07h13
- Mis à jour le 31-01-2022 à 08h35
L'année 2022 commence bien pour l'armée. Le gouvernement fédéral s'est accordé vendredi sur une augmentation sensible du budget de la Défense (en portant les dépenses de Défense à 1,54 % du PIB à l'horizon 2030). Le chef de la Défense, l'amiral Michel Hofman, réserve ses commentaires à ce propos pour la fin de la semaine, lorsque la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), aura détaillé le nouveau plan d'investissements.
Dans l'intervalle, et malgré cette bonne nouvelle pour son département, le grand patron de l'armée prédit que 2022 sera "une année difficile". Sur le plan organisationnel d'abord, parce que la Défense est en pleine transformation. Mais plus encore sur le plan international. "Le contexte géopolitique a évolué, et certainement pas dans le bon sens avec cette crise avec la Russie qui est de plus en plus tangible", dit-il.
Les Russes ont déployé des forces à la frontière ukrainienne. Selon la ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès (MR), "il y a un risque réel d’invasion de l’Ukraine" . Pour le président US Joe Biden, cela ne fait même aucun doute. Quelle est votre analyse ?
Notre analyse, c’est que les capacités de la Russie sont présentes à la frontière pour mener une action offensive. Mais est-ce que les Russes ont vraiment l’intention d’attaquer l’Ukraine ? Cela reste un point d’interrogation. Pour mener une offensive, il faut avoir l’intention de le faire. C’est ce qui provoque l’incertitude actuelle.
Selon vous, faut-il craindre ces forces militaires russes ou bien est-ce du bluff ?
Il ne faut certainement pas les sous-estimer. Ces dernières années, les Russes ont plus que rattrapé leur retard technologique. Ils ont développé des systèmes d’armes qui nous inquiètent. Par exemple, des systèmes de défense antiaérienne le long de leur frontière occidentale qui perturberaient énormément nos opérations dans une première phase de conflit. S’ils prenaient l’initiative de l’attaque, ils pourraient choisir leurs cibles.
On parle beaucoup de l’Ukraine pour le moment, mais les actions hostiles de la Russie ne sont pas neuves.
Depuis quelques années, elle mène énormément d'activités dans le domaine hybride, c'est-à-dire des activités qui ne sont pas spécifiquement militaires mais qui créent de l'instabilité en Europe. On voit aussi ce qui passe en République centrafricaine ou au Mali avec l'apparition du groupe Wagner (un groupe de mercenaires russes à la réputation sulfureuse, NdlR) qui vient perturber la situation et ne facilite pas la prise de décision en Europe. Semer le doute et la division entre les pays européens, c'est l'objectif de la Russie. Elle veut recouvrer son statut de grande puissance et avoir sa zone d'influence comme l'avait l'Union soviétique.
Ressent-on cette pression russe au niveau belge ?
Il faut se rendre compte, par exemple, qu’en 2021, il y a eu 30 % de passages de navires russes en plus que l’année précédente en mer du Nord. Cela fait une soixantaine de navires en tout. Ce ne sont pas des chiffres impressionnants, mais cela démontre une certaine activité de la marine et de la Défense russes. Il y a aussi de grands exercices russes aux frontières orientales de l’Europe, de la Finlande au Caucase. Tout cela nous inquiète beaucoup et nous touche politiquement, diplomatiquement, mais aussi militairement. C’est une donne dont on tient compte.
De quelle manière en tenez-vous compte ?
L’état de préparation de nos unités est quelque chose qui retient toute notre attention. Dans le passé, on se préparait à se déployer pour mener des opérations expéditionnaires en Afrique, en Afghanistan, etc. Mais on voit que le contexte géopolitique nous ramène dans un cadre où la défense collective n’est plus seulement un concept de l’Otan, mais quelque chose dont on doit tenir compte au jour le jour dans notre organisation. L’incertitude actuelle est tellement grande qu’il faut se préparer aux missions de défense collective, c’est-à-dire à des situations de conflit de haute intensité.
Autrement dit, vous vous préparez à faire la guerre contre la Russie… ?
On se reprépare pour les scénarios de conflit. Faire la guerre ? Si c’est un conflit entre deux adversaires, en effet, c’est à cela qu’il faut se préparer. Et il y a de nouvelles donnes dont il faut tenir compte, comme le domaine de l’espace ou celui du cyber. On doit se préparer.
Que passera-t-il pour la Belgique en cas d’invasion de l’Ukraine ?
Le dispositif que l'Otan a pour le moment est un dispositif de dissuasion. Au niveau belge, on y participe avec des F-16 déployés en Estonie. Plus tard dans l'année, nous aurons un détachement terrestre en Lituanie. Nous avons de manière quasi permanente des unités de la marine déployées au sein des forces Otan. Ce sont quelques centaines de Belges qui contribuent de manière permanente à la dissuasion. Ce que l'Otan a dans ses plans, c'est le système de NRF (Force de réaction de l'Otan) et la VJTF (Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation). Tous les pays membres ont proposé des engagements dans le cadre de ces différentes forces qui seront déployées en cas d'escalade.
Que peut fournir la Belgique ?
En cas d'activation de la VJTF, on a planifié une compagnie - autour de 250-300 soldats - qui sera intégrée dans une formation plus grande (sous commandement français en 2022). Nous avons aussi un navire et des F-16 additionnels, mais ce seront les capacités terrestres qui seront les plus exposées. J'insiste sur le terme "activation" de la VJTF. Ce n'est pas parce que les Russes, demain, décident d'envahir l'Ukraine que, automatiquement, on va se déployer. Il y a un processus décisionnel à respecter, y compris en Belgique. Nous, nous veillons à ce que les unités que nous avons proposées aux différentes forces de l'Otan soient dans un état de préparation maximale.