Le projet de contrôle d'Hachette Livre par Vincent Bolloré inquiète les auteurs

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Le projet de contrôle d'Hachette Livre par Vincent Bolloré inquiète les auteurs

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Vincent Bolloré le 19 avril 2018 à l'assemblée générale de Vivendi.
Vincent Bolloré le 19 avril 2018 à l'assemblée générale de Vivendi.
© Maxppp - Vincent Isore / IP3 PRESS

Entretien. Un nouvel ensemble Hachette-Editis, contrôlé par Vivendi (dont Vincent Bolloré est actionnaire majoritaire), pourrait voir le jour. Des auteurs ont dénoncé dans une tribune dans Le Monde une "menace de la liberté de création et d’expression". L'écrivaine Marie Sellier s'en explique.

Le projet de rachat par le groupe d’édition Editis de son principal concurrent Hachette Livre alarme le monde du livre et des auteurs. Dans une tribune publiée le 4 janvier dernier dans le journal Le Monde, dix auteurs ont appelé à la "mobilisation contre ce mastodonte qui met en péril la biodiversité littéraire". Ils s'inquiètent de cette concentration qui constitue selon eux une "menace la liberté de création et d’expression".

Entretien avec Marie Sellier, écrivaine et militante pour la cause des auteurs, signataire de cette tribune. 

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Menace pour la diversité éditoriale

Dans votre tribune parue dans le journal Le Monde, vous parlez d'"un mastodonte qui met en péril la biodiversité littéraire", c'est-à-dire ?

En fait, ce sont deux mastodontes qui s'entre-dévorent. Hachette, premier éditeur mondial, le premier éditeur français, 2,4 milliards de chiffre d'affaires en 2020 et Editis, 725 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2020. Soit en tout plus de 40 maisons de chaque côté. Des maisons importantes que tout le monde connaît : Grasset, Stock, Fayard, Calmann-Lévy, Le livre de poche, Hatier pour Hachette; Julliard, Plon, Nathan Pocket, 10/18  pour Editis. Et deux grands groupes de distribution : Interforum pour Editis et Hachette Distribution pour Hachette. C'est une concentration importante qui menace le paysage éditorial français et on sait très bien que quand il y a concentration, des collections disparaissent. On sait très bien aussi que certaines idées risquent de ne plus être exprimées, publiées, ce qui est inquiétant pour la diversité éditoriale.  

Vous évoquez aussi dans votre tribune "une menace à la liberté de création et d'expression". Dans quelle mesure, selon vous ? 

Aujourd'hui, c'est la pensée unique qui prévaut. Une trop grande concentration de l'édition aux mains d'un seul homme, et là je parle de Vincent Bolloré, va dans le sens de cette pensée unique. Je pense que la démocratie aujourd'hui est en péril. En témoigne la défiance à l'égard des élites politiques et des institutions, le fort taux d'abstention aux élections. Or la pluralité des opinions, des écrits dans la presse comme dans l'édition, est l'oxygène de la démocratie.

Il y a plus rentable que l'édition. Vincent Bolloré pourrait investir dans d'autres domaines. Pourquoi le fait-il ? C'est parce que contrôler les écrits et les idées est un moyen de s'assurer le pouvoir. Monsieur Bolloré le sait parfaitement et tout le monde sait aussi que nous sommes à quelques semaines d'une échéance électorale importante en France. 

Cette tribune s'adresse à la fois aux lecteurs et aux auteurs, mais surtout aux lecteurs. Parce que nous sommes tous dans le même bateau. Aujourd'hui, les lecteurs ont accès à une table extrêmement fournie : la table de l'édition, où ils peuvent lire ou picorer absolument ce qu'ils veulent. Toute concentration risque d'avoir des effets réducteurs par rapport à cette profusion. 

L'Esprit public
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Les autrices et auteurs et plus largement le monde de l'édition sont-ils aussi mobilisés que vous ? N'existe-t-il pas une loi du silence, un peu comme dans la presse où Vincent Bolloré a également développé son pouvoir ces derniers mois ?

Il faut bien voir qu'il s'agit d'un jeu de légos immense où chaque auteur est une briquette. On ne pèse pas tous le même poids éditorial. Il est certain que les auteurs de best-sellers, qui sont plutôt mieux lotis que les autres et ont tendance à ne pas trop s'exprimer sur ces questions parce qu'il ne faut peut-être pas froisser leurs éditeurs. 

Mais à côté de cela, il existe une myriade d'auteurs (120 000 en France) qui ont quelquefois un ou deux contrats, quelquefois beaucoup plus et pour lesquels il est difficile de faire entendre sa voix. 

Nous sommes dans l'ensemble vraiment "pixelisés" par rapport aux grosses maisons d'éditions. Heureusement, il y a des associations, des maisons qui nous représentent, comme la Société des gens de lettres, dont je fais partie, qui existe depuis 180 ans, fondée par Victor Hugo, Balzac et qui ne cesse de témoigner en faveur des auteurs sans éluder la dimension économique. Les auteurs sont souvent vus comme des créateurs extrêmement favorisés qui vivent de l'air du temps, qui ont la chance de bénéficier des projecteurs de la télévision, de la radio. Mais la réalité économique est bien plus difficile. Il y a très peu d'auteurs qui arrivent à vivre de leur art, de leur plume. Cette loi du silence est donc à la fois voulue et imposée par le système de l'édition, qui reste quand même assez féodal, osons le dire ! Il faut savoir qu'on est payé une fois par an, ce qui est absolument incroyable. Il y a une loi de 2010 qui plafonne les délais de paiement, mais qui ne s'applique pas à l'édition. 

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Ce rachat vous semble-t-il d'autant plus dangereux à quelques semaines de la présidentielle ?

Bien entendu. On sait très bien qui Vincent Bolloré soutient. Il soutient monsieur Zemmour. Et d'ailleurs, dernièrement, regardez ce qui s'est passé. Albin Michel a refusé d'éditer le livre d'Eric Zemmour. Monsieur Zemmour a immédiatement créé sa maison d'édition indépendante, Rubempré. Mais qui distribue le livre de M. Zemmour ? C'est Interforum, qui fait partie du groupe Bolloré et qui s'est débrouillé pour qu'il existe une mise en place fabuleuse du livre. On sait très bien que la distribution est le nerf de la guerre de l'édition. Il est inquiétant dans le contexte actuel et la montée des diverses droites que cette concentration intervienne et - ce n'est pas un hasard -, deux mois avant les élections présidentielles.

Avez-vous sollicité Roselyne Bachelot ou des représentants du gouvernement ? Que vous ont-ils répondu ?

La tribune est parue mardi 4 janvier dans Le Monde et nous n'allons pas en rester là. Nous évoquons en particulier un point : la clause de conscience. Elle existe pour les journalistes, qui leur permet de quitter un groupe de presse lorsqu'ils ne sont pas d'accord avec l'idéologie véhiculée par ce groupe. Il me semble que nous-mêmes devrions pouvoir récupérer nos droits si nous ne sommes pas d'accord avec la ligne éditoriale de nos maisons. Il existe des autorités qui veillent, comme la direction de la concurrence européenne, qui s'est notamment opposée en 2004 à ce que le groupe Vivendi cède la totalité de son pôle d'édition à Lagardère. On sait qu'il y a eu un tour de passe-passe, une dislocation. La partie française, qui a été renommée Editis, a été cédée à Planeta. Ensuite, elle est revenue dans le giron de Vivendi en 2018. Regardez ce qui s'est passé il y a quelques mois, Arnaud Nourry, le PDG d'Hachette, a déclaré qu'il s'opposait au démantèlement d'Hachette. Un mois plus tard, il était prié de quitter le groupe. Il y a des volontés hégémoniques, c'est inquiétant. 

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Pensez-vous que l'autorité de la concurrence devrait se saisir du dossier ?

Elle va le faire. Dernièrement, aux États-Unis, le gouvernement américain s'est opposé au rachat par Penguin Random House, premier éditeur mondial, de Simon and Schuster, quatrième éditeur, pour éviter une situation de monopole. Les lois antitrust sont faites pour ça, Dieu merci ! Mais cette tendance à la concentration est inquiétante. 

Les États-Unis réagissent mieux que nous ?

Je pense que la Direction de la concurrence européenne va se prononcer. Heureusement, il existe des institutions qui veillent. Il est bien évident que ce n'est pas la voix de 120 000 auteurs qui va changer. Nous pouvons avoir une action de lobbying, mais ce n'est pas nous qui allons prendre la décision de nous opposer à un tel rapprochement. Nous n'avons malheureusement pas ce pouvoir, mais nous avons le devoir de nous exprimer sur cette question essentielle.  

Vincent Bolloré aurait programmé sa retraite au 17 février prochain (2022). Cela ne vous rassure pas ?

Non pas du tout. Vincent Bolloré, c'est un groupe. Vincent Bolloré a deux fils, qui vont prendre sa suite et qui sont d'ailleurs déjà très bien placés dans le groupe Bolloré. Donc, je dirais que le risque est peut-être multiplié par deux. Ce n'est pas du tout rassurant !

Avec la collaboration de Caroline Bennetot