Le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni : ces trois pays se placent en tête de ceux qui manquent cruellement de personnel de santé et qui tentent de recruter comme jamais à l’étranger. Mais d’autres pays riches, comme l’Allemagne ou la Finlande, qui n’ont pas l’habitude de faire appel à des médecins et à des infirmières étrangères ont récemment lancé des campagnes de recrutement à destination des pays africains, des Philippines ou des Caraïbes, rapporte The New York Times. Une situation qui soulève de nombreuses questions sur l’éthique de ces campagnes de recrutement et sur l’écho qu’elles reçoivent, en pleine pandémie, dans des pays dont les systèmes de santé sont déjà fragilisés.

“Nous perdons nos infirmières les plus qualifiées”

“Nous avons constamment des départs”, explique Lillian Mwape, directrice des soins infirmiers dans un hôpital zambien. Sa boîte mail est inondée de courriels de recruteurs lui faisant savoir qu’elle-même a la possibilité d’obtenir très rapidement un visa pour les États-Unis. Officiellement, la Zambie forme trop d’infirmières et des milliers de jeunes diplômées sont au chômage. Mais ce sont les infirmières chevronnées qui sont les plus recherchées par les recruteurs. “Ce sont les infirmières les plus qualifiées que nous perdons et nous ne pouvons pas les remplacer”, reconnaît Lillian Mwape.

L’émigration des professionnels de santé formés dans des pays pauvres vers des pays riches n’est pas une nouveauté. Mais elle explose depuis deux ans, alors que certains pays ont mis en place des procédures accélérées pour la délivrance des visas de travail et la reconnaissance des diplômes, précise The New York Times.

Le gouvernement britannique a par exemple lancé un “visa de santé et de soins” en 2020, avec frais réduits et traitement rapide des demandes. Le Canada a assoupli ses exigences linguistiques pour la résidence permanente et accéléré le processus de reconnaissance des qualifications des infirmières formées à l’étranger. Le Japon offre aux professionnels des soins aux personnes âgées une voie rapide d’acquisition de la résidence permanente. L’Allemagne autorise les médecins formés à l’étranger à accéder directement à des postes de médecin assistant.

Conséquence : un pays comme les Philippines, qui a longtemps formé trop d’infirmières afin de les envoyer travailler à l’étranger – notamment dans les pays du Golfe – manque aujourd’hui de personnel hospitalier.

Des accords bilatéraux contournés par les recruteurs

Concernant le recrutement international des personnels de santé, les États membres de l’OMS ont adopté en 2010 un code de bonnes pratiques, à l’instigation notamment de gouvernements africains qui voyaient les médecins et les infirmières formés sur place partir en nombre pour les États-Unis ou la Grande-Bretagne, rappelle The New York Times. La signature d’accords bilatéraux entre pays d’origine et pays de destination est préconisée. Les pays de destination sont censés soutenir certaines initiatives des pays d’origine en matière de soins de santé et mettre en place des formations complémentaires pour permettre aux professionnels expatriés de retourner dans leur pays dotés de compétences nouvelles.

Mais depuis le début de la pandémie certains recruteurs trouvent le moyen de contourner les accords signés. “Les agences de recrutement se présentent dans le pays et négocient directement avec les infirmières en leur offrant des conditions très avantageuses, constate M. Catton, de l’International Nurses Organization. Quant aux professionnelles recrutées, elles n’ont pas l’intention de retourner dans leur pays. Au contraire : elles veulent s’installer à l’étranger et faire venir leur famille.”

Les gouvernements africains doivent se mobiliser

Un pays comme le Nigeria compte théoriquement 72 000 médecins diplômés, mais seuls 35 000 exerçaient dans le pays en 2021, selon le sénateur nigérian Abba Moro. Pourtant John Nkengasong, directeur des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), ne désespère pas de convaincre les professionnels de santé expatriés de revenir travailler dans leur pays, rapporte The Guardian.

Le CDC Afrique a mis en place sept groupes de travail permettant aux médecins et aux scientifiques africains installés dans les pays riches de dispenser régulièrement leurs conseils à distance. “Ils ont été très utiles durant la pandémie. Nous devons formaliser ce dispositif et favoriser des retours sur le continent ”, explique John Nkengasong.

Condition sine qua non pour “inverser la fuite des cerveaux” : que les gouvernements africains se mobilisent. “Les dirigeants du continent doivent investir dans le renforcement des systèmes de santé. Nous avons besoin d’un programme très volontariste qui aide les Africains de la diaspora à revenir et à participer à des rotations de personnel. Un Ghanéen ou un Nigérian installé à Londres ne se réveille pas simplement un matin en se disant : ‘Je vais partir au Nigeria pendant un an. Cette personne a besoin d’un logement, d’un moyen de transport de base, elle a des responsabilités, un travail…”

Le CDC Afrique devrait proposer prochainement aux pays de l’Union africaine un ensemble de mesures en vue d’un traité régional sur la santé qui aura pour objectif de coordonner la réponse du continent à la pandémie. Il devra notamment mettre en place des dispositifs d’incitation au retour et de soutien aux expatriés. Car si l’Afrique, jusqu’à présent, semble avoir moins souffert du Covid que les autres continents, elle doit se préparer “à l’émergence d’autres variants plus difficiles à traiter que ceux auxquels nous avons eu affaire”, avertit John Nkengasong,