Simone Veil témoigne de la libération des camps : "C'est si bête de mourir maintenant"

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Simone Veil témoigne des camps - #CulturePrime
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Simone Veil témoigne de la libération des camps : "C'est si bête de mourir maintenant"

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Archive | Simone Veil a 16 ans quand elle est déportée avec sa mère et sa sœur à Auschwitz. Devant l’avancée des alliés, elles sont transférées au camp de Bergen-Belsen en 1945. En 1988, elle témoignait sur France Culture de l'horreur de ces derniers mois de détention, alors même que la guerre est terminée.

Simone Veil a 16 ans quand elle est déportée avec sa mère et sa sœur à Auschwitz. Devant l’avancée des alliés, elles sont transférées au camp de Bergen-Belsen en 1945. Lors de ces ultimes mois de détention, sa mère, Anne Frank et plus de 50 000 personnes y meurent du typhus, d’épuisement, de faim, de désespoir. 

Simone Veil : "L’envie de mourir, et en même temps de se dire, sachant que c’était la fin de la guerre, c’est si bête de mourir maintenant. Il faut tenir quelques semaines, mais est-ce que ça vaut la peine ? Parce que est-ce que même si on est libéré on redeviendra un être normal. On sentait la fin de la guerre mais une fin de guerre qui a été épouvantable parce que là, les SS étaient complètement dépassés par la situation.

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Le manque de sommeil

Simone Veil : "Et je dirais pour moi, dans les choses physiques, c’est le manque de sommeil. Les derniers mois de Belsen je n’ai pratiquement pas dormi parce qu’on n'avait pas d’endroit pour dormir. Je rentrai du travail et je rentrai dans un bloc où il n’y avait même pas un endroit pour s’asseoir alors on restait debout. On ne dormait plus. J’avais l’impression d’être folle de ne pas dormir. Une espèce d’angoisse permanente, une espèce de situation où je dormais debout, une sorte de somnambule. Et puis l’humiliation atroce de la maladie. Et je crois que c’est ça, ce qui était le plus terrible c’est cette humiliation permanente, ce sentiment de déchéance et d’essayer de lutter contre. Et ça c’est incommunicable." 

La maladie, la soif

Simone Veil : "Presque tout le monde a eu le typhus, une épouvantable épidémie de typhus. Il n’y avait plus rien à manger et les gens ont survécu comme ils ont pu pendant les 3 mois qui restaient. Moi j’ai eu le typhus beaucoup moins fort que d’autres. C’est aussi une maladie qui atteint les centres nerveux, donc c'était comme une espèce de monde qui n’existe plus. Il n’y avait aucune règle, il n’y avait plus rien. C’était un spectacle de Bruegel, c’était ce qu’on a vu, ces images du Moyen Âge, les cadavres au bord de la route, des formes se traînant pour essayer d’aller… Il y avait quatre mares dans le camp, enfin il y en avait une qui était une mare ignoble, c’était la seule réserve d’eau et les déportés passaient sous les barbelés pour essayer de prendre l’eau dans cette mare, et naturellement comme il y avait des SS qui la gardaient ils se faisaient chaque fois tuer, mais on ne tenait plus à la vie, on n'avait de toute façon plus du tout envie de vivre."

L'instinct de survie, l'envie de mourir

Simone Veil : "On avait le sentiment par moment qu’on n’avait plus la capacité de réfléchir à quelque chose, il n’y avait donc plus que des instincts. Et je dirais que c’est peut-être la chose la plus angoissante : c’est ce sentiment de se dire est-ce que je suis encore un être humain ou est-ce qu’on n’est pas en train de basculer vers quelque chose qui est purement l’instinct de vie et l’envie de mourir d’ailleurs ?

L’envie de mourir et en même temps de se dire, sachant que c’était la fin de la guerre, c’est si bête de mourir maintenant, il faut tenir quelques semaines, mais est-ce que ça vaut la peine ? Parce que est-ce que même si on est libéré on redeviendra un être normal. On était dans l’angoisse par rapport à ça. La libération est arrivée, je crois le 15 ou 17 avril dans ce contexte dont on ne pouvait même pas se réjouir parce qu'on ne savait pas du tout si on survivrait. Et d’ailleurs beaucoup de déportés sont morts à Belsen après la libération."