Avant d’évoquer les sujets qui fâchent – car Anne Hidalgo se fâche facilement lorsqu’elle lit Capital – regardons un instant le bon côté des choses. Au lieu d’établir, comme tout le monde, la liste des recettes et des dépenses pour les douze mois à venir, la maire de Paris a demandé à ses équipes de présenter désormais chaque année un budget «sensible au genre». Cette démarche pionnière, qui devrait très vite propulser la ville lumière aux premiers rangs du combat comptable contre la domination masculine, va exiger beaucoup de boulot et probablement pas mal d’embauches.

Des groupes de travail ont d’ores et déjà été constitués et des «ateliers exploratoires» lancés, afin d’arrêter les «choix méthodologique» préalables à la «catégorisation des dépenses dédiées à des dispositifs genrables» et à l’«intensification de la collecte de données genrées». Cela promet d’être long et fastidieux. Mais, à terme, ce travail de fourmi devrait permettre de «mieux intégrer les besoins et les attentes de chacun.e.s.», se réjouit déjà l’Hôtel de Ville. La vraie question restera cependant de savoir si le mot «dette» doit continuer d’être conjugué au féminin. Pour notre part, nous y sommes favorable, car «déficit» étant lui-même masculin, cela assure un certain équilibre.

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Sacrée Anne Hidalgo ! Si l’on ne craignait pas de faire un mauvais jeu de mots, on pourrait écrire qu’elle est impayable. Pendant qu’elle mène sa campagne présidentielle (à l’heure où nous écrivions ces lignes, elle était toujours candidate, sous la menace de Christiane Taubira) et qu’elle fait joujou avec ces histoires de genre, sa ville s’approche à pas de géant du précipice de la cessation de paiement. Selon les dernières données fournies par la municipalité, la durée théorique nécessaire pour rembourser les emprunts abyssaux qu’elle a contractés s’élève désormais à 19,33 années, bien au-delà de la côte d’alerte fixée par la loi de programmation pluriannuelle des dépenses publiques (12 ans).

Et ce chiffre officiel, déjà plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, est, nous allons le voir, largement sous-évalué. Cela n’empêche pas la cavalerie parisienne de poursuivre sa folle chevauchée vers l’apocalypse : en 2022, les encours de crédits devraient encore bondir d’un peu plus de 900 millions d’euros (déduction faite des emprunts remboursés pendant l’année), un montant faramineux équivalent à 17,5% des recettes fiscales. Un pur délire.

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Face à ce désastre annoncé, les élus LR du Conseil de Paris sont sortis du bois le mois dernier pour exiger la mise sous tutelle de la capitale. «Il y a longtemps que cela aurait dû être fait», tonne Patrick Tabet, un avocat qui vient lui aussi d’adresser une telle demande à la Chambre Régionale des Comptes, au nom d’un collectif d’associations. «Si les règles étaient respectées, la ville serait aujourd’hui en faillite», assure Rachida Dati, la maire LR du VIIème arrondissement.

Provocation politique ? Sans doute, mais en partie seulement. Lorsqu’une collectivité fait n’importe quoi avec ses finances (cela arrive parfois dans les petites bourgades) ou qu’elle présente une comptabilité insincère, la loi impose en effet bel et bien à l’Etat d’en prendre le contrôle afin de rétablir l’ordre. Or, bien que les agences de notation lui donnent invariablement un satisfecit (tant que la vente de la Tour Eiffel et de l’immense patrimoine immobilier communal suffira, sur le papier, à payer les dettes, elles continueront de le faire), Paris n’est pas tellement loin de ce couperet.

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Pour justifier leur appel, les mauvais coucheurs mettent d’abord en avant la poursuite de la pratique des loyers capitalisés par la municipalité parisienne. Faut-il rappeler le mode d’emploi de cette ficelle, imaginée en 2016 par l’équipe d’Anne Hidalgo, et qu’aucune grande ville n’a jamais osé reprendre à son compte ? Il est très simple. Afin de boucher les trous de son budget de fonctionnement, la ville demande à ses organismes HLM de lui régler tous les ans par avance une partie des loyers qu’ils percevront pendant les soixante prochaines années. Cela revient ni plus ni moins à les obliger à s’endetter à sa place, car ils n’ont évidemment pas cet argent en caisse.

Comme la loi fait obligation aux communes d’équilibrer leur budget de fonctionnement sans s’endetter, cette fine technique nécessite l’obtention d’une dérogation annuelle du gouvernement, accordée, selon les textes, uniquement en cas de «circonstances exceptionnelles» et pour très peu de temps. Lorsque François Hollande était à l’Elysée, il rendait cependant volontiers ce service à Anne Hidalgo, sans lui demander le moindre compte. En échange, la maire de Paris ne cherchait pas trop de poux dans la tête du président lorsqu’il rectifiait à la serpette les dotations aux communes. Entre socialistes dépensiers, on savait se comprendre.

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Mais avec Emmanuel Macron, la quête continuelle d’un passe-droit que rien ne justifie par la première magistrate de la plus grande ville de France a fini par lasser. Début décembre, le ministre chargé des comptes publics Olivier Dussopt et sa collègue Jacqueline Gouraud, en charge des Collectivités locales, se sont donc fendus d’une lettre au vitriol à la passionaria du vivre-ensemble pour lui faire savoir que, certes, l’autorisation de ponctionner ses sociétés HLM lui serait encore une fois accordée en 2022 à hauteur de 150 millions d’euros, mais qu’à l’avenir il ne faudrait plus y revenir, car, au regard du dérapage incontrôlé de la dette parisienne, ce système générait «un risque budgétaire de fuite en avant». Pour que des ministres aussi policés en viennent à adresser une telle remontrance à une édile de premier plan, il faut vraiment qu’il y ait le feu à la Seine !

Les élus LR du groupe «Changer Paris» font aussi valoir, à raison, que la municipalité PS-PC-EELV de la capitale a sciemment surévalué certaines prévisions de ressources dans son budget 2022, afin d’en embellir les contours. C’est le cas, par exemple, des recettes de stationnement, annoncées au plus haut pour les 12 prochains mois (379 millions d’euros) alors que les obsessionnels anti-voitures de l’Hôtel de Ville ne cessent de réduire le nombre de places payantes. Ou encore du montant attendu de la taxe de séjour (95 millions d’euros) que les hoquets du marché du tourisme ne permettront certainement pas d’atteindre cette année.

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Capital

On pourrait ajouter que, selon nos observations, les recettes de fonctionnement comptabilisées dans l’exercice 2020 intégraient 63 millions de «produits à recevoir», autrement dit de ressources virtuelles qui n’avaient pas encore été touchées ni même facturées, ce qui fait tout de même un peu beaucoup. Il ne serait pas surprenant qu’une telle bizarrerie comptable se reproduise cette année. «On ne peut pas continuer comme ça, s’emporte David Alphand, spécialiste des finances au sein du groupe LR. Lorsqu’Anne Hidalgo a pris la place de Bertrand Delanoë, en 2014, la dette tournait autour de 3,6 milliards d’euros, ce qui était déjà énorme. Elle est aujourd’hui d’un peu plus de 7 milliards, et si l’on ne fait rien, elle atteindra 7,75 milliards à la fin de l’année. On court à la catastrophe !»

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On ne voudrait pas hanter un peu plus les cauchemars de cet élu méritant, mais la situation est en réalité encore bien plus grave que lui, et toute l’opposition municipale, ne le croient. D’abord parce que la dette parisienne n’est pas aujourd’hui «d’un peu plus de 7 milliards» comme on le lit partout – y compris, bizarrement, dans la lettre d’admonestation des ministres Olivier Dussopt et Jacqueline Gouraud -, et qu’elle ne sera pas de 7,75 milliards à la fin de l’année.

Pour prendre la vraie mesure de l’impasse municipale, il faut en effet additionner à ces montant les énormes sommes siphonnées depuis 5 ans par l’Hôtel de ville au titre des loyers capitalisés – des dettes cachées portées par les organismes HLM de la ville, on l’a dit. Anne Hidalgo se garde bien de le faire, bien sûr, mais pas les hommes en noir de Bercy, qui, eux, n’ont pas de bilan à embellir ni d’électeurs à cajoler. Après avoir corrigé les éventuelles erreurs, ces intraitables publient chaque année les vraies données financières des collectivités locales, dans un document intitulé «Compte de gestion du trésorier».

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Il est bien dommage que personne ne le lise, car selon cette bible, le montant total des emprunts à long terme de la ville de Paris dépassait déjà 7,7 milliards il y a un an, au 1er janvier 2021. Depuis l’ardoise s’est envolée pour atteindre aujourd’hui 8,502 milliards d’euros. Et compte tenu des autorisations d’emprunt que la municipalité s’est auto-accordée pour les 12 prochains mois (905 millions d’euros, qu’on peut lui faire confiance pour utiliser jusqu’au dernier centime), la dette devrait se situer au-dessus de 9,4 milliards – exactement à 9 420 203 453 euros, selon nos calculs – à la fin 2022. On est déjà loin des 7,75 milliards annoncés par Anne Hidalgo et pris pour argent comptant par son opposition et par toute la presse. Mais ce n’est pas fini.

Pour boucler ses fins de mois, la mairie de Paris ne se contente pas de souscrire des obligations de longue durée, dont les montants s’inscrivent automatiquement dans sa dette. Comme un ménage impécunieux qui, en plus de ses emprunts immobiliers, vit en permanence à découvert grâce à un crédit revolving octroyé par sa banque, elle a aussi recours à des avances de trésorerie, sous forme de billets souscrits à court terme. Jusqu’en 2018, la municipalité n’avait jamais recours à ce type de crédits, indignes d’une collectivité bien gérée. Mais depuis lors, la situation financière est devenue tellement catastrophique qu’il lui a fallu s’y résoudre, ne serait-ce que pour pouvoir payer les salaires de ses fonctionnaires à la fin du mois.

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Au 31 décembre 2019, ces engagements de court terme, auxquels personne ne prête attention, et qui ne sont pas comptabilisés dans la dette officielle, représentaient 150 millions d’euros. Au 31 décembre 2020, ils avaient quasiment doublé pour atteindre 285 millions d’euros. Un an plus tard, le 1er janvier dernier, leur montant avait de nouveau été multiplié par deux : ils culminaient à 600 millions d’euros. Précisons que la mairie, pour une fois très avisée, s’est donnée la possibilité de porter ce total à 1,6 milliard au cours de l’année qui commence. On n’est jamais trop prudent.

Et maintenant, faisons les additions. En tenant compte de cette ardoise cachée, la dette de la capitale se monte actuellement à 9,1 milliards d’euros. Et en admettant – hypothèse optimiste - que ces crédits à court terme restent limités à 600 millions pendant les 12 prochains mois, elle atteindra 10 milliards à la fin de l’année. En six ans de gestion approximative, Anne Hidalgo ne l’aura donc pas fait bondir de 95%, comme le dénoncent les Républicains : elle l’aura quasiment multipliée par trois, du jamais vu dans l’histoire des métropoles mondiales, à l’exception, peut-être, de la Babylone antique.

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Grâce à quoi, les Parisiens, qui étaient déjà les champions de beaucoup de choses, peuvent aujourd’hui s’enorgueillir de porter, et de loin, le fardeau financier le plus lourd de tous les habitants des grandes villes françaises. En moyenne, bébés compris, ils doivent 4 197 euros aux créanciers de leur cité, contre 3155 euros pour les Toulousains, 2911 pour les Bordelais, 3078 pour les Lyonnais, et 4054 pour les Marseillais, dont Anne Hidalgo citait il n’y a pas si longtemps la ville comme un exemple de mauvaise gestion.

Et ils ne sont pas près de se faire rattraper, car leur ardoise ne va sans doute pas cesser d’augmenter de sitôt. Contrairement à ce que répète en boucle le premier adjoint Emmanuel Grégoire, son explosion n’est en effet nullement dûe à un accident conjoncturel – le Covid – pas plus d’ailleurs qu’au désengagement de l’Etat : elle tient tout simplement au fait que la ville a pris l’habitude de vivre au-dessus de ses moyens.

Il suffit de regarder les chiffres : hors apport providentiel des loyers capitalisés, son budget de fonctionnement a été déficitaire à six reprises sur les huit derniers exercices, d’environ 50 millions d’euros en moyenne. Et les documents comptables du budget 2022 font une fois encore apparaître une béance dans les 12 prochains mois, de 135 millions cette fois. Au vu de l’évolution des effectifs communaux, passés de 54 000 personnes en 2014 à 62 000 aujourd’hui, dont plusieurs milliers ne font même pas les 35 heures, cela n’a rien d’étonnant…

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Emportés par leur folie dépensière, les élus parisiens ont aussi laissé discrètement derrière eux ces dernières années tout un tas de bombes à retardement, qui risquent d’exploser un jour ou l’autre à la figure du contribuable. Ainsi, alors que la gestion aléatoire des marchés publics par la municipalité a généré des contentieux aux conséquences potentiellement monstrueuses – Vincent Bolloré (propriétaire de Capital) lui demande 233 millions d’euros de réparation pour avoir été évincé d’Autolib, et la ville risque de devoir en rembourser 263 autres dans l’affaire de la Tour Triangle, où elle est accusée d’avoir favorisé le groupe Unibail – les comptables de l’Hôtel de ville n’ont provisionné que 39 malheureux millions d’euros. Mieux vaut croiser les doigts pour qu’elle gagne ses procès !

La descente aux enfers financière de la plus riche cité de France est d’autant plus sidérante qu’elle va de pair avec une très forte hausse des impôts. Anne Hidalgo a toujours juré qu’elle ne les augmenterait pas d’un centime – et elle continue d’assurer sans rire qu’elle ne l’a pas fait. Mais la réalité est bien différente.

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Depuis qu’elle est en poste, elle a gonflé de 60% le taux de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires, fait flamber jusqu’à 166% le montant de la taxe de séjour, rehaussé de 50% à 66% les droits de stationnement, triplé le montant des amendes, ajusté tout un tas de redevances comme les droits de terrasse ou les pavillons des Champs-Elysées, porté la taxe d’enlèvement des ordures ménagères à l’extrême limite autorisée par la loi, et, surtout, fait valser de 18% le taux des droits de mutation immobilière (les fameux frais de notaire), qui profitaient pourtant déjà à plein de l’explosion du prix de la pierre parisienne. Grâce à quoi, avec 1,65 milliard de recettes prévues cette année (+ 54% depuis 2014), ces derniers sont devenus le principal impôt de la capitale – et de loin le plus douloureux, notamment pour les familles et les jeunes ménages.

Passe encore si cette avalanche de dettes et d’impôts s’accompagnait d’un vaste programme d’investissements porteurs d’avenir, d’emplois, et de futures rentrées fiscales, comme on le jure à l’Hôtel de Ville. Mais ce n’est pas le cas. Non seulement les dépenses d’équipement n’ont pas progressé d’une décimale depuis 2014 (elles n'ont même pas suivi l’inflation), mais une bonne partie d’entre elles a été gaspillée en chantiers inutiles, en aménagements d’un goût douteux ou en projets qui relèvent simplement de la folie des grandeurs.

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Baptisé «Grand site tour Eiffel», le dernier en date ambitionne de créer un jardin entre le parc du Trocadéro et la tour Eiffel, grâce à la pose de «monticules de terre» sur le pont d’Iéna. En dépit de l’opposition unanime des riverains, de la colère de toutes les associations locales et du niet ! des maires des trois arrondissements concernés, Anne Hidalgo considère cette grande œuvre comme absolument indispensable. Selon les derniers devis présentés, sa réalisation devrait coûter 110 millions d’euros, pour 1,8 hectare végétalisé. Cela en fera le jardin le plus cher du monde.

>> Cet article est au sommaire du nouveau numéro de Capital disponible en kiosque et sur Prismashop

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