Démissions en masse : le phénomène américain se propage t-il à l'Europe ?

Plus de 4 millions d'Américains ont quitté leur emploi chaque mois depuis le début de la reprise après la crise du coronavirus., image d'illustration.
Plus de 4 millions d'Américains ont quitté leur emploi chaque mois depuis le début de la reprise après la crise du coronavirus., image d'illustration. Tous droits réservés Jae C. Hong/Copyright 2017 The Associated Press. All rights reserved.
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Par Oceane DuboustLaura Llach
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Plus de 4 millions d'Américains décident de quitter leur emploi chaque mois depuis le début de la reprise post-Covid-19. Le phénomène n'a pas la même ampleur en Europe.

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Jorge, 26 ans, travaille en Allemagne depuis quatre ans dans la finance mais se retrouve de plus en plus esseulé. Cette année, plusieurs de ses collègues ont décidé de franchir le pas et de démissionner. Sans plan B.

Bien que les démissions restent rares dans son secteur, l'exode des employés prend de l'ampleur aux Etats-Unis dans ce que l'on commence à appeler la « Grande Démission » – et elle menace de s'étendre en Europe.

Plus de 4 millions d'Américains décident de quitter leur emploi chaque mois depuis le début de la reprise post-Covid-19, un chiffre qui passe à 20 millions si on le mesure de mai à septembre.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce changement qui a pris les économistes par surprise. Un bouleversement des priorités dû à la pandémie, l'épuisement de la main-d'œuvre ou encore les économies réalisées grâce aux politiques de relance économique sont évoqués.

Mais il n'y a pas une raison unique pour expliquer ce changement.

Le Covid-19, catalyseur d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le nombre de démissions a augmenté de 15 % cette année, par rapport à la même période en 2019, avant le début de la pandémie.

Sans aucun doute, la pandémie est l'une des raisons. Il y a eu un changement culturel concernant les priorités de chacun, les gens se demandent maintenant si le travail doit jouer le rôle qu'il avait auparavant.
Jerónimo Maillo
Professeur de droit européen à l'université CEU San Pablo, Madrid

Les experts et les travailleurs considèrent la pandémie comme un catalyseur du changement. Sonia a déménagé à New York il y a trois ans pour travailler dans le marketing, et elle affirme que le Covid-19 a modifié ses routines de travail au point de les rendre méconnaissables. « Les personnes qui décident de démissionner le font par désir d'améliorer leur qualité de vie, et non pour augmenter leur salaire », a-t-elle déclaré.

La « Grande démission » semble s'accélérer, ce qui a conduit de nombreux experts à prédire une expansion mondiale. Mais la révolution atteindra-t-elle l'Europe ?

Que va-t-il se passer en Europe ?

Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, le taux de chômage en Europe est sur le point de revenir aux niveaux d'avant la crise. En France, le nombre de personnes actives est même plus élevé qu'avant la pandémie avec un taux d'emploi record de 67,5% au dernier trimestre. En Espagne, le nombre de démissions entre 2020 et 2021 a diminué, selon le ministère espagnol de la Sécurité sociale.

Pour Raymond Torres, directeur de l'économie internationale du think tank Funcas, ces chiffres montrent que ce que nous observons en Europe n'est pas une augmentation des démissions, mais une importante remise en question du travail.

« En général, des deux côtés de l'Atlantique, il y a une remise en question de la manière de travailler. La solution qu'ils ont trouvée aux Etats-Unis est de démissionner, alors qu'en Europe, les chiffres du chômage montrent que ce n'est pas le cas, que ce phénomène de découragement se produit de manière différente. C'est plus profond parce qu'ils ne veulent pas travailler de la même manière » explique-t-il.

Sur ce point, Jerónimo Maillo est d'accord. « Certains facteurs de ce phénomène pourraient avoir un poids en Europe, comme le changement culturel ou la recherche d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais d'autres facteurs différencient les deux cas. Aux États-Unis, par exemple, il est beaucoup plus facile de prendre la décision de démissionner car il est relativement facile de trouver un autre emploi ».

Outre la facilité à trouver un nouvel emploi, il existe également des différences lorsqu'il s'agit de canaliser le mécontentement. « Dans l'Union européenne, les institutions du marché du travail, notamment la négociation collective entre syndicats et employeurs, ainsi que des outils tels que les manifestations et les grèves permettent de soulever ce sentiment », explique Elvira González, experte en politiques du marché du travail et de l'emploi au Centre européen d'expertise.

« Le fait de disposer de ces solides institutions du travail dans l'UE rend moins probable que ce qui se passe aux États-Unis finisse par se produire » ajoute-t-elle.

Dans l'UE, des pays différents, des situations différentes

Les experts s'accordent sur l'homogénéité qui existe entre les états aux États-Unis, ce qui donne lieu à un phénomène de grande ampleur qui ne se produit pas en Europe. Le marché du travail peut différer totalement d'un pays à un autre.

« En Allemagne, le marché du travail est très bien huilé et le pays connaît une pénurie de travailleurs depuis des années. Le taux de chômage y est très faible et le pays est proche du plein emploi », souligne Elvira González. Comme en Allemagne, le nombre de démissions a augmenté en France. En septembre 2021, il y a eu 9 % de démissions de plus qu'à la même période en 2019, près de la moitié des départs étant des démissions volontaires.

Témoignage issu du compte "I quit thanks" consacré aux démissions et changements de carrières en français

En revanche, l'Espagne reste étrangère au phénomène. Avec un taux de chômage d'environ 15% et un marché du travail précaire, peu de travailleurs espagnols vont mettre fin volontairement à leur contrat. « Même si les travailleurs ne sont pas très bien traités, ils tiennent bon jusqu'à ce qu'ils aient une autre opportunité », dit Jerónimo Maillo.

Le changement de mentalité, favorisé par les différentes caractéristiques du marché du travail européen, fait que si dans d'autres pays cette option n'est pas envisagée en Allemagne, les travailleurs peuvent prendre leur temps pour trouver un autre emploi.

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Un succès européen ?

L'une des grandes différences que les experts soulignent entre les États-Unis et l'Europe concerne les politiques de relance. Outre-Atlantique, l'action la plus célèbre a été le fameux chèque pour des millions de citoyens, tandis que sur le Vieux Continent, l'injection de fonds était liée à un contrat de travail.

« Les plans de relance européens sont conditionnés par l'absence de licenciements. De cette manière, le travailleur est lié à l'entreprise », explique M. González. Pour Jerónimo Maillo, il s'agit d'un succès européen, car ce type de subvention a permis au travailleur de réintégrer l'entreprise avec une certaine facilité.

D'autre part, la hausse du taux de chômage américain a été spectaculaire. « Ils sont passés de 3 % à 14 % en quelques mois seulement. En Europe, en revanche, cette hausse a été plus atténuée par le maintien du lien avec le travail. Cela a été positif car cela a permis à de nombreuses personnes de ne pas se décourager et de ne pas tomber dans l'inactivité », affirme M. Torres.

Lorsqu'il s'agit d'évaluer si les démissions pourraient entraîner un changement de tendance sur le marché du travail, l'analyste de Funcas reste prudent : « Les gens repensent le type de travail qu'ils font et cela pourrait se transférer aux autres pays ». Il souligne néanmoins que cela ne se verra pas pour l'instant. Nous devrons attendre et voir si la grande révolution que les travailleurs ont entamée aux États-Unis s'étendra à d'autres économies.

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