La Commission européenne intègre le nucléaire et le gaz au sein de son « label vert »

La Commission européenne a décidé d’intégrer, le 2 février dernier, les centrales nucléaires et les centrales à gaz au sein de sa nouvelle « taxonomie verte ». Une décision controversée, qui suscite l’ire des ONG et de plusieurs états du Vieux continent.

La Commission européenne intègre le nucléaire et le gaz au sein de son « label vert »
Image d'illustration © Unsplash (CC)

Feu vert pour le nucléaire et le gaz ! Le 2 février dernier, la Commission européenne a tranché : les centrales nucléaires et les centrales à gaz seront bien intégrées à son label « vert ». Comme l’indique l’Agence France Presse (AFP), ce dernier consiste en une « liste de critères » nouvellement établis, permettant de classer comme « durables » les investissements dans ces sources d’énergie mobilisées pour la production d’électricité. Un privilège qui était, jusqu’ici, réservé aux énergies renouvelables.

Activités « durables » 

Déjà perdu ? Reprenons. Lancé par la Commission européenne en 2018, ce projet de « taxonomie verte » présente un objectif simple : définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel une entreprise peut être considérée comme « verte », c’est-à-dire ayant la capacité d’atténuer le dérèglement climatique. Dans la lignée de l’objectif de neutralité carbone de l’Union européenne (UE) fixé à 2050, l’idée est de mobiliser des fonds privés vers des activités réduisant les émissions de gaz à effet de serre. En juin 2020, le Parlement européen et le Conseil ont adopté un règlement définissant cette taxonomie. Aujourd’hui partiellement entrée en vigueur, cette dernière doit être prête dans sa version définitive pour le début de l’année 2023.

D’où ces récentes négociations à Bruxelles, visant à « mettre à jour » le classement des activités considérées comme « durables » à l’échelle du Vieux continent, afin d’orienter l’investissement (financier) et l’innovation (scientifique) au bon endroit. Concrètement ? Ainsi que le résume Le Figaro, la nouvelle taxonomie imposera aux grandes entreprises, aux gestionnaires de fonds, aux banquiers ou encore aux assureurs, de déclarer ce qui, dans leurs portefeuilles, « est conforme à cette classification » : « À ce stade, l’effort de transparence couvre quelque 70 secteurs d’activité jugés prioritaires car ils contribuent au réchauffement (cimenterie, sidérurgie, construction…) ou au contraire, peuvent le limiter (énergies renouvelables). »

Dans le détail, la Commission a donc publié ce 2 février une liste de six critères qui permettront aux sociétés concernées d’obtenir, ou non, le label en 2023 : réduction des émissions, adaptation au réchauffement, risque de pollution, impact sur la biodiversité et l’eau, et économie circulaire. « Pour avoir le tampon “vert”, il faut respecter les critères techniques d’un des deux premiers objectifs et ne pas nuire significativement aux autres, par exemple en polluant les sols ou en générant trop de déchets, et respecter un socle minimum social », précise encore Le Figaro.

« Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de trente ans pour y parvenir »
La commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness

Critères que remplissent donc, selon la Commission européenne, les entreprises de nucléaire et de gaz… à certaines conditions. Pour la construction de nouvelles centrales atomiques, les projets devront en effet être validés avant 2045. Les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront, quant à eux, l’être avant 2040. Enfin, concernant le gaz, la Commission impose un plafond d’émissions de CO2 situé à 100 grammes par kilowattheure maximum. Les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31 décembre 2030 verront cependant ce seuil relevé à 270 grammes, à condition qu’elles remplacent des infrastructures beaucoup plus polluantes. « Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de trente ans pour y parvenir », s’est justifiée la commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness, lors d’une conférence de presse.

Vives oppositions

Malgré ces encadrements, la décision est (très) loin de faire l’unanimité. En cause, les effets néfastes pour l’environnement de chacune de ces deux énergies – principalement les déchets et le risque d’accidents pour le nucléaire, et la libération de méthane et de CO2 pour le gaz. Ces dernières semaines, un groupe de pays comprenant notamment l’Autriche, le Luxembourg et l’Allemagne a ainsi bataillé pour exclure l’atome de cette classification. De même, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont contesté à plusieurs reprises l’attribtion du label « vert » au gaz.

 

« L’énergie nucléaire n’est ni verte ni durable. Je ne peux pas comprendre la décision de l’UE »
Le chancelier autrichien Karl Nehammer

Dans la foulée de cette annonce, le gouvernement autrichien – qui a la particularité d’avoir interdit en 1978 l’exploitation de l’énergie nucléaire, une mesure élevée au rang de principe constitutionnel en 1999 – est même allé jusqu’à annoncer son intention d’engager une action en justice contre la décision de la Commission européenne. « L’énergie nucléaire n’est ni verte ni durable. Je ne peux pas comprendre la décision de l’UE », a réagi avec fureur le chancelier conservateur Karl Nehammer sur son compte Twitter. Selon la ministre autrichienne de l’environnement Leonore Gewesslere, le Luxembourg s’est dit, lui aussi, prêt à se joindre à cette plainte.

La Commission européenne a-t-elle raison de considérer le nucléaire et le gaz comme des « énergies vertes » ?

Fin janvier, alors que seule la version préliminaire du texte avait été publiée, le groupe d’experts qui conseille la Commission européenne sur le sujet s’était lui-même montré particulièrement critique. Dans leur rapport, les quelque cinquante spécialistes remettaient ainsi en cause la quasi-totalité du texte, concluant que le projet actuel « dénature totalement la raison d’être de la taxonomie européenne ». Exemple parmi d’autres : s’agissant de l’énergie nucléaire, les experts estiment que ses très faibles émissions de gaz à effet de serre n’en font pas « une activité verte et durable aux fins de la taxonomie » pour autant, car celle-ci vise à identifier les activités contribuant aux objectifs climatiques de l’UE pour 2030 et 2050. Or, si les investissements dans de nouvelles centrales autorisés jusqu’en 2045 sont considérés comme « durables », ils seront en réalité « opérationnels trop tard pour contribuer à l’atténuation du changement climatique » compte tenu de la longueur des chantiers.

De même, plusieurs anciens Premiers ministres japonais ont récemment dénoncé dans une lettre ouverte le projet de l’Europe de qualifier le nucléaire d’énergie verte. Parmi eux, Junichiro Koizumi et Naoto Kan, tous deux partisans de l’énergie nucléaire lorsqu’ils étaient au pouvoir, mais convertis à la cause antinucléaire depuis l’incident de la centrale Fukushima, le 11 mars 2011. « Promouvoir l’énergie nucléaire peut ruiner un pays, peut-on notamment lire dans cette lettre inhabituellement offensive. À l’image des politiques qui ferment les yeux sur le dérèglement climatique, les politiques qui promeuvent l’énergie nucléaire menacent la survie et l’existence des générations futures. » 

Le ton est encore plus remonté du côté de l’ONG Greenpeace, qui dénonce ce 2 février « le plus grand exercice de greenwashing de tous les temps » et « une tentative de hold-up ». Difficile, en effet, d’imaginer un blocage du texte après la décision de la Commission : il faudrait pour cela qu’une majorité qualifiée d’au moins vingt États membres (65 % de la population de l’Union) s’y oppose au Conseil européen, ou bien qu’une majorité absolue de 353 députés vote contre au Parlement européen. Un scénario a priori peu probable au vu de l’état des forces en présence. Ce qui n’a pas empêché le Réseau Action Climat (RAC), regroupement d’ONG françaises de référence sur les questions environnementales, d’appeler tous les élus européens « à rejeter sans tergiverser l’inclusion du gaz fossile et du nucléaire dans la taxonomie verte européenne », afin de corriger ce qu’il qualifie d’« erreur fondamentale ».

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