En juin 2019, lorsque Delphine Leclerc, 38 ans, met au monde sa petite fille, l’événement qu’elle attendait avec impatience se transforme en cauchemar. 

Après de longues heures de travail, la vie de la maman bascule lorsque l’équipe de jour, extrêmement bienveillante, passe le relais à l’équipe de nuit. "Comment est-ce qu’on va recoudre ça ?", titre de son livre paru aux éditions Flammarion, c’est la phrase que la sage-femme va prononcer alors qu’elle tient enfin son bébé dans ses bras. Elle va alors se heurter à la violence du corps médical et subir des violences gynécologiques qui laisseront des traces.

L’expression abdominale, une pratique obstétricale décriée

Après de longues heures de travail en salle de maternité, la maman est prise en charge par l’équipe de nuit. C’est à ce moment-là que sa vie bascule. "La sage-femme me demande de glisser au bout de la table et je me retrouve avec les fesses dans le vide. Je suis très inconfortable", raconte-t-elle. Elle le signale alors à la sage-femme, qui enchaîne en lui expliquant qu’elle va devoir repousser la main de l’infirmière avec son ventre. Delphine Leclerc va subir une expression abdominale. Une pratique qui consiste à appliquer une pression sur le fond de l’utérus (le bas du ventre) pour accélérer l’accouchement ou l’expulsion placentaire. "Ça me fait très mal. Je le signale, mais l’infirmière continue d’appuyer sur mon ventre", confie la maman.

Classée violence obstétricale, l’expression abdominale  est contre-indiquée depuis 2007 par la Haute Autorité de Santé (HAS), en raison du "vécu traumatique des patientes et de leur entourage" et de "l’existence de complications, rares mais parfois graves". "Ce n’est plus censé être enseigné mais force est de constater que ça existe encore", déplore Delphine Leclerc. Une enquête menée par le Collectif Interassociatif autour de la Naissance (CIANE) entre 2010 et 2016 auprès de 20 000 femmes rapporte en effet "qu’une femme sur cinq affirme qu’on lui a appuyé sur le ventre pour aider l’expulsion du bébé". Parmi les femmes qui ont subi ce geste, environ quatre sur cinq indiquent qu’on n’a pas recherché leur consentement. 

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Une épisiotomie qui vire au cauchemar

Dans son projet de naissance, Delphine Leclerc avait explicitement demandé au personnel soignant d’accoucher par voie basse et de n’être soumise à aucune épisiotomie, une incision du périnée pour faciliter la sortie du bébé, préférant une déchirure. Malgré cela, le souhait de Delphine Leclerc a été bafoué, sans qu’on ne la consulte au préalable. "Mon mari voit l’infirmière faire un signe de ciseaux à la sage-femme". Cette dernière la coupe par deux fois. 

Après avoir accouché, la maman ne se doute de rien et annonce à son mari : "J’ai réussi à accoucher par voie basse." Finalement, la sage-femme vient la féliciter et lui annonce qu’elle a dû pratiquer une épisiotomie. "Vous allez rester quelques minutes de plus pour qu’on vous recouse", explique cette dernière. C’est la phrase "Comment on va recoudre ça, à ton avis ?" murmurée par la sage-femme à sa collègue qui fait l’effet d’un coup de massue à Delphine Leclerc : "J’ai vraiment mon sang qui se glace". Elle restera ensuite trois heures en salle de naissance. Durant ces trois heures, la jeune maman sera recousue à vif pendant 1h30 par un interne de l’hôpital. "Ce sont des douleurs très très très intenses. J’ai l’impression d’être dans un cauchemar", décrit-elle. "Arrive un moment où je n’en peux plus, je me dis 'je meurs'. J’ai atteint un niveau de douleur insupportable", raconte-t-elle, encore très émue.

En 2016, 20% des accouchements se sont accompagnés d’une épisiotomie, selon le dernier rapport en date de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). "Aucun acte médical ni aucun traitement ne peuvent être pratiqués sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment", stipule la loi Kouchner du 4 mars 2002. Pourtant, selon un rapport du Haut conseil à l’égalité femmes-hommes (HCE) paru en juin 2018, "une femme sur deux sur laquelle une épisiotomie a été réalisée déplore un manque ou l’absence totale d’explication sur le motif".

Les séquelles douloureuses d’une épisiotomie ratée

De retour chez elle, Delphine Leclerc se sent enfin en sécurité mais garde des séquelles physiques et psychologiques de ce traumatisme. "J’ai l’impression que pendant mon séjour à la maternité, j’ai pris 50 ans, je me sens tout endolorie". C’est la sage-femme libérale qui s’occupe d’elle qui lui révèle l’ampleur des dégâts. "Elle va d’abord constater qu’il y a un début d’infection, puis lors d’un autre examen, que les fils ont lâché, que ça fait un 'trou béant'. Ça demande des soins quotidiens. Elle apprend à mon mari comment me soigner, que faire s’il y a un souci...", relate Delphine Leclerc. 

"Je me rends compte que la vie que j’avais avant mon accouchement ne va plus être la même", réalise la jeune maman. "Je ne peux plus aller aux toilettes. Je suis obligée d’aller uriner dans ma douche, parce que je n’arrive pas à m’asseoir. Je vais passer le plus clair de mon temps allongée, en position semi-assise dans mon canapé-lit". Les tâches du quotidien deviennent insurmontables. "Pendant plus d’un an, je ne vais pas pouvoir me pencher pour atteindre le premier étage du lave-vaisselle, je ne vais pas pouvoir faire de machine", détaille-t-elle. Delphine Leclerc ne peut même pas porter son bébé. "Mon mari devient mon aidant". 

Violences gynécologiques et point du mari

Sur les conseils de la sage-femme libérale qui la suit, Delphine Leclerc consulte un chirurgien-gynécologue pour subir une périnéoplastie, une reconstruction du périnée. Six mois après son accouchement, elle s’arme de courage pour retourner en salle d’opération et subir cette intervention. L’opération se déroule normalement. Même si elle trouve le comportement du chirurgien envers elle déplacé, Delphine Leclerc est loin de se douter qu’elle va une nouvelle fois être victime de la violence du secteur médical. "C’est après l’opération que je comprends qui est ce gynécologue. Je me rends en consultation seule, mon mari ne m’accompagne plus puisque ce sont des consultations de suivi. Je découvre alors un soignant qui sort complètement de son cadre", précise-t-elle. 

En plus de la tutoyer, le gynécologue tient un discours sexiste et se permet des remarques sur la vie sexuelle de la patiente. Lors du dernier rendez-vous post-opératoire, le praticien lui lance : "Tu sais, les couples, ils n’aiment pas quand c’est lâche. Moi je t’ai recousue bien serré. Donc ton mari devrait apprécier." Delphine Leclerc comprend qu’elle a subi "le point du mari". Un geste barbare et clandestin qui consiste à recoudre une épisiotomie par quelques points de suture supplémentaires, supposé accroître le plaisir de l’homme lors des rapports sexuels. Un acte néfaste et infondé puisque la sexualité d’un couple ne peut être réduite à la simple question de la taille d’entrée d’un vagin. "Il n’y a aucun homme qui prend plus de plaisir à voir sa femme souffrir", s’insurge Delphine Leclerc. 

"Ce point du mari, c’est censé être une légende, c’est censé ne plus exister, ne pas se pratiquer. Je suis la preuve que le point du mari, ça existe", assène Delphine Leclerc.

Se reconstruire après des violences gynécologiques et obstétricales

L’AP-HP a reconnu les violences dont a été victime Delphine Leclerc et lui a versé une compensation financière, bien qu’elle ne couvre pas tous les frais de santé de la maman. Mais le courrier reçu vaut de l’or pour elle, en reconnaissant notamment les conséquences psychologiques de son accouchement. Delphine Leclerc n’a, en revanche, pas pu aller jusqu’au bout des démarches judiciaires à l’encontre du gynécologue, faute de documents attestant toute les interventions réalisées sur la patiente. 

À travers ce témoignage, Delphine souhaite offrir une lettre ouverte "pour toutes les femmes qui sont victimes de violences gynécologiques et obstétricales et qui n’osent pas en parler". Ce livre est en quelque sorte une réparation, une reconstruction pour elle. Mais aussi et surtout, un appel à dénoncer ces injustices et les faire cesser : "S’il vous plaît, faîtes quelque chose parce que je n’ai pas envie que mes filles vivent la même chose que moi."

Aujourd’hui, la maman va beaucoup mieux mais le chemin a été long et semé d’embûches. Delphine a pu compter sur le soutien de ses proches et a pu se faire accompagner par une psychologue ainsi que d’autres praticiennes bienveillantes. "J’ai eu deux ans de rééducation, d’ostéopathie, de kinésithérapie. Je ne suis pas totalement guérie. En tout cas, je n’ai plus de stress post-traumatique, je n’ai plus des flash jour et nuit de mon accouchement. Je profite à fond des mes filles, de mon mari", conclut-t-elle.