Un rapport dénonce la « chasse aux sorcières » contre les citoyens musulmans

L’Observatoire des libertés associatives a examiné 20 cas de sanction contre des associations regroupant des personnes musulmanes ou considérées comme telle. Il y voit une dérive liberticide, au moment où la loi contre le séparatisme va encore renforcer l’arsenal répressif.

Erwan Manac'h  • 1 février 2022
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Un rapport dénonce la « chasse aux sorcières » contre les citoyens musulmans
© Photo : Philippe Labrosse / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

A-t-on encore le droit, en France, de dénoncer les discriminations contre les musulmans ou d’exprimer une vision de la laïcité différente de celle de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur ? C’est la question qui domine à la lecture du rapport publié mardi 1er février par l’Observatoire des libertés associatives, répertoriant 20 cas de sanction contre des associations entre 2016 et 2021. Le collectif, créé début 2019{: target= »blank » } à l’initiative d’une vingtaine d’associations (d’Attac à la Ligue des Droits de l’Homme en passant par France Palestine Solidarité), dans le cadre d’un programme européen contre le « rétrécissement de l’espace démocratique », dénonce une dérive de la lutte contre le terrorisme. Il y voit même la manifestation d’une « nouvelle chasse aux sorcières » contre les citoyens musulmans.

Les sanctions dénoncées dans ce rapport s’appuient sur des accusations aux contours flous comme le « prosélytisme », le « séparatisme » ou l’« accointance » avec les islamistes radicaux. Les faits reprochés, les formes de sanction et les associations incriminées sont d’une grande diversité, mais les cas mis en lumière dessinent une logique identique : un emballement médiatique souvent orchestré par la fachosphère, des politiques locaux ou nationaux soucieux de réagir vite et fort et des sanctions administratives prise la plupart du temps sans procédure judiciaire, ce qui ne permet pas à l’association incriminée de se défendre.

Pour des faits souvent déformés ou remontant à des années, des associations se voient donc annuler des subventions, expulsées de leur local, dénigrées publiquement, voire dissoutes, à l’image du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Les exemples se multiplient, selon le collectif, depuis 2015 et plus encore depuis l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. L’exécutif considère désormais qu’il existe un « continuum entre la visibilité de l’islam, la défense des droits des musulmans, la radicalisation religieuse et le terrorisme djihadiste », réprouve le rapport.

« Mouvance indigéniste », « communautarisme »…{: class= »ui-droppable » }

L’association la plus exposée est l’Alliance citoyenne, qui milite notamment contre les discriminations à l’encontre des femmes portant le foulard. L’association a été ciblée pour non-respect de la laïcité après des actions dans les piscines, à Grenoble et Villeurbanne, pour demander la levée de l’interdiction du maillot de bain couvrant, comme elle l’on fait avec succès dans 272 salles de sport selon leur décompte. Une des porte-paroles de l’association a également été ciblée pour avoir partagé sur son mur Facebook le 9 janvier 2015, alors qu’elle n’était pas encore adhérente de l’Alliance citoyenne, une image avec la mention « N’oubliez pas que c’est Charlie qui a dégainé le premier ». Un post qu’elle a dit « regretter », six ans plus tard, lorsque la polémique explosait, et que l’alliance citoyenne qualifiait en avril 2021 d’« absolument condamnable ». Mais ces rétractations n’ont pas suffi. L’antenne de l’association à Villeurbanne a été expulsée de ses locaux et une subvention lui a été retirée à Grenoble. Sur demande du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui reproche à l’association de « promouvoir des règles compatibles avec la charia », une subvention européenne de 60 000 euros lui a été retirée.

Le rapport, basé sur des contre-enquête publiées dans la presse ou à l’initiative des associations elles-mêmes, évoque également le cas de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), visé par une enquête administrative après un débat sur la laïcité qui avait déplu à la secrétaire d’état à la Jeunesse et à l’Engagement, Sarah El Haïry. Il s’intéresse à la Fasti, association de solidarité avec les migrants, qui a perdu une subvention après avoir dénoncé un _« racisme d’État » et une « politique coloniale » dans les Dom-Tom. Mais aussi pour son appartenance à une soi-disant « mouvance indigéniste ».

Il détail le cas d’un centre social embêté à Fréjus (Var) pour avoir distribué des repas pendant le ramadan. Et de deux autres centres sociaux de Bergerac (Dordogne) qui ont temporairement perdu leurs subventions pour avoir ouvert leur portes et réquisitionné du personnel en soirée durant le mois du ramadan. Subvention finalement rétablie car le personnel était volontaire et l’ouverture nocturne visait à éviter les rassemblements sur la voie publique.

« Interdire des paroles qui nous dérangent »{: class= »ui-droppable » }

Ces cas particuliers montrent, selon le collectif, une « panique morale et identitaire » qui rend tout débat sur la laïcité impossible. Le président de la Ligue des droits de l’homme, Malik Salemkour, présent ce mardi lors de la publication du rapport, reconnait des « profondes divergences » avec la vision de certaines associations citées, mais toute participent selon lui du débat démocratique et leur censure « met à mal l’État de droit et de l’équilibre des pouvoirs ». Elle dévoile également l’instauration d’un « ordre moral » qui empêche toute expression divergeante :

On veut interdire que des paroles qui nous dérangent soient dans l’espace public.

Il est rejoint par le député ex-LREM Aurélien Taché, présent également lors de la présentation du rapport (comme la députée LFI Mathilde Panot), qui dénonce une « caporalisation » de la société civile :

L’État considère qu’il ne doit rien y avoir entre lui et les individus et que la société civile n’a pas à dire autre chose que ce qu’il dit.

L’observatoire des libertés associatives rappelle aussi que « l’exigence de neutralité religieuse ne pèse de manière générale, en droit français, que sur la seule puissance publique », comme le démontre le cas d’associations subventionnées malgré une identité religieuse assumée, comme le Secours catholique ou le mouvement scout.

« La société me renvoie toujours à mon arabité et à ma religion, comme si c’était incompatible avec ma citoyenneté, regrette Sana Souid, présidente de l’Alliance citoyenne. Cela fait du tort, divise, exclu et brise », prévient-elle. Car ce que redoute au bout du compte le collectif, c’est que ces sanctions entrainent une « marginalisation civique de nos concitoyens musulmans ».

Ce rapport intervient alors que la loi « confortant le respect des principes de la République », dit « loi séparatisme », votée en août, prévoit la signature d’un contrat d’engagement républicain par toute association recevant des subventions publiques ou bénéficiant d’un agrément. Un nouvel outil répressif qui offre un cadre juridique à une pratique aujourd’hui arbitraire. Les associations participantes affirment donc leur volonté de se montrer solidaire, mais veulent aussi _« refroidir un sujet brulent ». Visiblement préoccupées par l’impact qu’aura leur prise de parole dans le contexte de polarisation et d’hystérisation du débat sur la laïcité.

Lire : Les musulmans priés de faire « allégeance »

Société
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