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Culture - Initiative

À la bibliothèque publique de Bachoura, des êtres humains comme des livres ouverts

Le samedi 5 février, la bibliothèque publique de Bachoura n’a pas offert des ouvrages à lire à ses visiteurs, mais des êtres humains servant de livres ouverts. Un événement propice aux échanges et aux libres conversations. Une première au Liban, initiée par l’association Assabil.

À la bibliothèque publique de Bachoura, des êtres humains comme des livres ouverts

Raconter de vive voix son histoire et son combat pour aider autrui à surmonter ses propres épreuves. Photo DR

Ce sont des bénévoles, venus d’horizons divers avec leur vécu, leurs expériences et leurs épreuves, prêts à les partager avec leurs lecteurs, tout en souhaitant conserver leur anonymat pour mettre en avant l’histoire et non son auteur. Ce sont des livres dont on ne tourne pas les pages, mais dont on écoute le récit pour le laisser mieux pénétrer nos sens et nous éclairer. Parfois en tête à tête et parfois en petits groupes, ce sont des livres humains.

La bibliothèque humaine (concept qui a vu le jour à Copenhague en 2000 comme une réponse au dilemme sociétal) a voulu créer un espace sûr où les gens peuvent dialoguer avec quelqu’un de différent d’eux-mêmes ou duquel ils se rapprochent, le temps d’une conversation. Elle est une main tendue aux questionnements et aux doutes, et invite le lecteur converti en auditeur à pénétrer cet endroit où l’on peut emprunter un être humain pour l’écouter et partager avec lui un sujet difficile. Créée dans le but de ne pas passer à côté de la détresse des personnes que nous côtoyons, l’idée novatrice est reprise pour la première fois au Liban par l’association Assabil (qui gère les bibliothèques publiques de Beyrouth), qui compte réitérer dans le futur cette expérience afin de couvrir des sujets identitaires et existentiels. La bibliothèque humaine a investi la bibliothèque publique de Bachoura, le samedi 5 février. Adolescents, universitaires et adultes sont venus nombreux afin de vivre cette expérience auditive inédite. L’Orient-Le Jour a testé pour vous cette expérience.

Un rendez-vous de partage et d’émotion à la bibliothèque publique de Bachoura. Photo DR

Elle fait rire…

« Elle a l’air d’un clown ! », « Cesse de faire le clown ! » : des expressions que l’on utilise dans le langage courant, et qui renvoient souvent à un comportement dérangé et de désordre. Personnage intéressant, à double titre, le clown est brillant et intelligent, mais souvent porteur d’une fêlure. Le ressort de son personnage, c’est de toujours faire rire… y compris de ses propres malheurs. Mais pourquoi Abbas el-Hessess (elle se présente sous un pseudonyme, NDLR) est-elle devenue clown ? « Pour offrir le rire aux gens et à travers le rire, de l’amour, dit-elle, pour laisser libre cours aux émotions, et les partager. Le clown qui est un miroir de la société humaine peut faire rire, bien sûr, mais aussi parfois pleurer. Savoir mettre en veilleuse ses propres combats, se décharger de tout bagage émotif pour être proche des gens, voilà le secret. » Et d’ajouter : « Le quotidien du clown n’est pas simplement de se déguiser, se grimer et descendre dans la rue. Mon but est de rendre les gens heureux, leur redonner le sourire, les émouvoir et les faire réfléchir. » Et il arrivait souvent à Abbas el-Hessess de revenir chez elle complètement drainée par cette énergie qu’elle avait mise à disposition de la rue, et elle avoue que certains jours, incapable de descendre dans la rue, elle se faisait violence afin de surmonter ses propres démons pour se mettre à la portée du passant. Cela lui procurait de la joie et du contentement. Elle qui a toujours aimé la performance théâtrale et la musique, la profession de clown est devenue comme une passion qu’elle nourrit aux côtés de sa formation professionnelle d’ingénieure du son. « Nous sommes un petit groupe, commandité par l’ONG Tri-pulley, à descendre dans la rue, mais toutes les rues ne se ressemblent pas ; certaines sont réfractaires à nos interventions, d’autres nous accueillent à bras ouverts. » Il faut de l’innocence, du cœur et de la sagesse pour réaliser ce métier. Abbas el-Hessess est un pur concentré des trois.

« Pouvoir aborder des sujets, poser des questions et trouver la réponse était une expérience enrichissante », estiment les participants. Photo DR

Il a beaucoup pleuré

Il a 24 ans et termine son master en business. Il lui a fallu du courage et de la confiance pour se plier à l’exercice. À l’école, c’était un enfant timide et introverti. « Je traversais une période difficile, un problème familial m’avait contraint à me retrancher dans un monde inaccessible aux autres, mes notes en pâtissaient, les professeurs me le reprochaient, les élèves se moquaient et certains se défoulaient sur moi. J’étais sujet à une anxiété profonde et souvent à des crises de panique. Mes pensées étaient toujours ailleurs, j’étais en perpétuelle souffrance, ma vie était un enfer. » Celui qui avoue avoir beaucoup pleuré durant son enfance a finalement réussi à confronter les personnes qui le stigmatisaient avec comme seul objectif de surmonter les obstacles qui ne l’ont jamais effrayé. « La vie ma offert des opportunités que j’ai embrassées. » Aujourd’hui, c’est un jeune homme optimiste à la recherche de toutes les occasions pour partager avec l’autre, l’aider à surmonter les chemins de traverse qu’il a si bien connus, et qui n’a qu’une ambition : se lancer dans un métier où prime la communication.

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Un jeune homme attentif à qui l’écoute narrer son histoire est venu raconter la sienne et son combat face à une société qui le juge. Il est venu pour puiser du courage et s’affranchir du regard extérieur et accusateur afin de pouvoir réaliser ses rêves et ne jamais abandonner. Une maman et sa fille avouent être d’abord venues par curiosité, mais ont été très touchées par les témoignages des bénévoles. « Pouvoir aborder des sujets, poser des questions et trouver la réponse était une expérience enrichissante », s’accordent à dire de nombreux participants à cette expérience de bibliothèque humaine.

Entraîner les personnes dans une bibliothèque à l’heure ou l’achat d’un livre ne fait plus partie des priorités, créer des connexions humaines, rapprocher les gens à l’heure du confinement et de la crise économique, aborder des sujets sans préjugés et sans jugements, ont fait de cette initiative un rendez-vous de partage et d’émotion. Loin des Nordiques et des pays exempts de problèmes de survie qui ont lancé cette initiative, le peuple libanais a prouvé une fois de plus, en l’adaptant à son contexte, que l’on peut tout lui ôter sauf son humanité et sa rage se rester debout, ou assis à écouter les livres humains…

Ce sont des bénévoles, venus d’horizons divers avec leur vécu, leurs expériences et leurs épreuves, prêts à les partager avec leurs lecteurs, tout en souhaitant conserver leur anonymat pour mettre en avant l’histoire et non son auteur. Ce sont des livres dont on ne tourne pas les pages, mais dont on écoute le récit pour le laisser mieux pénétrer nos sens et nous éclairer. Parfois...

commentaires (1)

Belle initiative, merci pour l'article.

F. Oscar

08 h 29, le 07 février 2022

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Commentaires (1)

  • Belle initiative, merci pour l'article.

    F. Oscar

    08 h 29, le 07 février 2022

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